Exposé Stylistique « Esthétique » M1 L’Usage de la parole de Nathalie Sarraute

Exposé Stylistique « Esthétique » M1 L’Usage de la parole de Nathalie Sarraute Gwendoline Honig « ce que je cherche dans la parole, c’est la réponse de l’autre » Lacan, Ecrits. « Un grand auteur est celui dont on entend et reconnaît la voix dès qu'on ouvre l'un de ses livres. Il a réussi à fondre la parole et l'écriture. » Michel Tournier, Le Miroir des idées INTRO : Dans L’usage de la parole, Nathalie Sarraute a repris, en la développant, la forme poétique de ses premiers textes brefs, 'Tropismes'. Chacun de ces textes est suscité par des paroles qui lui ont paru particulièrement riches en potentialités insoupçonnées. Insoupçonnées, soit parce que l'impact de ces paroles reste méconnu, soit parce qu'il est enseveli sous un amoncellement de représentations convenues, comme lorsqu'elles touchent aux thèmes éternels de l'amour et de la mort. Dans l'un et l'autre cas, le lecteur est appelé à prendre part aux diverses actions dramatiques qui sont mises au jour et se déploient. Le texte « Esthétique » se situe au milieu de L’usage de la Parole. Il met en scène une rencontre entre deux personnes qui ne se connaissent que vaguement, et qui vont donc, pour pouvoir se parler, avoir recours à des lieux communs. structure du passage : situation initiale ( 3 §p.83-84) - élément modificateur, évènement : une rencontre en deux temps : la métamorphose (9 temps p.84-87), on voit l’autre, on se prépare à lui parler) puis dialogue (11 §, P88-91) nœud dramatique (acmé) par l’usage du mot esthétique (4§, p.91-93) et dénouement ou chute ( 1§, p.93) PBMATIQUE Comment le texte « esthétique » de Nathalie Sarraute déploie-t-il, dans l’entrelas des voix, la dimension du cliché à l’œuvre dans l’usage de la parole, et comment Sarraute réussit-elle, par l’intermédiaire d’une phrase en mouvement, à entrouvrir l’espace textuel pour dénoncer le cliché et rendre compte du processus d’une parole en train de se faire ? PLAN I. Des voix à l’indistinction de la parole 1- Polyphonie du texte plusieurs énonciateurs, allocutaires multiples. (une économie de l’échange) D’emblée, le texte de Nathalie Sarraute propose une pluralité énonciative déconcertante : les 2 premiers § du texte « esthétique » mettent en avant un « vous » qui apparaît avec l’impératif « demandez » et un « nous » avec l’impératif « renonçons ». Le nous et le vous rassemblent vraisemblablement le narrateur et le lecteur, le texte commence donc par une adresse au lecteur, puis le narrateur rejoint celui-ci avec l’usage du « nous ». Mais le texte ne se cantonne pas à l’usage de ce locuteur et de cet allocutaire, il insert un dialogue fictif, par l’usage des guillements, au sein même du premier paragraphe entre « vous » et « n’importe qui ». Ce « n’importe qui » est donc un nouvel énonciateur à l’œuvre dans le texte. Mais cela se complexifie plus encore par la suite, avec la mise en place de deux personnages anonymes, une vieille dame et une figure masculine, qui tout deux prennent également la parole, et emploient ce même nous, mais utilisent aussi le « je » et le « tu ». Une 1 Exposé Stylistique « Esthétique » M1 L’Usage de la parole de Nathalie Sarraute Gwendoline Honig dernière dimension à prendre en compte, qui s’ajoute à la polyphonie du texte, est celle de l’usage des guillemets, qui se note dès le 1er §, dès la seconde phrase avec le syntagme verbal « s’est passé ». L’usage des guillemets souligne ici l’emploi autonymique du syntagme, le convertissant ainsi en expression toute faite, c’est-à-dire à une expression commune/figée, qui ouvre la dimension de la voix collective, elle aussi à l’œuvre dans le texte, on note ainsi 10 emplois de ce type dans le texte, dont l’expression « esthétique » fait partie. 2- Quel système énonciatif ? Glissement de l’énonciation hétérodiégétique du narrateur au dialogue et à la sous-conversation en discours direct libre. Intéressons-nous maintenant de plus près au système d’énonciation et aux relations entre les divers discours à l’œuvre dans le texte. La complexité et la longueur du passage étudié nous amène à nous focaliser sur un seul extrait : il s’agit du passage p.87 -88 Cet extrait montre une progression dans l’énonciation : tout d’abord, on note la présence du narrateur, qui se manifeste à travers l’usage de la 3ème personne du singulier et du pluriel pour désigner les deux personnages du récit ( « chacun » « l’autre » « il » «les placer tous deux », « ils » auxquels s’ajoutent des modalisateurs qui indiquent le point de vue du narrateur sur l’action : « il y en a tout un stock commun » - « toujours à la disposition de chacun » « d’un seul coup » « implanter solidement sur la terre ferme » « ce tout petit morceau de terre » : ici l’usage répétitif des adverbes témoignent de la subjectivité d’un narrateur hétérodiégétique, qui juge les personnages : on note la dimension critique par l’excès de ces tournures emphatiques, concentrée par exemple dans sur l’insistance du solidement suivi par ferme et tout petit.). Par la suite s’opère un glissement : le narrateur, après avoir dressé une sorte de tableau nous donnant à voir les deux personnages « sûrs de se retrouver parfaitement identiques, entièrement solidaires devant un sort commun », leur cède la place, ou plutôt, laisse leurs voix envahir la narration. Ainsi apparaît la première occurrence du « je » dans le 1er § p.88. En marge du discours direct qui se met en place dans les guillemets et qui indique le dialogue entre les 2 personnages, apparaît une forme de discours direct libre, qui permet une forme de « sous-conversation », où chacun des deux personnages utilisent le je. Ainsi, « merci, je les tiens, je me tiens à vous » est une réponse en discours direct libre à « voilà, je les prends, saisissez-les, je vous les tend ». On observe donc une construction croisée, où le premier personnage énonce d’abord avec le discours direct libre (ce qui pourrait s’apparenter à des pré-paroles) puis avec le discours direct, ensuite le second personnage énonce lui aussi en discours direct libre puis en discours direct. Le présent de la parole, Dominique Rabaté « jeu infini de la conversation avec la sous-conversation, tout cet espace intermédiaire, violent et feutré à la fois, qui se trame entre le dit et le non- dit. » Dominique Rabaté introduit ici l’idée de non-dit, qui s’oppose ici au dit, que nous avons étudié jusqu’ici en nous intéressant à la polyphonie. Intéressons-nous à l’idée de non-dit en nous focalisant dans le texte sur l’isotopie de l’indistinction et le brouillage créé par l’omniprésence de l’oralité dans le texte. 3- La parole indistincte et le brouillage de l’oralité. A travers le texte se déploient plusieurs champs lexicaux qui constitue l’isotopie de l’indistinction ou du flou. Cette isotopie est constituée avant tout par un emploi prédominant d’indéfinis tel que l’utilisation répétée du « on » (que « on est tout de même en droit de dire » p.83), ainsi que par l’usage de tournures impersonnelles telles, « à quoi bon essayer de s’abriter (…) » p.85, « il le faut bien » 85, « quelque chose se dégage » p.87, « il peut arriver à l’un d’entre eux » p.90. A cela s’ajoute l’utilisation du champ lexical de l’insignifiant et de l’absent avec « rien », 2 Exposé Stylistique « Esthétique » M1 L’Usage de la parole de Nathalie Sarraute Gwendoline Honig « dénués d’importance » « insignifiant » indifférence » « vaguement » « effacés » + adverbes « assez »/ « à peine » « peu ». On peut concentrer notre attention sur un jeu d’écho opéré entre la page 85 « cet indéfinissable, ce tout, ce rien, ce vide, ce plein qu’est chacun d’eux. » et la page 86 : « cet infini, ce tout, ce plein, ce vide, ce rien… à soi seul un monde … » la parataxe asyndétique, au lieu de souligner ici l’accumulation de noms antithétiques, crée une sorte d’uniformisation des termes qui brouille la perception, et participe ainsi à cette isotopie de l’indistinction présente dans le texte. D’autre part, la part du non-dit dans le texte de Nathalie Sarraute se focalise également dans le brouillage créé par l’omniprésence de l’oralité. En effet, le narrateur, pourtant hétérodiégétique, exprime sa subjectivité, on l’a vu précédemment, à travers le recours à des modalisateurs. Lorsque le système d’énonciation est plus ou moins clair, lorsque l’on peut notamment observer l’utilisation de la 3ème personne, comme c’était le cas dans notre précédente analyse, cela ne pose pas un problème majeur. Mais lorsque la voix du narrateur surgit dans le du discours direct libre, un brouillage s’opère au sein de ce « feuilleté énonciatif », comme le désigne Frédéric Calas dans l’Introduction à la Stylistique. « mais à quoi bon ? … le mot « esthétique », on a beau le retourner, il est identique sur toutes ses faces uploads/Litterature/ analyse-de-quot-esthetique-quot-dans-l-x27-usage-de-la-parole-sarraute.pdf

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