Monsieur Alain Viala Effets de champ et effets de prisme In: Littérature, N°70,
Monsieur Alain Viala Effets de champ et effets de prisme In: Littérature, N°70, 1988. Médiations du social, recherches actuelles. pp. 64-71. Citer ce document / Cite this document : Viala Alain. Effets de champ et effets de prisme. In: Littérature, N°70, 1988. Médiations du social, recherches actuelles. pp. 64- 71. doi : 10.3406/litt.1988.2281 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/litt_0047-4800_1988_num_70_2_2281 Alain Viala, Université de Paris hi. EFFETS DE CHAMP, EFFETS DE PRISME A tous égards, la littérature constitue un discours social. Discours à la société car elle n'existe, socialement parlant, qu'à partir du moment où elle est lue; discours de la société, car elle en met en jeu, même quand elle n'en parle pas, des valeurs, des schemes culturels, des modes de représentation; discours dans la société car elle y fonctionne toujours, au moins, comme un discriminant. Mais un discours singulier, puisque à la fois il participe du fonds commun linguistique et se distingue, par la série des marques qui permettent qu'il soit (ou non) qualifié de « littéraire », des autres actualisations verbales. Doublement singulier, puisqu'il appartient entièrement, à la différence d'autres modes de la signifiance sociale (par exemple l'argent, le vêtement, l'habitat et son décor...), à l'ordre des biens symboliques. La sociologie de la littérature ne peut donc qu'inclure une analyse de l'interaction des œuvres et des publics, une pragmatique du littéraire '. Ainsi, l'objet à étudier réside dans les médiations qui constituent les systèmes de relations entre la littérature et les autres praxis sociales; autrement dit : les effets de prisme. Le champ littéraire constitue la médiation fondamentale. A condition, comme l'a souligné P. Bourdieu d'entendre ce terme et de définir ce concept en toute leur rigueur, et de ne pas les réduire à un équivalent, des idées traditionnelles de « contexte social » ou de « milieu littéraire » ; à condition de l'entendre comme l'espace social relativement autonome formé par l'ensemble des agents, œuvres et phénomènes de la praxis littérature, et dont les structures se définissent par le système des forces qui y sont agissantes et par leurs conflits 2. A condition aussi de ne recourir à ce modèle d'analyse que pour les périodes et les situations où il est pertinent : ainsi, en France, on ne peut 1 . La version initiale de cet article, volontairement didactique, paraît en anglais dans le numéro de Critical inquiry consacré à la sociologie littéraire (avril 1988). 2. P. Bourdieu, « Le champ littéraire. Préalables critiques et principes de méthode », Lendemain, n°36, 1984, p. 5. 64 parler de champ littéraire que depuis l'âge classique 3. A condition, enfin, de tenir compte du fait que cette médiation ne joue pas à sens unique, que le champ n'est pas seulement la médiation par laquelle passent les déterminations sociales qui s'exercent sur la littérature, mais aussi que la littérature s'y élabore selon la logique des médiations propres à cet espace, et qu'elle agit éventuel lement sur les autres sphères de pratiques sociales selon la même médiation 4. Qui analyse le champ littéraire se trouve confronté à deux séries de données, en relation dialectique étroite et permanente. D'une part, l'espace littéraire ne peut être compris que par l'analyse de la situation où il se trouve vis-à-vis des autres champs sociaux. En particulier, il est essentiel de le situer aux divers moments de son histoire au sein du champ intellectuel, et dans l'espace des pouvoirs, dont il participe en sa qualité de lieu d'une fraction du pouvoir symbolique. L'effet des transformations qu'il induit est corrélatif à son degré d'autonomisation et à sa position dans les hiérarchies des valeurs culturelles. D'autre part, les médiations tiennent aussi aux structures du champ, qui sont « le produit accumulé de son histoire propre » : ses hiérarchies et ses règles internes, sa division (aux XIXe et XXe siècles) en deux sphères distinctes, l'hégémonie acceptée ou combattue de telle école ou de tel mouvement, la plus ou moins haute considération accordée à chaque genre, l'autorité de telle institution, et ses limites... L'analyse des œuvres comme prises de positions (à quoi certains voudraient réduire la sociologie des textes) doit donc se trouver associée à l'analyse des positions objectivement occupées par les agents du fait littéraire (auteurs, lecteurs, éditeurs, dont d'autres ont cru que la sociologie pouvait être faite pour elle-même) et de leurs luttes. Des phénomènes que l'histoire littéraire traditionnelle impute à des affaires de génie individuel (le plus bel exemple est le sempiternel parallèle entre Corneille et Racine) apparaissent alors pour ce qu'ils sont : des effets de champ. A rester ainsi dans l'abstrait et le général, un tel propos théorique risque fort d'être un cadre élastique où entreront, selon les moments et le commode ou difficile d'une argumentation, bien des choses diverses. Jusque-là, au fond, il ne s'agissait encore dans ces lignes que de prendre en compte les acquis et les débits de l'étude sociologique du littéraire. Il est temps d'aborder une autre étape, recherche aussi modeste que nécessaire : celle qui consiste à voir comment une sociologie procédant en termes de champ et de médiations, de 3. Cf. A. Viala, Naissance de l'écrivain. Éd. de Minuit, 1985. 4. A cet égard, la formule employée par P. Bourdieu de « médiation spécifique à travers laquelle s'exercent sur la production culturelle les déterminations externes » (loc. cit.) risque de laisser croire que le déterminisme et l'explication causale ressurgissent là. P. Bourdieu a d'ailleurs soin d'en moduler l'énoncé dans son analyse des relations entre le champ des positions et le champ des prises de positions (ibid., p. 6). Mais à cet instant, et encore dans son importante critique du structuralisme symbolique de M. Foucault (p. 7), toute ambiguïté de la formulation n'est pas levée : il semble que reste encore trop implicite, à ce stade de son analyse, la prise en compte du fait que le champ est à lui-même sa propre médiation, que le champ littéraire est un de ceux où il n'est de relations internes que médiatisées, que l'analyse se trouve donc toujours confrontée à des médiations de médiations. 65 pragmatique et de prismes, modifie ou transforme les procédures et objets traditionnels des études littéraires. Il faut alors entreprendre l'inventaire des prismes; sans cela, de telles analyses fondées sur un modèle né dans le champ sociologique pourraient bien se voir indéfiniment suspectées de n'être que produits d'importation, voire de contrebande, de n'être pas appropriées au littéraire et donc pas appropriées par les littéraires. Mais les points énoncés ci-après ne sont que les principales rubriques qu'en l'état présent de la recherche on peut voir entrer dans la logique de l'analyse prismatique, les principaux indicateurs proprement litt éraires qu'une pragmatique sociale peut et doit prendre en considération. 1. Les institutions de la vie littéraire. Ces institutions constituent la meilleure charnière entre les structures propres du champ et les structures de la sphère sociale où il se situe s, et enfin parce que ce sont là des objets dont l'histoire littéraire ne s'était jamais beaucoup occupée, des objets relativement nouveaux pour une science de la littérature. Ces institutions sont des instances, groupes ou lois (écrites ou implicites) entièrement ou principalement vouées à la régulation sociale de la vie littéraire : académies et cercles, écoles, mécénat, censure, législation de l'édition et des droits des auteurs, prix et rituels. Leur rôle est crucial comme lieux de dialogues et de conflits entre l'espace littéraire et les pouvoirs politiques, financiers et religieux (à quelles conditions obtient- on les crédits d'un mécène? vaut-il mieux être écrivain ou cardinal pour entrer à l'académie?, etc.). Leur existence, et leur existence en tant que réseau d'institutions, leur vitalité ou leur absence sont de bons indices de l'autonomie éventuelle, et du degré d'autonomie du champ littéraire. Leur rôle est crucial aussi dans les processus de consécration (être élu à l'Académie, être admis ou non au sein d'un groupe influent, comme Maupassant aux soirées de Médan ou Calvino à l'Oulipo...) que des institutions plus générales comme l'école relaient et confirment. Et leurs influences respectives, ainsi que les tendances que chacune promeut ou défend, dessinent les lignes de force de la structure du champ au fil de son histoire. Enfin, les œuvres sont perçues, par les institutions et par les lecteurs, en fonction de leur proximité ou de leur éloignement des positions politiques, théoriques, esthétiques que représentent les diverses institutions selon leur état et leur fonctionnement propres aux divers moments de l'histoire. Ainsi par exemple de la censure : ou bien l'auteur s'en tient aux normes et aux lois censoriales, s'inscrit dans le conformisme et, le cas échéant s'autocensure, ou bien il défie l'autorité censoriale et se « marque » ainsi d'un non-conformisme, qui peut attirer l'attention sur son œuvre, qui peut aussi se payer cher. 5. A. Viala, les Institutions de la vie littéraire en France au xvir siècle, Lille, A.R.T., 1985. On y verra que les indicateurs sociologiques fondamentaux (âge, sexe, niveau scolaire, profession, lieu de résidence, religion, origine sociale...) sont, cela va de soi, des outils usuels; l'inventaire n'en est pas requis ici, le propos étant centré autrement : ils ne sont pas uploads/Litterature/ alain-viala-effets-de-champ-et-effets-de-prisme.pdf
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- Publié le Nov 04, 2021
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