La lecture à voix haute : ancienne pratique ou nouvelle mode ? Roubaix – 14 & 1
La lecture à voix haute : ancienne pratique ou nouvelle mode ? Roubaix – 14 & 15 sept. 06 1 La lecture à voix haute : ancienne pratique ou nouvelle mode ? Actes des Journées d’étude 14 & 15 septembre 2006 v Médiathèque de Roubaix organisée par la médiathèque de Roubaix en partenariat avec le centre MédiaLille (Université Lille III) vvv La lecture à voix haute : ancienne pratique ou nouvelle mode ? Roubaix – 14 & 15 sept. 06 2 Sommaire ___________________________________________________________________ JEUDI 14 SEPTEMBRE ● Conférence inaugurale Une histoire de la lecture 5 par Alberto Manguel, écrivain VENDREDI 15 SEPTEMBRE Ouverture 23 par Renaud Tardy, premier adjoint au maire de Roubaix, chargé de la culture ● Quelques mots d’introduction 25 par Martine Burgos, sociologue à l’EFISAL-CRAL/ EHESS ● Lire à voix haute : pour qui, pourquoi, comment ? 34 De l’expérience de quelques lecteurs Lecteur public, un métier 34 par Bernhard Engel, Les Livreurs Le paradoxe du comédien 39 par Jacques Bonnaffé, comédien Lu par l’auteur 46 par François Bon, écrivain. ● Et ça vous fait lire ? 58 Des publics des lectures à voix haute et de leur réception Table ronde avec Martine Burgos, sociologue à l’EHESS ; 59 Laurent Grisel, écrivain ; 68 Jean-Pierre Siméon, poète ; 72 Paule du Bouchet de Mones, Ed. Gallimard ; 77 Camille Deltombe, Ed. des Femmes. 79 La lecture à voix haute : ancienne pratique ou nouvelle mode ? Roubaix – 14 & 15 sept. 06 3 ● De nouvelles voies pour la lecture à haute voix ? 87 L’émergence des pratiques amateurs Et les bibliothèques dans tout ça ? L’expérience des P’tits lus 88 par Delphine Fobert, Gwen-Aëlle Geffroy, Sarah Badkoubé, Mounir Hamam et Massimo Genuardi Quand l’écran se met au service de l’écrit : l’expérience d’Incipit blog 97 par Le Liseur ● Epilogue Le slam, vers une nouvelle forme d’oralité ? 102 par Julien Delmaire, poète et slameur – Compagnie Générale d’Imaginaire ● Les intervenants 109 La lecture à voix haute : ancienne pratique ou nouvelle mode ? Roubaix – 14 & 15 sept. 06 4 Jeudi 14 Septembre 2006 Une histoire de la lecture ___________________________________________________________________ par Alberto Manguel Je me sens toujours chez moi dans une bibliothèque. Claudel disait qu’il se sentait toujours chez lui dans une église, Léautaud disait qu’il se sentait chez lui dans ce qu’il appelait, avec ce terme du 19ème, une maison de tolérance, pour moi c’est une bibliothèque. Parce que je m’interroge toujours sur cette chose mystérieuse que nous faisons, que de pouvoir ouvrir un livre et, à travers ces signes sur la page, faire ressortir des sons qui transmettent un texte, une histoire, de la voix disparue, il y a peut-être des centaines d’années, de quelqu’un que nous n’avons pas pu connaître, mais qui peut nous raconter quelque chose qui nous importe et qui nous définit aujourd’hui. Quand je pense à cette action de lire, je n’entends pas par cela seulement la lecture de textes mais la lecture de tout ce qui nous entoure. Je me demande si, en tant qu’êtres humains, nous ne pouvons pas être définis comme êtres lecteurs puisque nous semblons pouvoir trouver des textes dans le monde qui nous entoure. Dans les paysages, dans la tête des autres, dans les cieux, nous essayons de tout lire. Et quand il s’agit de textes écrits, des livres donc, nous établissons avec ces livres une relation que j’appellerais alchimique, pour créer quelque chose qui n’a pas de vie jusqu’au moment où nous ouvrons le livre. C’est très mystérieux ce rapport que nous avons avec le livre et j’ai voulu m’interroger sur cette action qui est la vôtre, qui est la mienne, qui est la nôtre, dans cette Histoire de la Lecture que j’ai écrite il y a maintenant une dizaine d’années. J’ai appelé cela « Une Histoire de la Lecture » parce qu’elle était la mienne, je ne pouvais la raconter qu’à partir de mon expérience, donc je m’excuse si ce soir je vais encore une fois parler de moi-même et de ce qui m’est arrivé en tant que lecteur. Moi, j’ai commencé à lire très tôt. J’avais trois ou quatre ans quand j’ai découvert que ces signes qu’on me racontait dans les livres, que je voyais passer dans les pancartes, pouvaient être déchiffrés, portaient des sons qui étaient des textes. À ce moment-là, j’ai découvert surtout la possibilité de l’intimité parce que, pour moi, la lecture, qui avait été une lecture à voix haute, est devenue tout à coup une lecture silencieuse pour moi-même, que personne ne pouvait découvrir. Personne ne pouvait savoir ce que je lisais quand je lisais pour moi-même. La lecture à voix haute : ancienne pratique ou nouvelle mode ? Roubaix – 14 & 15 sept. 06 5 Mais la lecture que nous connaissons comme silencieuse, comme vous le savez, n’a pas été la lecture de nos origines. Il semble, ce sont les anthropologues qui nous le disent, que nos premières lectures, au moment de la découverte de l’écriture, étaient des lectures à haute voix. J’aime beaucoup cette théorie parce qu’elle me fait penser aux histoires fantastiques. C’était une lecture dans laquelle on avait des hallucinations orales (dans le sens de les entendre). On regardait une lettre, un mot, et on entendait une voix qui était évidemment celle du lecteur mais qui apparaissait comme celle de quelqu’un d’autre, vraiment comme si l’auteur du texte était vivant à côté de nous. Cette idée de la lecture qu’on peut entendre était la notion courante des lectures pendant des siècles. Il est difficile d’imaginer ce qu’était la lecture jusqu’à peu près le 9ème siècle dans, par exemple, les premiers siècles de la chrétienté et avant cela à Rome ou en Grèce, quand on devait marmotter les mots pour déchiffrer un texte. Le texte lui-même était difficile à comprendre si on ne le lisait pas à haute voix, surtout pour une question d’écriture puisqu’on ne séparait pas les mots et que les signes de ponctuation étaient plutôt erratiques et pas partagés par tous les copistes. Donc pour comprendre ce qu’il y avait dans un texte, il fallait le dire à haute voix. J’imagine ces bibliothèques grecques, romaines, la bibliothèque d’Alexandrie, dans lesquelles ces lecteurs marmottaient ce texte, ce qui devait ressembler à une sorte de rassemblement d’abeilles, parce que ce n’était pas une lecture à haute voix comme nous pouvons imaginer quelqu’un qui lit le texte pour quelqu’un d’autre, c’était plutôt comme, par exemple, dans une école coranique ou une école talmudique où le texte est marmotté pour qu’il vienne à la bouche en même temps qu’aux yeux et aux oreilles, pour que tout le corps lise en même temps. Peut- être qu’il y avait quelque chose de cela dans les lecteurs anciens. Mais la lecture silencieuse était possible. Elle n’était pas courante mais elle était possible. Nous le savons à cause des exemples d’étonnement de certains lecteurs devant la lecture silencieuse. L’exemple le plus connu est celui de St Augustin. Vous vous souvenez peut-être, dans Les Confessions, il raconte comment il devait aller à Milan pour prendre un poste d’enseignant et sa mère avait insisté pour qu’il aille voir le vieux Ambroise qui était son ami et conseiller. Elle avait peut-être peur que le jeune homme ne s’égare un peu dans la ville de Milan qui était réputée pour ses fêtes et ses débauches, donc elle avait demandé au jeune Augustin d’aller voir Ambroise. Il rentre dans la cellule d’Ambroise, il dit qu’il voit le vieil homme devant ses livres comme s’il était en train de lire, mais qu’on n’entendait pas un mot sortir de sa bouche et que la langue ne bougeait pas ! Donc Augustin s’étonne du fait qu’on puisse lire silencieusement et de cela nous supposons qu’on lisait couramment à haute voix. La lecture à voix haute : ancienne pratique ou nouvelle mode ? Roubaix – 14 & 15 sept. 06 6 Mais ce qui est très curieux dans cet exemple précis, c’est qu’Augustin lui-même raconte dans un autre épisode, l’épisode célèbre de sa conversion, que la lecture silencieuse lui était connue lui aussi. Il est dans son jardin avec un ami en train de lire les épîtres de Paul, il lit à haute voix, les deux amis se partagent le texte, quand il entend la voix d’un enfant qui chante derrière le mur qui dit : « Prends et lis ». Alors, il prend le livre et il lit silencieusement les mots qui lui disent de se mettre l’armure du Christ. C’est un moment essentiel et St Augustin insiste évidemment sur le moment de la conversion, mais cela nous fait savoir que la lecture silencieuse était possible. Ce qui est très étonnant, c’est que dans toutes les descriptions que nous avons des bibliothèques anciennes, même si elles ne sont pas nombreuses, personne ne parle de comment on lisait. Il n’y a aucune référence dans tout le corpus grec et latin d’un lecteur qui lit, qui marmotte son texte. Je dis que c’est curieux parce uploads/Litterature/ actes-lecture-voix-haute-roubaix.pdf
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- Publié le Apv 26, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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