L’arbre dans Cicatrices du soleil et La Prière de l’absent de Tahar Ben Jelloun
L’arbre dans Cicatrices du soleil et La Prière de l’absent de Tahar Ben Jelloun Abderrahim TOURCHLI L’homme est un arbre inversé (Platon) Depuis que le monde est monde, l’arbre reste un élément fédérateur dans l’écosystème écologique, un composant végétal non négligeable de la nature, issu du latin « arbor », il est l’axe du monde et autour de lui s’organise le cosmos vivant. Etant généreux, l’arbre forge vie et survie à l’homme et au cosmos. Il remonte à la genèse (l’arbre de la connaissance du bien et du mal), il est lié au quatre éléments : la terre avec ses racines, l’eau qui lui donne vie, l’air qui nourrit ses feuilles et le feu qui naît du frottement de son bois. Toutefois, l’arbre, depuis l’antiquité, est doté d’une grande charge symbolique, de son pouvoir nourricier (pour l homme et l’animal), de sa fécondité et de sa victoire sur la mort de par sa perpétuelle régénération. Par digression, on entend parler de l’arbre généalogique, de l’arbre des prophètes. L’arbre relie le visible et l’invisible, le monde chtonien et le monde ouranien. Etant un thème fort présent chez Tahar Ben Jelloun, l’arbre prend de multiples facettes et assure différentes fonctions : il est source de fantastique et de surnaturel, comme il est d’une grande charge symbolique et d’une grande vitalité dans le poétique et le romanesque de cet écrivain public qui opte pour le mélange de l’oral et du scriptural, pour l’enchevêtrement des thèmes et la pluralité des voix. 1- L’omniprésence de l’arbre : 1 Pour traiter ce thème, nous nous contentons de La Prière de l’absent, Cicatrices du soleil 1 sans oublier de faire des renvois à d’autres textes de Tahar Ben Jelloun. L’arbre n’est pas uniquement un composant géographique, un élément végétal qui fait partie de l’univers, il est, toutefois, un topos très cher à la fiction, à la religion, un élément dynamique, un actant et un personnage non négligeable. L’arbre est lié au quatre éléments, souvent mentionnés par Gaston Bachelard, à savoir l’eau, le feu, le vent et l’air. L’arbre est l’axe du monde et autour de lui s’organise le cosmos vivant, il est tout de même témoin des cycles de l’année, du caractère irréversible du temps Il est un être en perpétuelle évolution et en perpétuelle communication avec les trois niveaux du cosmos : le souterrain avec ses racines, la terre via son tronc et le ciel grâce à ses branches supérieures : « L’arbre se trouve associé aux eaux fertilisante, il est arbre de vie »2). Il ne faut pas oublier, chemin faisant, que l’arbre fournit un refuge permanent et un abri certain à l’humain et au bestiaire : les hommes en font une arme contre la chaleur, les oiseaux un lieu sécurisé pour la nidation et les reptiles rampent entre ses racines et ses branches. Bref, l’arbre résume tout l’univers, il est : « Refuge des bêtes, de la terre, avide d’air et de feu, il détient par toutes les religions de sacrées contradictions »3 Dés l’orée des Amandiers sont morts de leurs blessures 4 , titre éponyme de l’arbre, la première lettre évoque l’arbre dans un contexte de malaise politique par un rescapé arabe à Rafah, une lettre écrite par un père à son fils après avoir été chassé par les israéliens : « Un petit vent a emporté les racines de l’arbre » p.12, « Un arbre squelettique, sans feuilles, Sans matins ».p.25. 1 Tahar Ben Jelloun,- La prière de l’absent, Seuil, Paris, 1981 -Cicatrices du soleil, Maspero, Paris, 1976. 2 Gilbert Durand, les structures anthropologiques de l’imaginaire, Dunod, Paris, 1992, p.391. Ici, G. Durand parle de symbolisme ophidien, le serpent a un aspect animal et végétal : « le serpent est d’ailleurs enjoint à l’arbre »p.369. 3 Dictionnaire des littératures, Sous la direction jacques Doumougin, Larousse, paris, 1985, p.95 4 Tahar Ben Jelloun, Les amandiers sont morts de leurs blessures, Maspero, Paris, 1976. 2 L’arbre renvoie donc à l’identité déracinée et à la paix qu’incarne le plus souvent l’olivier : « En 1948, la guerre a traversée notre cham, l’olivier était calciné »p.14. Plus loin, l’arbre est à l’image de la misère, de la souffrance des peuples arabes lors de l’ère du colonialisme au début du 20ème siècle, il est parfois personnifié, il peut enfanter, penser, surgir. Il est aussi l’équivalent de mémoire, d’identité : « l’arbre est l’archétype de toute identité »5. L’arbre signifie donc la grandeur, le gigantisme comme c’est le cas du palmier, arbre millénaire, ancestral, qui, comme l’arganier (sud du Maroc), peut s’adapter à son écosystème, aux terres arides et au climat largement ensoleillé. Cicatrices du soleil fait hymne à la durabilité et la pérennité de l’arbre face à l’éclatement de la foule et à la contingence de l’homme : « Les rues se vendent et l’air se raréfie, survivent les arbres » p.10 Dans le même ordre d’idées, La Prière de l’absent forge un modèle exemplaire mais combien fertile de l’arbre, en l’occurrence l’olivier au début de la trame narrative, l’arganier et le figuier à la fin de la traversée du trio (Yamna, Sindibad et Boby) : ce sont des arbres tant ancrés dans le temps, dans les plaines, les montagnes et le désert au Maroc. Ces arbres deviennent des axes, voire des protagonistes de la fiction romanesque étant donné qu’ils génèrent le fantastique et le surnaturel et deviennent des ordonnateurs de la mission consistant à initier l’enfant sur la mémoire des ancêtres et du vieux cheikh Ma-al-Aynayn. 2-L’arbre comme garant du fantastique et du surnaturel : D’habitude, on parle de fantastique quand il n’y a pas de frontières entre le possible et l’impossible, entre le rationnel et l’irrationnel, quand il y a hésitation entre le caractère réel ou surréel des événements racontés. Le fantastique se caractérise par : « l’intrusion d’un événement insolite dans le cadre de la vie réel »6. Etant un monde de fascination, d’envoûtement et d’incertitude, le monde fantastique, d’après Todorov, fait de l’hésitation du 5 Dictionnaire des littératures, ibid, p.95. 6 Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Seuil, Paris, 1970, p.30. 3 lecteur et de l’insertion de la rupture deux conditions majeures pour semer le doute et l’ambiguïté : « Le fantastique crée une rupture, une déchirure dans la trame de la réalité quotidienne »7 Y a-t-il donc une littérature fantastique maghrébine ? Pour tenter de répondre à cette question, revenons un peu en arrière, à une littérature qui puise dans les Mille et une Nuits, à une narration qui vacille entre le merveilleux et l’étrange pour tarder la narration et donner vie et survie à Schéhérazade. Nous partons donc de ces brèves considérations sur le fantastique pour voir l’aspect fantastique de l’arbre chez Ben Jelloun, un arbre qui n’en reste pas moins insolite et surnaturel. Dans Cicatrices du soleil, l’arbre est, certes, objet et source de plaisir érotique comme en témoigne la réaction de l’agent d’autorité : « Il serrait l’arbre contre son ventre et poussait des râles de plaisir », p.130. Mais il finit par se métamorphoser en un vampire, en un être vengeur qui est lié au culte du sang et au monde des morts : « Et le sperme coulait sans cesse, épuisé par l’hémorragie, il tomba » p.131. De même, Dans La Prière de l’absent, il a foisonnement des symboles, du fantastique, du mystérieux et la métamorphose dans un espace sépulcral qui fait de l’arbre « l’olivier » l’origine, voir le théâtre de « la plus inattendue des traversées »,8 de la caravane du sud. En effet, après la naissance de l’enfant dans un espace réel (chapitre2), le chapitre 4 nous livre une naissance de l’enfant dans le cimetière Bab Ftouh, cet espace qui est perçu comme un village immobile et peu effrayant pour les protagonistes de l’errance : Yamna, Sindibad et Boby : « Cimetière de Bab Ftouh (…) un lieu paisible où coule un filet d’eau provenant d’une source protégée par le plus vieil olivier »p.47 7 Castex-Pierre Georges, Le conte fantastique en France, José Corti, 1951, p.8. 8 Amin Maâlouf, Léon l’africain, Librairie générale française, Paris, 1986, p.8 4 Une fois le décor est dressé, un décor propice au surgissement de l’insolite et par une sorte de subversion, les trois personnages élus par l’empire du secret apparaissent dans une atmosphère angoissante, d’inquiétante étrangeté et d’incertitude : « Gémissements entrecoupés du souffle de quelqu’un qui fait un effort » p.49. La source, le vent, la jument, le vieil olivier sont décrits de manière à susciter le doute, une manière qui en fait des actants du fantastique dans un univers de métamorphose : « des gémissements sont devenus des pleurs « p.53, d’où la naissance de l’enfant qui incite à hésiter entre le réel et le surréel : « Regarde Sindibad comme le ventre de l’olivier est tout fêlé » p.53. L’arbre est donc ce lien où s’opèrent les actes les plus incroyable, c’est l’univers du possible et de l’impossible, c’est un élément peu ou prou fantastique. L’arbre déclenche l’errance des trois protagonistes, c’est aussi le uploads/Litterature/ abderrahimtourchli-l-x27-arbre-dans-cicatrices-du-soleil-et-la-priere-de-l-x27-absent.pdf
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- Publié le Aoû 03, 2021
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