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http://journals.uvic.ca/index.php/sator Comment repérer et définir le topos ? De quoi s'agit-il ? Du topos dans ses manifestations narratives, non du lieu vide de la tradition rhétorique. D'un repérage textuel, propre au corpus formé par les fictions narratives des origines à 1789, en langue française. Pourquoi, dira-t-on, écarter les topiques aristotéliciennes, les topoi propres au théâtre ou à la poésie, à la littérature des XIXe et XXe siècles ou aux littératures étrangères ? Parce que cette mise à l'écart, provisoire d'ailleurs, permet seule, par la — très relative — modestie du corpus restant, d'approcher une définition qui puisse servir d'outil de précision dans un travail collectif de recherche sur la formation du roman. La définition et les procédures de repérage ici proposées ne se veulent donc qu'expérimentales. Ce n'est qu'en superposant les textes narratifs, en les lisant comme par transparence, que l'on peut voir se dessiner les topoi propres au genre romanesque, puisse définir l'idée [idea] de topos spécifique. D'où cette proposition de définition, en cours d'expérimentation, du topos comme configuration narrative récurrente. I. Une configuration narrative récurrente 1) Narrative : A. Le topos ne peut pas se résumer en un mot tel que « secret » ou « maladie » ou « masque » ; il ne peut se résumer que par une phrase, ou un très petit groupe de phrases rassemblant ses divers éléments, justement parce qu'il est narratif, donc qu'il raconte. La récurrence chez Scarron et chez Challe1 permet par exemple de repérer le topos suivant : « le héros devient amoureux d'une dame spirituelle, dont le visage est masqué ou invisible, qui se révèle ensuite belle et riche et qu'il épouse ». Par commodité on pourra appeler ce topos « la dame masquée », mais cette facilité de repérage est un abus de langage si la phrase-topos ne suit pas aussitôt. De même pour cet autre topos : « le narrateur dit qu'il ne sait pas ». Ce topos, repéré chez Scarron et Diderot2, pourrait être 1 Scarron, Le Roman comique, p. 87-102. Il s'agit de la nouvelle de l’amante invisible. Robert Challe, Les Illustres Françaises, épisode de la rencontre de Mme de Londé et de Dupuis. 2 Pierre Rodriguez (Université de Montpellier III, centre d'études du XVIIIe siècle) dans un article inédit de 1988, « Frantext et les topoi : petits enseignements d'une expérience », a pu répertorier, grâce à la banque Michèle Weil http://journals.uvic.ca/index.php/sator 2 nommé « narrateur innocent » ou « ignorant », par commodité, en particulier pour une exploitation informatisée. Dans ce travail de repérage et de nomination, il s'agit de pragmatisme et d'intelligence collective : pour qu'un groupe de mots ou une phrase-définition soient reconnus et publiés comme « topoi », il faut l'initiative d'un chercheur, suivie de vérification et de reformulation éventuelle dans l'équipe de recherche, aboutissant à une harmonisation avec les résultats déjà obtenus et avec les propositions des autres équipes. La phrase-topos ou sa nomination abrégée pourront toujours être modifiées si la collectivité des chercheurs le juge nécessaire, jusqu'au moment où, pour l'exploitation informatisée, un consensus instituant en fera une « vérité » instituée. Mais existe-t-il d'autres « vérités » ? B Je propose donc la narrativité comme l'une des trois composantes de la définition du topos. J'en distingue deux formes d'actualisation : le « micro-récit » et la « séquence narrative ». Dans le cas de la belle dame masquée et spirituelle, dans Le Roman comique et dans Les Illustres Françaises, il s'agit d'un micro-récit, isolable comme tel, avec ouverture et clôture, dont les éléments sont répartis au long d'un texte narratif, — histoire, conte, nouvelle, épisode romanesque ou roman entier —, comme dilués dans le grand récit. En voici un autre exemple, découvert par Muriel Brot: Sorel et Scarron3 exploitent le topos des « serviteurs voleurs de leur maître et amoureux » : « Dans une même maison un serviteur et une servante, amants ou fiancés, partent de nuit avec les économies de leur maître, lequel découvre l'escroquerie au petit matin ». Il s'agit nettement d'une configuration narrative récurrente, d'un topos de type « micro-récit ». Pierre Rodriguez l'a repérée dans Manon Lescaut également4. Dans d'autres cas, le topos est constitué d'éléments concentrés sur une seule page ou un seul paragraphe, une séquence narrative : par exemple le topos de l'évanouissement de de données Frantext (INALF), toutes les occurrences de la forme « je ne sais » dans La Religieuse de Diderot,— c'est l'une de ses expériences, parmi d'autres, d'interrogation de l'ordinateur —, ce qui lui permet d'envisager une étude renouvelée du topos du « narrateur innocent ». 3 Scarron, Le Roman comique, p. 169 ; Sorel, Histoire comique de Francion. 4 P. Rodriguez, voir note 2. Topiques, Études satoriennes 2 (2016) http://journals.uvic.ca/index.php/sator 3 joie lors de retrouvailles : « incapables de parler tant ils sont émus, les amants s'évanouissent plusieurs fois et longtemps » : le topos, que je suppose fréquent dans les romans du XVIIe siècle, se repère dès le roman grec de Chariton et chez Robert Challe : dans les deux cas les éléments du topos sont rassemblés dans un seul paragraphe5. De même encore pour « la rêverie du héros ou de l'héroïne dans un lieu agréable »6. Un même topos peut se déployer en micro-récit ou se condenser en séquence narrative. C'est ce que prouve une étude de Muriel Brot sur le topos du « vaillant guerrier qui déconfit rapidement ses nombreux ennemis ». En 1776, la BUR7 récrit un épisode rabelaisien : « [...] Frère Jean des Entomeures veut du moins garantir le clos ; il se saisit du bâton de la croix, fond sur les ennemis, et en fait une grande déconfiture ». Ce qui est devenu une séquence narrative dans la BUR est un micro-récit chez Rabelais, puis chez Scarron, où se repère un même noyau dur, non modifié par les variables8. 2) Récurrente : Mettons l'accent sur la « récurrence », deuxième élément essentiel de la définition. Il ne s'agit pas, en effet, d'analyse actantielle ou structuraliste. Il s'agit d'histoire, dans la longue durée. Le topos ne peut se définir que comme historique et diachronique, par sa situation dans l'histoire de la littérature. A. La configuration narrative est à l'origine invention, jaillissement, source, création. Lors de sa première manifestation, le topos n'est pas un topos. La configuration narrative ne se qualifie comme topos qu'à sa deuxième manifestation, dans le texte d'un autre auteur, et ne s'affirme puis ne se confirme comme tel qu'à la troisième, chez un troisième 5 Voir dans le présent article l'exemple de « fiche de topos » : « l'évanouissement de joie ». 6 Le topos « descriptif », s'il est situé dans un contexte narratif — et non dans un poème ou dans un traité de géographie —, doit se définir, si l'on veut être précis, comme narratif : le « lieu agréable » n'est pas le même topos selon qu'une jeune fille vient y rêver à son mariage ou qu'un groupe d'amis vient y faire un joyeux banquet. 7 Rabelais, Gargantua, chap. XXVII ; Scarron, Le Roman comique, p. 71. 8 Muriel Brot (Université de Montpellier III, centre d'études du XVIIIe siècle), à qui je dois ces remarques, achève sa thèse sur la B.U.R. : la Bibliothèque universelle des romans publie des réécritures des textes narratifs des XVIe et XVIIe siècles. Michèle Weil http://journals.uvic.ca/index.php/sator 4 auteur, un quatrième, etc., l'ultime confirmation étant d'être désigné topos par le texte parodique d'un autre auteur ! Un topos désigné par un chercheur avec une seule référence à l'appui sera donc un topos supposé. Dès maintenant, le travail d'équipe se révèle d'une surprenante fécondité en ce sens. Ainsi Michel Bideaux a supposé le topos du « Prince égaré à la chasse » dans « Le juge de sa propre cause », une des nouvelles intégrées dans le roman de Scarron, topos qu'il a repéré dans de nombreuses compilations du XVIe siècle 9; Muriel Brot en le désignant dans une nouvelle de Marguerite de Navarre, et Pierre Rodriguez en le montrant repris par Perrault l'ont ainsi confirmé10. Autre exemple de ce passage du topos supposé au topos confirmé : Michel Bideaux propose le topos des « habits pauvres, soulignant paradoxalement, au lieu de les dissimuler, la beauté ou la noblesse »: « Un jeune homme aussi pauvre d'habits que riche de mine », « Mademoiselle de l'Etoile paraissant plutôt fille de condition qu'une comédienne de campagne », « La pauvreté de leurs habits ne lui cachant point la riche mine du plus jeune », « air majestueux » de la femme « que ne put cacher aux yeux de ceux qui l'admirèrent un méchant habit d'esclave »11. L'archétype de ce topos est sans doute à chercher dans le roman grec de Chariton, Chairéas et Callirhoé, du 1er siècle après J .C. : Callirhoé, fille de grande famille grecque, vendue comme esclave, est remarquée du roi acheteur pour sa beauté et sa noblesse de manières, signes d'une haute naissance selon lui12. 9 Michel Bideaux a soutenu sa thèse uploads/Litterature/ 16083-texte-de-l-x27-article-14830-1-10-20160818.pdf
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- Publié le Mar 26, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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