1 ©Laurent Jenny 2011 LES FIGURES D’ANALOGIE Introduction 1. Les fondements de
1 ©Laurent Jenny 2011 LES FIGURES D’ANALOGIE Introduction 1. Les fondements de l’analogie 1.1. Les fondements psychologiques de l’analogie 1.2. Les fondements culturels de l’analogie 1.2.1. Les concepts métaphoriques 1.2.2. Concepts métaphoriques et métaphores créatrices 1.2.2.1. Métaphores innovantes par prolongement des parties utiles de la métaphore 1.2.2.2. Métaphores innovantes par exploitation des parties non-utiles de la métaphore littérale 1.2.2.3. Métaphores entièrement innovantes 1.2.3. Les métaphores littéraires et l’innovation 2. Les modes de présentation de l’analogie 2.1. L’énoncé de ressemblance 2.2. La comparaison 2.2.1. Comparaisons littérales 2.2.2. Comparaisons non littérales 2.2.3. Usages exemplatifs du « comme » 2.3. La métaphore in praesentia 2.3.1. La relation prédicative avec le verbe être 2.3.2. L’apposition 2.3.3. Le tour appositif introduit par « de » 2.4. La métaphore in absentia 2.4.1. La relation sujet-verbe ou verbe-complément 2.4.2. La détermination adjectivale 2.5. Les métaphores indécidables 3. La fonction des analogies 3.1. La conception substitutive des analogies 3.2. La conception inférentielle des analogies 3.3. Le guidage du déchiffrement des analogies Conclusion Bibliographie 2 Introduction La perception des analogies est réputée être une affaire de poètes, mais elle n’est pas seulement une affaire de poètes, parce que la perception des ressemblances est une donnée anthropologique générale. Nous sommes tous cognitivement « équipés » pour « voir le semblable » sans formation culturelle spécifique, sans éducation particulière. En ce sens nous sommes tous virtuellement poètes, si j’en crois Aristote qui dit (Poétique, ch. 22) : « Bien faire les métaphores, c’est voir le semblable ». 1. Les fondements de l’analogie On peut penser qu’il y a, indémêlablement, des fondements psychologiques et culturels à notre aptitude à percevoir le semblable. 1.1. Les fondements psychologiques de l’analogie L’une des raisons « naturelles » pour lesquelles nous sommes sensibles aux analogies, c’est que notre perception est synesthésique, c’est-à-dire que les différents sens ne sont pas séparés mais s’évoquent l’un l’autre. Lorsque Baudelaire écrivait que les sons, les parfums et les couleurs « se répondent », il ne décrivait pas une fantaisie de poète mais plutôt une expérience commune. C’est aussi l’avis, au 20e siècle, d’un philosophe comme Maurice Merleau-Ponty, ami de Sartre et auteur de La Phénoménologie de la perception (1945). Merleau-Ponty insiste sur le fait que la perception synesthésique n’est pas une exception mais qu’elle est « la règle » : Les sens communiquent entre eux en s’ouvrant à la structure de la chose. On voit la rigidité et la fragilité du verre et, quand il se brise avec un son cristallin, ce son est porté par le verre visible. (…) De la même manière, j’entends la dureté et l’inégalité des pavés dans le bruit d’une voiture et l’on parle avec raison d’un bruit « mou », « terne » ou « sec ». (p.265) Bref, « la perception sensorielle réunit nos expériences sensorielles en un monde unique » (p.266). Voir, c’est en même temps entendre et toucher. Proust dit lui aussi que la vue est « le délégué des autres sens » : voir, c’est déjà toucher, respirer, palper. Dans 3 cette correspondance entre sensations, il y a bien entendu la source de beaucoup des métaphores qui nous viennent spontanément à l’esprit : une couleur est « criarde » comme un son, un bruit est « sec » comme une matière, une saveur est « capiteuse » comme un parfum, etc. Décrire ces correspondances par des métaphores, ce n’est donc pas faire une « opération poétique » particulière, c’est être « réaliste », se tenir au plus près de la perception. Et les métaphores usuelles du langage commun en sont des témoignages. 1.2. Les fondements culturels de l’analogie Mais, bien entendu, nous vivons aussi dans un monde de culture où les correspondances que nous établissons entre les choses sont également apprises et transmises. On peut appeler « univers symbolique », l’ensemble des associations (notamment analogiques mais pas seulement) qui sont propres à une culture donnée. Selon George Lakoff et Mark Johnson, les auteurs d’un important ouvrage paru en 1989, Les Métaphores dans la vie quotidienne, la pensée analogique n’est nullement une exception ou un écart dans nos modes de pensée. La métaphoricité serait un processus antérieur au langage et caractéristique de la pensée elle-même. Si nous pensons par métaphores, c’est d’abord et souvent parce que nous en avons besoin pour nous représenter facilement et concrètement des entités abstraites irreprésentables. C’est particulièrement vrai de notre représentation du temps. J’ai déjà évoqué la spatialisation du temps qui nous permet de nous représenter notre situation dans le temps (et en faisant un mobile qui bouge par rapport à nous : « le temps est passé », « je cours après le temps »). Ou parfois comme un « objet » par rapport auquel nous pouvons nous déplacer. Lorsque Proust évoque « le temps retrouvé », il en parle dans les termes d’un objet perdu, resté en un lieu qu’on ignorait et qu’on redécouvre intact en ce lieu, par hasard. Sans doute par là, nous ne présupposons pas que le temps est véritablement de l’espace, mais que c’est la meilleure façon de réfléchir sur lui, de nous situer. La même notion peut d’ailleurs participer de plusieurs métaphorisations concurrentes. S’agissant du temps, dans notre culture, non seulement le temps est de l’espace, mais le temps est aussi de la valeur économique. « Time is money ». D’où un ensemble de métaphorisations de l’usage du temps en termes économiques : « je gagne du temps », « je gaspille mon temps » 4 1.2.1. Les concepts métaphoriques Les valeurs les plus fondamentales et inconscientes d’une culture sont exprimées par ce que Lakoff et Johnson appellent un ensemble de « concepts métaphoriques ». Un concept métaphorique est constitué d’une métaphore-noyau fondamentale et d’un système de métaphores qui la particularisent, Par exemple dans notre culture il y a une valorisation d’une certaine position spatiale, le « haut », comme étant le « positif » social. Altitude et prestige sont donnés pour analogues. On pourrait le résumer par une formule du type : le haut est le bien. Ce concept métaphorique fondamental est décliné à travers tout un ensemble de métaphores dérivées que nous ne percevons évidemment plus comme des métaphores (dans le vocabulaire de la rhétorique classique ce sont des métaphores éteintes ou encore des catachrèses). Comme exemple de ces métaphores dérivées on pourrait mentionner : « l’ascension sociale », « être au sommet de sa carrière », « s’élever à la force du poignet », « avoir une position éminente », « être au top niveau », etc. Ces métaphores peuvent nous sembler si habituelles qu’elles nous apparaissent naturelles. Mais, il n’en est évidemment rien. Pour en prendre conscience, il suffirait que nous imaginions des cultures qui adoptent une autre symbolique spatiale. Il en a existé : en Chine ancienne, l’Empire du milieu, le « centre » est en tout cas doté d’une valeur qu’il n’a jamais eue dans la culture occidentale. A partir de là imaginons une correction de nos métaphores de l’accomplissement social : au lieu de « parvenir au sommet de sa carrière » on dirait « parvenir au centre de sa carrière », etc. Ce que nous livre l’analyse des concepts métaphoriques d’une culture donnée, c’est son espace symbolique. Comprenez par là l’ensemble des représentations qu’elle associe les unes avec les autres (essentiellement par analogie mais pas seulement : par exemple dans la culture occidentale, le « blanc » est associé à la virginité et à la pureté, en Asie, il a pu l’être avec la mort et le deuil – mais il est évident que le « blanc » ne ressemble ni à l’une ni à l’autre). Prenons un autre semple de « concept métaphorique ». Dans notre culture, « le débat argumentatif est une guerre ». Cette équivalence est d’ailleurs inscrite dans le lexique à travers l’étymologie d’un mot comme « polémique » (dérivé du mot grec « polemos », la guerre). Mais on en trouve des traces dans tout un système de métaphores dérivées ou plutôt spécifiées : « ses arguments sont indéfendables », « il a attaqué mon raisonnement », « j’ai démoli sa thèse », « sa démonstration a fait mouche », etc. Un concept métaphorique consiste donc à redécrire un concept dans les termes d’un autre. Il y a une valeur cognitive de cette superposition. L’analogie permet de dégager un certain nombre de 5 traits du concept premier, mais inévitablement, elle en occulte d’autres. Si je reviens sur la redescription de la discussion comme une guerre, ce concept métaphorique met en lumière les rapports de force qui sont impliqués par tout débat rationnel, mais on pourrait dire qu’il en masque les aspects coopératifs. Le dégagement d’une vérité est profitable à tout le monde, il est susceptible de neutraliser des oppositions. Socrate, lorsqu’il décrivait sa méthode comme une « maïeutique », c’est-à-dire un « accouchement » de la vérité, proposait en fait un changement de métaphore. Celui qui mène la discussion ne cherche pas à « vaincre » mais à faire advenir chez l’autre, une vérité qu’il détient uploads/Litterature/ 15-les-figures-danalogie.pdf
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- Publié le Mai 21, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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