Exégèse et analyse structurale QUELQUES REFLEXIONS DE THEOLOGIEN Depuis cinq an
Exégèse et analyse structurale QUELQUES REFLEXIONS DE THEOLOGIEN Depuis cinq ans surtout, les méthodes d'analyse structurale appli- quées dans les sciences humaines ont fait leur apparition en théo- logie, et en tout premier lieu en exégèse1. Par-delà un phénomène de mode, vite dépassé, un champ très vaste s'est ouvert à la recherche. Des méthodes se précisent, des procédures nouvelles s'affinent, par- fois déroutantes pour le profane, des résultats sont proposés, souvent surprenants. Le théologien ne peut se désintéresser de ce travail,, qui concerne son domaine à un double titre. Tout d'abord, si un nouvel instrument se montre fécond dans l'étude des textes, c'est une tâche éminemment théologique de l'appliquer à l'Ecriture pour mieux la comprendre. Mais nous savons qu'il n'existe pas de méthodes neutres : les approches structurales sont plus ou moins liées à autant de « systèmes » structuralistes, parfois fort peu compatibles avec une vision chrétienne de la réalité. Leur utilisation requiert donc un discernement, proprement théologique lui aussi. Cette problématique suggère le plan d'un exposé qui ne présu- merait pas chez le lecteur une trop vaste érudition : I. Comment ca- ractériser l'approche structurale des textes ? II. Comment diverses méthodes d'analyse structurale sont-elles appliquées en théologie et surtout en exégèse ? III. Quelles réflexions ces pratiques inspirent- elles au théologien ? I. — Un certain regard sur les choses « Structuraliste » est une épithète vague. On l'accole à une série de tendances assez semblables apparues depuis quelques décennies dans les diverses sciences de l'homme, c'est-à-dire dans les domaines du savoir qui systématisent tel ou tel ensemble, plus ou moins bien délimité, de produits spécifiquement humains comme les langues, 1. La bibliographie la plus commode sur le sujet a paru dans le numéro spécial des Etudes théotogiques 'et religieuses 48 (1973) 81-119. Cf. aussi G. SCHIWY, Structuralisme et Christianisme (cf. infra, note 23), p. 188 (biblio- graphie, p. 181-183) ainsi que la bibliographie plus spécialisée, ordonnée et commentée de J.-Y. HAMELINS, Lectures en. sémiologie. Bibliographie sélective, dans La Maison-Dieu, 114 (1973), 59-67. Le volume de Cl. CHABROL et L. MARIN, Le récit évangéîique, cité plus loin (note 33) contient également une bibliOgra- nhia „ l;«n;too à 1 1 eam;i->^;n<la ^>;kl;n<l<»* < r. 7AO-W> SXÉGÈSS BT Aîs'AlA'sa STRUCTURAIS 319 les œuvres écrites, les institutions sociales, les récits mythiques ou même le discours de l'inconscient tel que la psychanalyse s'efforce de le reconstituer. Dans tous ces domaines, on trouve des chercheurs qui portent sur leur objet un regard nouveau. Au lieu de l'organiser en lui imposant des lois empruntées à une logique plus ou moins universelle, et par là même trop générale pour révéler le fonctionnement précis du domaine étudié (car qui sait, par exemple, si l'évolution d'une langue à travers les âges s'opère logiquement ?), ils s'efforcent de saisir sur le vif des organisations échappant à la conscience des hommes qui parlent, qui écrivent, qui construisent des mythes ou instituent des règles sociales. Bref ils veulent découvrir les arrange- ments inconscients qui président aux créations de l'homme, en faire apparaître les « structures » e. Le domaine par excellence où cette méthode s'est trouvée elle- même, servant ensuite de modèle que l'on transpose tant bien que mal aux autres sciences humaines, c'est la linguistique 3. A ses pre- miers pas, la science du langage avait cherché des correspondances naturelles entre les mots et les choses, comme si la parole devait ressembler à l'expérience, un peu à la manière du cri. Mais on ne pouvait aller bien loin dans cette voie : la réalité-arbre n'a pas plus d'affinité avec le mot arbre qu'avec le mot Boum, ou tree... Il fallait donc accorder plus d'attention au matériau verbal pris dans sa complexité et son efficacité fonctionnelle. C'est à partir de là qu'on en vint peu à peu à postuler, puis à vérifier l'existence d'un schéma combinatoire propre à chaque langue, et parfaitement arbitraire par rapport à tout ce qui est extérieur à son propre système. Le prin- cipal initiateur en ce domaine fut le linguiste suisse Ferdinand de Saussure (1857-1913) 4. Les principes qu'il a posés ou ceux qui en découlent directement restent déterminants aujourd'hui encore pour définir ce qu'on pourrait appeler une perspective structurale. 1. Celle-ci examine des ensembles finis, par exemple une langue, un corpus de textes. De ce point de vue, la langue est en position avantageuse, car si les discours possibles dans une langue donnée sont en nombre illimité, les 2. Si l'on parle aujourd'hui d'une génération post-structuraliste, cela ne signifie pas que la problématique elle-même ait fait son temps. Une fois éliminées certaines outrances unilatérales, les chercheurs continuent leur travail. 3. L'histoire de la linguistique moderne est remarquablement racontée par Oswald DUCROT, dans Qu'est-ce que le structuralisme ?, édit. Fr. WAHL, Paris, Seuil, 1968, p. 13-96 (« Le structuralisme en linguistique »). 4. Ferdinand DE SAUSSURE, Cours de linguistique générale, édité en 1916 par Charles BAIAY et Albert SECHEHAYE. Ces deux collègues de Saussure ont fondu en une seule rédaction des notes d'étudiant? prises aux cours donnés à Genève en 1907, 1908-1909 et 1910-1911, ainsi que quelques notes manuscrites. L'influence du Cours sur la linguistique est immense (cf. dans l'édition du Cours par Tullio DE MAURO, coll. Pavolhèaue, Paris, Payot, 1972, o. 366-381). 320 p. TIHON, S.J. règles que ces discours mettent en œuvre pour produire du sens, une gram- maire, une syntaxe, sont en nombre relativement restreint. L'objet de la linguistique n'est pas le discours individuel effectivement proféré (la « per- formance», la «parole» au sens de Saussure), mais l'ensemble des habitudes linguistiques qui permettent à des sujets de comprendre et de se faire com- prendre (la langue) ou la capacité, la « compétence » distincte de l'exécution, et vue comme une réalité sociale. 2. Pour analyser la langue il faut la découper en ses éléments : mais ceux-ci sont indissociables du système. Ils n'existent pas à l'état isolé, mais s'observent en des séries où l'on relève similitudes et différences. Ainsi faire et défaire se délimitent mutuellement, mais aussi poisson et poison : une différence n'est «pertinente» dans la langue que lorsqu'à une différence de son correspond une différence de sens. Les variations d'accent, le « ton » qui fait la chanson ne font pas partie du « système ». L'application la plus nette de ce principe se trouve en phonologie. Celle-ci n'observe pas de sons, mais des différences de sons, des écarts pertinents. Mais il en est de même en sémantique : le sens d'un mot ne s'établit pas simplement par corrélation avec une chose, mais par référence aux autres mots, proches par le son et le sens et cependant distincts. La langue n'est pas un reflet du monde, mais un code de communication. Et comme en tout code, il n'importe pas que ses éléments soient signifiants en eux-mêmes : ils peuvent être parfaitement arbitraires, pourvu qu'ils soient distinctifs. Que le « feu rouge » soit rouge est sans importance, mais il est capital qu'on puisse le distinguer du feu vert. 3. Enfin, le système étudié doit faire abstraction de l'histoire, du moins en un premier temps. En effet, si par exemple les langues évoluent, on ne peut comprendre cette évolution qu'en comparant deux états du système et en obser- vant ensuite l'ensemble des règles selon lesquelles s'opère le passage du premier état au second. En d'autres termes, l'étude synchronique doit logiquement pré- céder toute étude diachronique. Sous cet éclairage, l'utilisation de la langue apparaît comme un jeu dans lequel, de même qu'aux échecs, le parleur ne dispose jamais, à chaque instant de son discours, que d'un nombre limité de possibilités, définies par ce qui a déjà été dit et circonscrites plus largement par la structure ou le système de la langue utilisée. Telle est la structure qu'il s'agit de dégager, non pas, encore une fois, en découpant des unités signifiantes isolées, mais en faisant apparaître des relations entre les termes. Cette organisation régente l'échange intersubjectif et rend possible la communication, qu'on le sache ou non. Ce que Saussure avait fait ou du moins proposé comme programme pour la linguistique, Claude Lévi-Strauss, voulut l'appliquer à l'ethnologie. En 1949, pour comprendre les règles selon lesquelles, en diverses sociétés, le mariage se trouvait prescrit ou interdit, il avait été amené à construire des modèles mathématiques et avait observé, en deçà des explications que les intéressés pouvaient donner eux-mêmes, la présence d'un système inconscient ayant pour résultat « d'assurer l'intégration des familles biologiques au groupe social » 5. Dès ce moment, il avait comparé sa méthode à « celle du linguiste phonolo- gue » et observé que les relations entre les sexes peuvent être conçues comme des modalités d'un grande « fonction de communication » 6 : les femmes, comme les paroles, sont des choses qui s'échangent7. 5. Claude LÉVI-STRAUSS, Les structures élémentaires de la parenté, Paris, P.U.F., 1949, p. 611 (nouv. édit. La Haye-Paris, Mouton, 1967). 6. Ibid., p. 613. 7. Ibid., p. 616. EXÉGÈSE SI ANALYSE STRUCTURALE 321 C'est sans doute le petit livre de Claude Lévi-Strauss sur La pensée sauvage qui mit uploads/Litterature/ 1158-exegese-et-analyse-structurale-quelques-reflexions-de-theologien-pdf.pdf
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- Publié le Jan 14, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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