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Tous droits réservés © Les Presses de l’Université de Montréal, 2015 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 30 avr. 2020 17:11 Études françaises Passages d’innocence : la différence photographique dans l’oeuvre de Jacques Derrida Silvana Carotenuto Toucher des yeux. Nouvelles poétiques de l’ekphrasis Volume 51, numéro 2, 2015 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1031232ar DOI : https://doi.org/10.7202/1031232ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Presses de l’Université de Montréal ISSN 0014-2085 (imprimé) 1492-1405 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Carotenuto, S. (2015). Passages d’innocence : la différence photographique dans l’oeuvre de Jacques Derrida. Études françaises, 51 (2), 119–145. https://doi.org/10.7202/1031232ar Résumé de l'article Cet article présente une lecture d’ensemble des différents textes que le philosophe a consacrés à l’art et à la technique de la photographie, de l’oraison funèbre dédiée à Roland Barthes (1981) à ses derniers textes brefs accompagnant Diaspora. Terres natales de l’exil de Frédéric Brenner (2003). Le texte aborde quelques-uns des motifs liés aux questions de la métonymie, du dé/montage comme dé/limitation de la représentation, de la vérité, des temporalités et espaces du développement, de la célébration et du rituel de l’art photographique. Derrida fait rarement usage de l’ekphrasis aux dépens des photographies qu’il lit ; il écrit plutôt la « graphie de la lumière », avec sa référentialité complexe, ses retours spectraux, à travers des effets et des affects déconstruits, à l’intérieur des demeures fragiles et vulnérables qu’elle illumine : telle est la différence de l’interprétation derridienne des images et de la vision. Passages d’innocence : la différence photographique dans l’œuvre de Jacques Derrida silvana carotenuto Lui – écrire, faire à l’ami mort en soi présent de son innocence. Jacques Derrida, « Les morts de Roland Barthes1 ». Elle fait bouger une langue qui se dérobe devant la caméra, elle la met à nu dans ses mouvements indécis, inachevés, innocents et per- vers à la fois […]. Jacques Derrida, « Aletheia2 ». […] peut-être, un « nous » peut protester […], nous pourrions protes- ter innocemment de notre innocence […] un vivant innocent qui à jamais ignore la mort : en ce nous nous sommes infinis […]. Jacques Derrida, Demeure, Athènes3. Au commencement – déclic ou cliché – de notre traversée des textes que Jacques Derrida a consacrés à l’art et à la technique de la photo- graphie, du passage du désir d’un don d’écriture innocente à l’ami dis- paru, à travers les perturbations et les altérations de l’innocence d’un 1. Jacques Derrida, « Les morts de Roland Barthes », dans Chaque fois unique, la fin du monde, textes présentés par Pascale-Anne Brault et Michael Naas, Paris, Galilée, coll. « La philosophie en effet », 2003, p. 70. Dorénavant désigné par la lettre M, suivie du numéro de la page. 2. Jacques Derrida, « Aletheia », dans Penser à ne pas voir. Écrits sur les arts du visible (1979-2004), Ginette Michaud, Joana Masó et Javier Bassas (éds), Paris, Éditions de la Différence, coll. « Essais », no 82, 2013, p. 261. Dorénavant désigné par la lettre A, suivie du numéro de la page. 3. Jacques Derrida, Demeure, Athènes, photographies de Jean-François Bonhomme, Paris, Galilée, coll. « Écritures/Figures », 2009, p. 56. Dorénavant désigné par la lettre D, suivie du numéro de la page. C’est Jacques Derrida qui souligne. Sauf indication contraire, ce sont toujours les auteurs qui soulignent. 120 tudes franaises • 51, 2 modèle, jusqu’à la « dénonciation » ou à la « protestation » d’une inno- cence défendue par nous tous, il nous avait semblé qu’il était possible de montrer le « tout » d’une telle « aventure », le comme si d’une fiction ou d’une tentative impossible, la pulsion de totaliser (et de ressembler) n’étant jamais à écarter parce qu’inscrite, encore et toujours, dans le pouvoir, le vouloir et le savoir-regarder4. La photographie : la lecture de Derrida est rythmée par des passages ou des déclics instantanés. La première rencontre a pour cadre « Les morts de Roland Barthes », un hommage triste pour la disparition de l’ami, mais béni par le sourire de la mère dans la « Photographie du Jardin d’Hiver » ; suit la « Lecture » du « chef-d’œuvre » Droit de regards, de la photographe belge Marie- Françoise Plissart, si original qu’il requiert l’invention d’une langue pour en approcher les expérimentations ; arrive, des années plus tard, l’œuvre japonaise de Kishin Shinoyama, Light of the Dark, dont Derrida s’éprend dans le splendide « Aletheia » ; puis les « stills » derridiens se font les intimes des photographies de Jean-François Bonhomme dans Demeure, Athènes et se laissent intimer par leur art la venue d’inter- prétations toujours nouvelles et à-venir. Enfin, et comme depuis le début la musique en a rythmé, avec le silence et le mutisme, la pas- sion, Derrida conclut son voyage photographique par une « coda » qui célèbre, tout en la rompant – au cœur des « petits essais », « sans titre », il y a le révélateur de la « puissante machine photographique » (L, iii) –, la sacralité de l’œuvre de Frédéric Brenner consacrée à Diaspora. Terres natales de l’exil5. Dans l’exposition à l’impossible continuité, à l’ampleur et à l’inten- sité de ces passages et déclics dans l’œuvre et les opérations de Derrida, 4. Jacques Derrida insiste : « Un trait n’est jamais simplement tiré sous le désir de ras- sembler, il le traverse et s’y divise, c’est tout. Ne niez donc pas ce désir, il commande encore le regard, et l’économie rhétorique […] ». Cf. Marie-Françoise Plissart, Droit de regards, suivi d’une « Lecture » de Jacques Derrida, Paris, Éditions de Minuit, 1985, p. xxiv ; rééd., Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, coll. « Traverses », 2010, p. xxxii. Dorénavant désigné par la lettre L, suivie du numéro de la page. Nous citons ici la première édition. 5. Jacques Derrida, « Les morts de Roland Barthes » (1981), dans Chaque fois unique, la fin du monde ; « Lecture », dans Marie-Françoise Plissart, Droit de regards ; « Aletheia » (1993), dans Penser à ne pas voir (d’abord paru dans « Nous avons voué notre vie à des signes », Bordeaux, William Blake & Co, Edit. 1996 ; cité ici dans l’édition parue dans Penser à ne pas voir) ; Demeure, Athènes (d’abord paru sous le titre « Demeure, Athènes. Nous nous devons à la mort », dans Athènes à l’ombre de l’Acropole, photographies de Jean-François Bonhomme, éd. bilingue, trad. grecque Vanghélis Bitsoris, Athènes, Éditions Olkos, 1996) ; 14 fragments, sans titre, dans Frédéric Brenner, Diaspora. Terres natales de l’exil (volume Voix), Paris, Éditions de La Martinière, 2003 (cité ici dans l’édition de Penser à ne pas voir, p. 272-298 ; dorénavant désigné par la lettre R, suivie du numéro de la page). 121 passages d’innocence en vérité, se produisait quelque chose de radicalement différent (il appellerait cela le « différentiel ») par rapport à l’intention initiale : dans la recherche du « tout », nous nous retrouvions exposée à une opéra- tion (de nombreuses opérations) où le « tout » se retirait sans cesse, attiré par son propre « retrait », à l’intérieur d’une écriture fragmentée, à plusieurs voix, parfois muettes, parfois en con-di-vision ou partage avec des « chants silencieux » et des « pupilles d’yeux » rêveuses – le caractère visionnaire de la pellicule, le développement du négatif, la mutation, toujours déjà inscrite par nature, les temps du développe- ment, les révélations, les épreuves et les témoignages des secrets, des énigmes et des « miracles » de l’art et de la technique de la photogra- phie6. Si ce n’était le « tout », qu’est-ce qui nous était alors offert, à l’intérieur du rythme instantané qui donnait sa cadence à l’« écriture de lumière » des œuvres exposées à la « lecture » derridienne, à travers le don, la perturbation et la protestation de son et de notre innocence ? Un sens (mot que Derrida n’aurait pas aimé, parce que trop lié à la perception, à la sensibilité, à l’« esthétique », sinon encore en raison de « la disparité foncière, archi-originelle des/du sens7 » qui ne se soumet à aucune catégorie du savoir, de la méthode et du régime théorique), le sens de la « dissémination » est, peut-être, venu conclure notre aventure, destinée à retracer le voyage de l’« écriture de lumière » de Derrida8. Non plus au commencement ni seulement dans l’exposition aux inven- tions déconstructives9 mais à la fin, un après-coup photographique, le 6. Dans Copy, Archive, Signature: A Conversation on Photography (2000) (introduction et édition de Gerhard Richter, trad. angl. Jeff Fort, Stanford, Stanford University Press, 2010), uploads/Litterature/ 1031232ar-pdf.pdf

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