1 Introduction aux grandes théories du théâtre, Jean-Jacques Roubine I. Aristot
1 Introduction aux grandes théories du théâtre, Jean-Jacques Roubine I. Aristote revisité 1. Aperçus sur la Poétique Les théories théâtrales du XVIIe s. cherchent à aider le dramaturge à répondre aux critères d’Aristote. Foisonnement exégétique à partir d’un texte lacunaire et incohérent. Une dramaturgie du vraisemblable : importance de l’action ; représenter non le réel mais le possible délimité par le vraisemblable et par le nécessaire. Le vraisemblable : l’expérience commune, le plausible pour un groupe donné à une époque donnée, notion d’opinion commune importante au XVIIe s. La persuasion : repose sur un système de croyances donné (il faut donc exclure l’irrationnel) qui repose, selon Aristote, uniquement sur le texte, c’est-à-dire du récit. La représentation est irrécusable et le récit incertain. Le merveilleux est par exemple uniquement relaté chez Racine. Aristote dévalorise le spectacle, supériorité du poème dramatique sur les autres composantes du théâtre. L’avéré et le persuasif : Aristote exclut aussi le monstrueux (différent de l’effrayant) qui engendre l’incrédulité et l’horreur. L’esthétique française est dès lors celle de la juste mesure (et on mettra longtemps à apprécier Shakespeare). Lorsque la vérité historique (l’avéré) est monstrueuse, il faut la déformer pour la rendre persuasive. L’idéalisation et l’identification : pour Aristote, la représentation tragique imite en idéalisant. Mais pas de moralisme, elle doit montrer des actions propres à susciter la crainte ou la pitié. L’œuvre d’art tragique a pour fonction de susciter un plaisir (qui provient de la pitié et de la frayeur) de nature esthétique à travers la représentation du réel (et non de l’objet représenté). La finalité en est l’amélioration et l’apaisement du cœur. C’est le principe de la catharsis (purgation ? purification ?). pas de définition exacte… Pitié : émotion altruiste ; frayeur : égocentrique, idée que je pourrais moi-même être victime d’un tel malheur. Paradoxe de la catharsis : le plaisir est suscité par deux émotions désagréables, qui sont purifiées de l’amertume qu’elles ont dans la réalité. Cette théorie fonde la pratique théâtrale sur l’identification, il faut que le spectateur adhère pleinement. Il faut que le héros soit entre les extrêmes pour que le spectateur puisse s’identifier à lui ; de plus, il ne faut pas que le malheur apparaisse comme mérité ou justifiable (sinon, pas de pitié). Difficulté de concilier l’idéalisation et l’identification. Le vraisemblable est central pour que le tout fonctionne, pour que le spectateur croie. 2. La transmission de la doctrine Traductions et commentaires : La Poétique est traduite en latin en 1498 (Valla), en grec en 1503. Théories reprises par des poéticiens uniquement soucieux d’aider le poète. Nouvelles traductions et commentaires. Scaliger en 1561 le plus clair et le plus cohérent : avec lui, l’aristotélisme devient une orthodoxie par rapport à laquelle chaque poète doit se situer. 1570, nouveau commentaire de Castelvestro qui extrapole de nouveaux dogmes : unité de temps et l’unité de lieu (pour la vraisemblance). En France, tout auteur doit la connaître, même si elle ne sera traduite en France qu’en 1671. Culte voué à Aristote, par La Mesnardière, notamment. Le théâtre fr. est complètement assujetti à cette norme et les auteurs devront se justifier de tout écart à la doxa. Le magistère de Chapelain : dans la querelle du Cid, Chapelain doit trancher la querelle entre Corneille et Scudéry (Pro-Aristote). Il condamne Corneille mais l’opinion préfère Corneille. Les gens de théâtre ne connaissent pas l’aristotélisme et s’en méfient, Chapelain est donc chargé de le leur expliquer. Il érige la règle au travers de notes et correspondances. Mais c’est La Mesnardière qui rédige une Poétique inachevée suivie par d’Aubignac, Pratique du théâtre (1657). 2 3. L’aristotélisme à la française Les « règles » du théâtre : tentative d’instaurer un réalisme au théâtre. Mais un théâtre plutôt lu. Souci d’intelligibilité. Il faut des lois impératives. On juge alors les œuvres selon leur respect des règles (refus de toute originalité). Ceci est conforme au contexte idéologique (religion, culte de l’autorité et de la raison). L’empire de la Raison : contre l’obscurantisme. Les partisans des « règles » sont modernes. Il sont pour la raison. L’aristotélisme à la fr. fonde un élitisme intellectuel, aristocratie de l’esprit : la caste des « sçavants », seuls juges. Le principe n’est pas de plaire au public (inculte). Mais les doctes (professionnels) admettent aussi « l’honnête homme » pour juge, (amateur écla iré). 4. Imiter et embellir Imiter la Nature : au cœur de l’aristo. Fr. notion équivoque de nature, mal définie. On se penche plutôt sur l’imitation. Il faut qu’elle soit la plus parfaite possible (pas dans la représentation, ce qui serait impossible, mais dans le texte). Pas d’ironie critique qui détruirait l’identification. Souci de crédibilité. La représentation théâtrale (que Chapelain ne néglige pas) doit être un processus d’hallucination, d’aliénation pour que le spectateur oublie qu’il est au théâtre. Idéaliser la Nature : Chapelain passe de la vraisemblance à la véracité : moins de liberté pour le dramaturge. Ses contemporains préfèrent de leur côté faire une représentation qui soit parfaite à partir d’un modèle qui ne l’est pas forcément en « corrigeant » la Nature. Concept de belle nature (remis en cause plus tard avec la nature vraie) : le Beau, le Plaisant, le Noble et le Simple. L’artiste doit idéaliser. Les genres les plus idéalisants sont au XVIIe s. les plus hauts (tragédie, épopée…). Stylisation limitée par la vraisemblance et la ressemblance. Coincé entre ressemblance et idéalisation, le classicisme fonde une esthétique de la juste mesure. On évite toute singularisation, caractéristique historique etc. qui empêche l’identification. 5. Les ukases de la vraisemblance Le vrai et le vraisemblable : la vérité est insuffisante et peut être dangereuse comme obstacle à l’identification. On préfère la changer pour la rendre vraisemblable. Mais si le vrai est attesté et connu du public, que doit faire le dramaturge ? Il vaut mieux éviter les épisodes les plus connus de la Légende ou de l’Histoire. Vraisemblable ordinaire, vraisemblable extraordinaire : deux notions distinguées par Castelvestro. Suivi par Chapelain. Il faut refuser l’invraisemblable avéré (comme ne le fait pas Corneille). Chapelain privilégie la vraisemblance ordinaire, crédible et nécessaire. Pas de merveilleux. Répugnance à utiliser la bible vraie mais intransformable. Corneille revendique le droit d’utiliser l’historique invraisemblable, car elle est nécessaire. Il s’écarte de l’orthodoxie au nom de la liberté d’invention de l’auteur et de la liberté d’exploiter la mine de l’Histoire. Il reste isolé et suspect. Le monologue et l’aparté ne doivent pas apparaître comme conventionnels, pour ne pas nuire à la vraisemblance. En tout point, il faut protéger l’hallucination du spectateur constamment menacée. 6. Le visible et l’invisible Les événements que le théâtre ne peut représenter mais qui ne peuvent être supprimés : ceux vraisemblances mais impossibles techniquement à montrer ; ceux qui susciteraient l’incrédulité. D’où une dialectique du visible et de l’invisible, du représenté et du raconté. Quatre possibilités pour le dramaturge : - l’événement se passe sur scène - il se passe hors de scène, durant un acte de la pièce (en simultané d’un événement représenté) - il se passe en scène pendant l’entracte - hors de scène pendant l’entracte la narration offre deux avantages sur la représentation : non tributaire des contraintes scéniques ; atténue l’intolérable. L’aristotélisme n’accepte pas la convention, juste l’illusion pour représenter le merveilleux. 3 7. La règle unitaire Constatations : - attention et assimilation du spectateurs limitées, il perd assez vite pied face aux intrigues compliquées - il est invraisemblable de montrer en un seul lieu (le théâtre) plusieurs lieux - même chose pour la durée L’unité d’action : Aristote recommande l’unité. Cohérence organique de la pièce, tous les événements doivent reliés entre eux par la nécessité et concourir à l’aboutissement de l’action. L’unité de temps : Aristote moins explicite. Compromis : l’idéal serait de faire coïncider la durée de la représentation avec celle de l’action. La limite est d’un jour pour que l’écart soit modéré. Critiques sur ce point contre le Cid. Il faut l’action tienne vraisemblablement en 24 heures. Mais cette loi apparaît comme restrictive et brimante pour le « beau sujet ». L’unité de lieu :Aristote et les premiers commentateurs italiens n’en parlent pas. L’idée émerge à partir de la vraisemblance : la distance que peut parcourir un personnage pendant la durée de l’action, selon le même raisonnement que pour la temporalité. Cette règle s’impose discrètement en France. Ce n’est qu’à partir de la Querelle du Cid que le lieu unique va être adopté. C’est d’Aubignac qui en fait l’exposé le plus clair : à partir du principe de vraisemblance, un seul espace ne peut en représenter deux. Mais, pour plaire aux goûts du public, on peut admettre un décor qui change en représentant diverses parties d’un même lieu ; il réclame de plus un lieu ouvert (façade de palais, place publique). Racine suit plus ou moins cette dernière recommandation quand il le peut. Molière est plus indépendant sur ce dernier point. L’aristotélisme est anti-économique sur cette question car contraire aux goûts du public qui aime les décors variés. D’où une résistance vive… Cette règle ne s’impose que dans les uploads/Litterature/ 1-introduction-aux-grandes-theories-du-theatre-jean-jacques-roubine 1 .pdf
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- Publié le Fev 07, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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