SBORNÍK PRACÍ FILOZOFICKÉ FAKULTY BRNĚNSKÉ UNIVERZITY STUDIA MINORA FACULTATIS
SBORNÍK PRACÍ FILOZOFICKÉ FAKULTY BRNĚNSKÉ UNIVERZITY STUDIA MINORA FACULTATIS PHILOSOPHICAE UNIVERSITATIS BRUNENSIS L 28, 2007 BOHDANA LIBROVÁ Entre thÉmatisation et rhÉmatisation : le rÔle de la particule sÉparable re dans la dynamique textuelle en ancien français* 0. Préliminaires En étudiant le fonctionnement des outils d’articulation du discours en ancien français, les grammairiens ont généralement porté leur attention sur un seul as- pect fonctionnel, jugé particulièrement caractéristique. C’est ainsi que or a été associé au phénomène de rupture énonciative1 et si a été traité comme marque de continuité thématique2. Cet angle d’approche, bien qu’incontestablement fruc- tueux, risque cependant de reléguer au second plan ce qui fait de ces morphèmes des outils proprement structurants, à savoir leur double dimension thématisante et rhématisante. Si pour or l’effet de rhématisation prédomine, le double profil fonc- tionnel apparaît de façon prototypique dans si, dont la fonction thématisante est inséparablement liée à son rôle d’introducteur de prédicat3. Un autre morphème * Cet article a été conçu dans le cadre du «Centre interdisciplinaire de recherches sur les lan- gues anciennes et les phases anciennes des langues modernes », Université Masaryk, Faculté des Lettres (MSM 0021622435). 1 Ainsi, par Marie-Louise OLLIER dans « Or, opérateur de rupture », LINX, no 32, 1995, p. 13–31 ou par Christiane Marchello-Nizia (Dire le vrai : l’adverbe « si » en français médiéval, Genève, Droz 1985, p. 25, 31–33, 36–41). 2 Cf. Van Reenen, Peter et Schøsler, Lene « Ancien et moyen français : si ‘thématique’. Analyse exhaustive d’une série de textes », Vox Romanica, no 51, 1992, p. 101–127 et « The the- matic structure of the main clause in old French : or versus si », Historical Linguistics, 1993, éd. H. Andersen, Amsterdam – Philadelphie, Current Issues in Linguistic Theory, 124, p. 401–419. 3 La double fonction de si a été soulignée, entre autres, par Jean RYCHNER (L’articulation des phrases narratives dans la Mort Artu, Neuchâtel, Faculté des Lettres – Genève, Droz 1970, p. 174–175), par Gérard MOIGNET (« Ancien français si/se », TraLiLi, 15/1, 1977, p. 267–289, en part. p. 270) et par Bernard Cerquiglini (qui rapproche sur ce plan le fonctionnement de si de celui de l’adverbe mar, dans La parole médiévale, Paris, Minuit 1981, p. 152–153; on se reportera à cet ouvrage pour d’autres références). On sait que Ch. Marchello-Nizia for- mule le lien établi par si entre la séquence antécédente et le prédicat en termes de l’assertion de la légitimité de l’énonciation (Dire le vrai..., p. 52, 231–33 et passim). 168 BOHDANA LIBROVÁ enfin, dont le rôle d’organisateur textuel a été nettement moins remarqué, associe étroitement les deux fonctions : c’est la particule séparable re. Destinée à préfixer le verbe mais quittant le radical pour rejoindre l’auxiliaire dès que l’auxiliation est en place4, la particule re a pour tâche d’établir un rapport entre deux termes sémantiquement apparentés (E1 et E25), le terme en re (E2 – un verbe et ses arguments) étant régulièrement présenté comme second par rapport à E1. Ainsi employé, re signale la récurrence dans E2 d’une partie du contenu sémique du terme E1. Re a donc, par définition, un côté anaphorisant6, mais, préfixant la partie ver- bale du prédicat, il doit aussi inévitablement introduire une composante qui fasse progresser le contenu informationnel du texte. Situé au seuil d’une recherche aspirant à décrire globalement le fonctionne- ment textuel de re, cet article vise à décrire les principales compétences de la particule dans l’élaboration de la dynamique textuelle. Cette perspective de recherche appelle deux précisions. 1. Le corpus La première précision concerne le corpus des énoncés soumis à l’analyse. Comme le caractère séparable de re ressort sans ambiguïté dans les formes auxi- liées des verbes (re se détachant alors du verbe plein pour passer vers l’auxi- liaire) et comme, d’autre part, la perspective typologisante ici adoptée n’impose pas la nécessité d’une mesure statistique précise, nous avons utilisé un corpus provisoire, constitué à partir d’un dépouillement exhaustif des lexèmes avoir et estre dans le Corpus de Littérature Médiévale7 et d’un repérage systématique des verbes en re dans quelques textes à haute fréquence de la particule8. Nous avons également pris en compte les occurrences relevées lors d’une prospection préli- 4 Dans quelques rares textes du 13e s. écrits dans la région tourangeaise et dans ses environs (notamment dans la Vie de saint Martin de Tours par Péan Gastineau, écrite vers 1250), re est disjoint du verbe par des clitiques (cf. NYROP, Karl, Grammaire historique de la langue française, Copenhague, Gyldendalske Boghandel Nordisk Forlag 1936, t. 3, p. 236). 5 Nous faisons ici référence à la théorie des opérations énonciatives élaborée par Antoine CULIOLI (voir Pour une linguistique de l’énonciation, t. 1, Opérations et représentations, Paris, Ophrys 1990). E1 et E2 symbolisent les représentations métalinguistiques des deux termes considérés. 6 Insistons bien sur le terme d’« anaphorisant ». En effet, si nous ne voulons pas élargir déme- surément le concept d’anaphore en l’étendant à tout indice de continuité isotopique, il n’est pas loisible de considérer que nous ayons affaire à une vraie anaphore. En effet, re ne fait que signaler la récurrence dans E2 d’une partie du concept véhiculé par E1 et, à ce titre, n’est pas susceptible d’une saturation référentielle, comme le serait une anaphore (notre conception diffère sur ce point des vues de Christiane MARCHELLO-NIZIA, Dire le vrai..., p. 27). 7 Corpus de la littérature médiévale en langue d’oïl des origines à la fin du XVe siècle, Prose narra- tive – Poésie – Théâtre, éd. sous la direction de BLUM, Claude, Champion électronique 2001. 8 Ainsi, dans le Roman de Renart et dans l’Estoire de la guerre sainte par Ambroise (texte écrit avant 1196). 169 Entre thÉmatisation et rhÉmatisation : le rÔle de la particule sÉparable minaire de la totalité de la base de données, et revisité des exemples allégués par nos prédécesseurs9. 2. Les soubassements théoriques : la théorie de la perspective fonctionnelle de la phrase Une deuxième remarque s’impose, dans l’incertitude conceptuelle régnant autour de la théorie de la perspective fonctionnelle de la phrase. Si nous avons opté ici pour ce cadre méthodologique, c’est qu’il nous semblait apte à illustrer un aspect crucial du fonctionnement textuel de re : sa valeur thématisante en prise sur sa fonction plus ou moins présente de marqueur de rhématicité. Si, cependant, l’approche doit être véritablement opérante à l’échelle textuelle, il faut trouver un modèle qui permette de rendre efficacement compte du rendement information- nel des constituants énonciatifs non seulement dans l’espace d’une phrase, mais dans des segments textuels entiers. Sans résumer le détail des débats – d’autres l’avaient fait avant nous10 –, nous allons préciser d’emblée la position méthodologique que nous en déduisons. Nous allons partir en particulier du modèle proposé par J. Firbas, qui conçoit la structure informationnelle de l’énoncé comme un continuum dynamique suscep- tible de degrés, tout en prenant soin de nous en démarquer sur certains points peu rentables pour l’analyse textuelle. Si l’on ne peut que souscrire aux vues de Firbas11 qui, récusant la scission dichotomique de l’énoncé en thème et en rhème sur le seul critère simplificateur de « connu » et de « nouveau », pose que tout énoncé, quel que soit son ancrage contextuel, possède son dynamisme propre qui le fait avancer depuis les élé- ments les moins pertinents (thème) jusqu’aux éléments les plus pertinents (rhè- 9 McMILLAN, Duncan, « Note de syntaxe médiévale : la particule re- en ancien français », RliR, no 34, 1970, p. 1–15, DOLBEC, Jean, « Le traitement syntaxique de la particule re- dans l’oeuvre de Chrétien de Troyes », Langues et linguistique, no 1, 1975, p. 91–126, QUE- REUIL, Michel, « Re- et entre dans Ami et Amile », Information grammaticale, no 37, 1987, p. 14–16, GOSSELIN, Daniel, Une analyse en morphologie configurationnelle : le préfixe re- en ancien français, Ph.D. Dissertation, Université de Québec à Montréal 1999, les dic- tionnaires de l’ancien français (TL, Gdf), enfin des grammaires (notamment NYROP, Karl, Grammaire historique de la langue française, Copenhague, Gyldendalske Boghandel Nor- disk Forlag 1936, t. 3). 10 Cf. MARTIN, Robert, « Thème et thématisation de l’énoncé », Travaux de linguistique, no 8, 1981, p. 27–48, en partic. p. 27, COMBETTES, Bernard, Pour une grammaire textuelle, Bruxelles – De Boeck, Paris-Gembloux – Duculot 1983, p. 29–36 et surtout PREVOST, So- phie, « La notion de Thème : flou terminologique et conceptuel », Cahiers de praxématique, no 30, 1998, p. 13–35. 11 FIRBAS, Jean, « On Defining the Theme in Functional Sentence Analysis », Travaux lin- guistiques de Prague, no 1, 1964, p. 267–280 et Souhra činitelů aktuálního členění větného, (manuscrit dactylographié), Brno, UJEP 1978, 2 vols, t. 1, p. 42. 170 BOHDANA LIBROVÁ me) conformément à l’intention communicative de l’énonciateur12, assimiler le thème et le rhème à ces composantes obligatoirement présentes dans tout énoncé nous semble priver la théorie d’une partie de son efficacité pratique. Tout en gar- dant donc à l’esprit ce dynamisme constitutif de chaque énoncé13, nous tenons à rendre aux concepts de thème et de rhème leur dimension fondamentalement contextuelle : dans uploads/Litterature/ 1-etudesromanesdebrno-37-2007-1-15-pdf.pdf
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- Publié le Oct 03, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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