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Tous droits réservés © Les Presses de l'Université de Montréal, 2002 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 13 avr. 2020 20:43 Études françaises À Demeure Le lire comme un hôte Patrick Poirier Derrida lecteur Volume 38, numéro 1-2, 2002 URI : https://id.erudit.org/iderudit/008397ar DOI : https://doi.org/10.7202/008397ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Presses de l'Université de Montréal ISSN 0014-2085 (imprimé) 1492-1405 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Poirier, P. (2002). À Demeure : le lire comme un hôte. Études françaises, 38 (1-2), 145–164. https://doi.org/10.7202/008397ar Résumé de l'article La lecture est une responsabilité qui exige l’invention d’un lieu de rencontre. Le lecteur est d’abord un hôte. C’est à cette possibilité, c’est à cette exigence que s’ouvre Demeure. Maurice Blanchot, c’est du moins ce que donne à penser le geste extrêmement significatif par lequel Jacques Derrida, en ces pages, reproduit intégralement L’instant de ma mort. Ce serait là le secret de l’archive : Demeure se donnant non seulement à lire comme un témoignage, mais également comme un engagement à garder l’archive comme son secret, hébergeant dès lors L’instant de ma mort comme « l’aveu d’un secret demeuré secret ». Il y va de l’amitié comme d’une responsabilité pour l’avenir.  À Demeure. Le lire comme un hôte   En un sens énigmatique qui s’éclairera peut-être (peut-être, car rien n’est sûr ici, pour des raisons essentielles), la question de l’archive n’est pas, répétons-le, une question du passé. […] C’est une question d’avenir, la question de l’avenir même, la question d’une réponse, d’une promesse et d’une responsabilité pour demain. Jacques D, Mal d’Archive «Un titre est toujours une promesse1», écrit Jacques Derrida, et comme tel, sans doute, il appelle, il donne à penser l’avenir dans l’attente même de sa détermination. Mais à quelle promesse peut alors répon- dre un titre comme Demeure. Maurice Blanchot ? Que donne à penser l’intitulé de cette lecture patiente, pas à pas, que consacre Derrida à L’instant de ma mort? Quelle en est la promesse? Et que dire du titre lui- même qui, « interminablement indécidable », n’exerçant « son autorité qu’à n’avoir pas lieu2 » — même en ce lieu par lui ouvert (même à demeure) —, n’en appelle pas moins à la certitude d’une demeurance (et donc sauf, à ce titre)? Si tout le récit de L’instant de ma mort «n’est que la glose, la justification et l’expansion du titre qui parle de lui- même et pour lui-même3 », que penser dès lors de Demeure. Maurice . Jacques Derrida, Mémoires. Pour Paul de Man, Paris, Galilée, coll. « La philosophie en effet», , p. . . Jacques Derrida, «Titre à préciser », dans Parages, Paris, Galilée, coll. «La philoso- phie en effet», , p. . . Jacques Derrida, Demeure. Maurice Blanchot, Paris, Galilée, coll. «Incises», , p. . Dorénavant désigné par le sigle D, suivi du numéro de la page. Il faut peut-être déjà souligner que tout se passe, dans L’instant de ma mort, comme «si la demeure — sa   • , - Blanchot ? Que dit ce titre si ce n’est la promesse d’une invitation ? Que promet-il déjà (et à qui) si ce n’est aussi, entre autres, l’hospitalité, une certaine hospitalité? Or il faut rappeler que ce texte aura connu plus d’un intitulé. Ce n’est pas sans importance. Pas d’archive, pas «d’archivage sans titre4», rappelle Derrida, c’est-à-dire aussi : pas d’archivage sans un titre, sans la singularité d’une certaine signature, sans un nom, « sans principe archontique de légitimation, sans loi» (MA, ). D’abord annoncé sous le titre «provisoire et improvisé» (D, ) de « Fiction et témoignage », le texte de cette conférence prononcée le  juillet  sera publié en  sous le titre de «Demeure. Fiction et témoignage», dans les actes du colloque Passions de la littérature. Avec Jacques Derrida5. Le texte paraîtra à nouveau chez Galilée en , accompagné d’un «Prière d’insérer» et d’un « Post-scriptum», mais cette fois sous le titre de Demeure. Maurice Blanchot, comme si l’intitulé trouvait là, peut-être, avec ce nom, son nom, sa loi (la loi de la maison) et sa promesse. Ces dates, on le verra, ne sont pas sans intérêt: elles s’inscrivent dans une problématique de datation6 que soulèvent — et à laquelle participent — le livre de Derrida comme celui de Maurice Blanchot. Car c’est ce nom — qui est aussi celui de l’infinie réserve de la littérature — qui aura signé, avec Derrida, avant Derrida, le récit énigmatique de cette Demeure, c’est-à-dire aussi son secret, ce qui vient au lieu du secret, à savoir L’instant de ma mort. Avec Derrida, avant Derrida, comme si ce dernier venait ici contresigner le récit de Blanchot7, si ce n’est, peut-être, le «consigner» (MA, ). demeurance — était le vrai personnage central, en même temps que la scène, le lieu et l’avoir-lieu du récit. Tout ce qui arrive, à l’instant, arrive à cause et à proximité du Château, arrive sans arriver au Château, à la demeure où demeure celui qui fut “empêché de mourir par la mort même”» (D, ). J’y reviendrai. . Jacques Derrida, Mal d’Archive, Paris, Galilée, coll. « Incises », , p. . Doréna- vant désigné par le sigle MA, suivi du numéro de la page. . Jacques Derrida, «Demeure. Fiction et témoignage», dans Michel Lisse (dir.), Passions de la littérature. Avec Jacques Derrida, Paris, Galilée, coll. «La philosophie en effet», , p. -. «Fiction et témoignage » : c’est déjà l’écho mineur de Dichtung und Warheit, comme le rappelle Derrida, écho ou leitmotiv qui, tout au long de ce livre, aura marqué avec insistance «une fatale et double impossibilité : impossibilité de décider mais impossi- bilité de demeurer dans l’indécidable » (D, -). . Problématique qui n’est pas étrangère à celle de la signature, une date étant aussi, comme le rappelle Derrida, «l’événement d’une signature» (D, ). . Plus d’une signature, donc, à plus d’un titre, pour plus d’un titre. Ce qui n’est pas sans soulever certaines interrogations, particulièrement en regard des questions de l’auto- biographie et du témoignage qui sont ici au secret de cette demeure. Car Derrida n’est pas seulement «l’hostobiographe» (D, ) de son hôte: quoi qu’il en dise pour nous «ras- surer», il n’est pas seulement question de l’autobiographie «d’un autre» (D, ) en ces pages ; tout témoignage étant toujours essentiellement autobiographique, le sien n’y échappe pas.  Et c’est ne rien dire encore de l’archive — et du secret, encore. Car de L’instant de ma mort, il serait plus juste de dire que ce récit vient à Demeure, non pas tant comme son secret, mais bien davantage comme son archive. L’archive: au lieu du secret. Du « secret lui-même», précise en effet Derrida, «il ne peut pas y avoir d’archive, par définition. Le secret, c’est la cendre même de l’archive, le lieu où il n’y a même plus de sens à dire “la cendre même” ou “à même la cendre” » (MA, ). En revanche, s’il n’y a pas d’archive du secret, ce n’est pas dire que, de l’archive elle-même, il ne saurait y avoir de secret. Ce serait là, en somme, le secret de l’archive : Demeure. Maurice Blanchot se donnant non seulement à lire comme un témoignage — l’expérience testimo- niale étant cette fois celle de Derrida —, mais également comme un engagement à garder, à sauvegarder l’archive comme son secret, hébergeant dès lors en ses pages (et comme sous les gardes du livre), L’instant de ma mort comme «l’aveu d’un secret demeuré secret » (D, ). Il y va de l’amitié comme d’une responsabilité pour l’avenir. * On aura compris qu’en liant ainsi L’instant de ma mort aux problémati- ques de l’archive et du secret, je fais ici référence, après Christophe Bident et Ginette Michaud8, au geste extrêmement significatif par lequel Jacques Derrida en vient à citer et à reproduire intégralement le récit de L’instant de ma mort au sein de Demeure. Son commentaire, comme il ne manque d’ailleurs pas de le signaler, tente en effet de « suivre mot à mot» (D, ) le récit de Blanchot. Or le «suivre mot à mot», n’est-ce pas déjà faire signe vers cette autre image qui pourrait tenir lieu de métaphore de la lecture critique, image que déploie Derrida quelques pages plus loin ? Comme le narrateur de L’instant de ma mort qui se fait « l’ombre de cet homme d’un autre âge» (D, ), n’est-ce pas déjà le suivre «à chaque instant, pas à pas […], pour témoigner de ce qui lui arrive ou n’arrive pas » (D, )? C’est dire que cette lecture mot à mot, pas à uploads/Litterature/ 008397ar-pdf.pdf

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