Université de Montréal Relire Feu la cendre de Jacques Derrida ou De l’interpré
Université de Montréal Relire Feu la cendre de Jacques Derrida ou De l’interprétation comme brûlure inextinguible par Olivier Parent-Thivierge Département des littératures de langue française Faculté des arts et des sciences Mémoire présenté à la Faculté des arts et des sciences en vue de l’obtention du grade de M. A. en Littératures de langue française Janvier 2019 © Olivier Parent-Thivierge, 2019 i Résumé L’ouvrage Feu la cendre de Jacques Derrida s’articule tout entier autour de l’analyse d’une courte phrase énigmatique : « Il y a là cendre ». Il s’agit d’une phrase écrite par Derrida lui-même, une dizaine d’années plus tôt, à la toute fin de La Dissémination. Feu la cendre peut donc être considéré comme un autocommentaire ou une autoanalyse. Toutefois, Jacques Derrida n’y dévoile pas une signification précise de sa propre sentence. Au contraire, Feu la cendre révèle l’illisibilité de la phrase, son caractère fuyant, sa puissance de signification impossible à maîtriser. Cette manière de relire « Il y a là cendre » correspond à la conception derridienne de la « dissémination » du sens. L’enjeu de ce mémoire consiste à rendre compte du texte Feu la cendre en tant que réitération de la pensée derridienne de la « dissémination » qui s’oppose à une conception herméneutique de l’interprétation prétendant pouvoir se saisir du « sens » univoque et stable d’un texte. Plus précisément, il s’agira de relever les stratégies d’écriture déployées par Derrida en vue de performer – donc de faire expérimenter – cette déroute du sens. Il y sera ainsi question de trois « mises en cendre » de la signification : d’abord, dans la forme « polylogale » du texte qui divise l’identité de l’énonciateur et son autorité sur son propre texte ; ensuite, dans le jeu d’échos entre les trois versions de Feu la cendre qui rend instable le « corps du texte » ; enfin, dans la structure « ouverte » de l’œuvre, hospitalière à de nombreux autres textes, qui en efface les limites. Mots-clés : Jacques Derrida, philosophie française du XXe siècle, déconstruction, dissémination, interprétation, herméneutique, poétique, Paul Celan, trace, cendre. ii Abstract Jacques Derrida’s Cinders (Feu la cendre) is wholly centered on the analysis of a short, enigmatic sentence: “Cinders there are” (“Il y a là cendre”), written by Derrida himself ten years earlier at the very end of his Dissemination. Cinders can therefore be considered as a self-comment or a self- analysis, even though the author never reveals the precise meaning of his sentence. On the contrary, Cinders reveals the unreadability of “Cinders there are,” its fugitive nature, the untamed potential of its meaning. This reading corresponds to the author’s conception of “dissemination.” The aim of this master thesis is to read Cinders as a reiteration of Derrida’s thought on “dissemination,” a notion that opposes the hermeneutical conception of interpretation claiming the right to seize the univocal and stable meaning of a text. Specifically, this thesis will identify and analyze the writing strategies deployed by Derrida in order to perform, and thus experiment, this uncontrolled wandering of meaning. Three of these “incinerations” of meaning will be examined: firstly, the “polylogal” form of the text that divides the identity of the enunciator and his authority over his own writing; secondly, the play of echoes between the three different published versions of Cinders; and, lastly, the “open” structure of the book, its limitlessness that protects its hospitality to the Other. Key Words: Jacques Derrida, French Philosophy XXth Century, Deconstruction, Dissemination, Interpretation, Hermeneutics, Poetics, Paul Celan, Trace, Ashes. iii Table des matières RÉSUMÉ ......................................................................................................................................... I ABSTRACT ................................................................................................................................... II TABLE DES MATIÈRES .......................................................................................................... III REMERCIEMENTS ................................................................................................................... IV INTRODUCTION – UNE « OUVERTURE » DE L’INTERPRÉTATION ............................. 1 CHAPITRE I – LA CENDRE : PARADIGME DE LA TRACE ............................................ 11 1. LA TRACE, SIGNE SANS ESSENCE .......................................................................................... 14 2. LE RESTE, TRACE AU TEMPS DU DEUIL .................................................................................. 24 3. LE SECRET, DERRIÈRE LA TRACE .......................................................................................... 27 4. LA CENDRE, « MEILLEUR PARADIGME DE LA TRACE » .......................................................... 35 CHAPITRE II – CENDRES DE CELAN .................................................................................. 51 1. ILIA, CELAN, « NOM[S] PROPRE[S] CACHÉ[S] » ..................................................................... 54 2. LA CENDRE ET LA POÉTIQUE CELANIENNE ............................................................................ 67 CHAPITRE III – TROIS MISES EN CENDRES ..................................................................... 79 1. LE POLYLOGUE ET LA DIVISION DU SOI ................................................................................. 80 2. DOUBLURE DU TEXTE, INSTABILITÉ DU CORPS...................................................................... 94 A) Feu la cendre : de la revue à l’opus ................................................................................. 95 B) Feu la cendre : entre codex et phono-texte .................................................................... 101 3. DOUBLURE DES TEXTES, POROSITÉ DES LIMITES ................................................................. 117 CONCLUSION – LA CENDRE QU’IL RESTE ..................................................................... 131 BIBLIOGRAPHIE ..................................................................................................................... 145 iv Remerciements Je souhaite d’abord remercier ma directrice de recherche, Ginette Michaud. Son incomparable connaissance des textes de Jacques Derrida fait d’elle une interprète inestimable entre eux et soi. Ce mémoire n’aurait simplement pas pu être le même sans vos conseils. Ma seconde pensée est pour ma copine, Jeanne, qui a su me supporter (dans tous les sens du terme) tout au long de mon parcours d’écriture. Je n’y serais pas arrivé sans toi. Je tiens également à saluer Nicholas Cotton Lizotte pour sa bienveillance, Raphaël Monast pour la franchise de son intérêt et Nicolas Dussault pour ses quelques coups de pouce. Votre aide fut grandement appréciée. Enfin, je ne pourrais oublier de remercier mes parents. Ce sont eux qui – chacun à sa manière, dans la différence – m’ont appris la curiosité, l’attention et la responsabilité. Je désire d’ailleurs dédier ce mémoire à Katrine et Sébastien (il est, déjà, un peu signé de leurs noms). Je leur dédie pour bénir deux autres mémoires qui, compte tenu de certaines circonstances, ma circonstance en vérité, n’ont pu garnir les rayons de la bibliothèque de l’Université de Montréal. Ils y sont maintenant, d’une certaine façon, à travers celui-ci. Relire Feu la cendre de Jacques Derrida ou De l’interprétation comme brûlure inextinguible 1 INTRODUCTION Une « ouverture » de l’interprétation Permettez-moi de citer un mot de Pascal que j’ai lu il y a quelque temps chez Léon Chestov : « Ne nous reprochez pas le manque de clarté puisque nous en faisons profession1 ! » Paul Celan, « Le Méridien » Le texte que vous vous apprêtez à lire représente l’aboutissement d’un certain parcours académique, l’achèvement d’une étape dans l’institution du cheminement universitaire : la maîtrise. Ce texte, le mémoire, en forme en quelque sorte une métonymie, la part conditionnelle au tout. Ce mémoire devrait donc se donner comme la preuve tangible de ma compréhension d’un sujet choisi, au point de le connaître sur le bout des doigts, image qui témoigne de ma préhension sur lui, de sa prise. Il s’agit, en théorie, de maîtriser un enjeu jusqu’à s’en faire le maître2 et de savoir le prouver à d’autres (en premier lieu, à ses propres maîtres). C’est un passage initiatique tout autant qu’une démonstration de puissance. Après tout, la « maîtrise » est d’abord la « faculté de dominer les êtres ou les choses3 ». Toutefois – est-ce par goût de l’ironie, vanité de placer un bon mot ou simple esprit de contradiction ? (Mais peut-on jamais déterminer la motivation première, l’origine de tel ou tel de nos actes, qui plus est quand il s’agit d’actes d’écriture ?) –, je ne tenterai pas ici d’établir mon 1 Paul Celan, « Le Méridien » [1960], dans Le Méridien & Autres Proses, trad. et éd. Jean Launay, Paris, Seuil, coll. « La Librairie du XXIe siècle », 2002, p. 72. 2 Si on prend un pas de côté avec le mot « maître », on peut entendre qu’il s’agit de complètement ramener à soi une chose et de se l’incorporer : un sujet sous l’emprise de ma raison, connu de moi jusqu’à « m’être » propre. La soif de maîtrise est toujours un désir de stabilisation de l’identité. 3 Trésor de la langue française, « maîtrise » ; [en ligne], URL : http://stella.atilf.fr/Dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=3559627365 ; consulté le 15 janvier 2019. 2 emprise sur un quelconque titre, auteur ou sujet. Je m’efforcerai plutôt, au contraire, de progresser dans une lecture souple, humble, qui laisse place à son toujours possible dépassement et ne propose ce qui se sait n’être qu’un angle, une facette parmi d’autres. Il ne s’agit pas d’un renoncement à toute rigueur ou désir de pertinence ; mes observations seront aussi informées et précises que faire se peut, mais je ne prétendrai jamais pouvoir ériger une quelconque Vérité totale et définitive de l’œuvre que j’analyse. Je traiterai ainsi d’une certaine impossibilité de réduire un texte à une interprétation particulière, de déterminer un « sens » unique qui viendrait interrompre la force de signifiance virtuelle d’un ouvrage et, donc, de l’impossibilité de la « maîtrise » d’un texte. Ce projet – ou plutôt cet angle d’approche – énoncé, il me faut en préciser la source. Cette conception du texte en tant qu’immaîtrisable à préserver me vient de ma lecture des écrits de Jacques Derrida à qui je suis complètement redevable. En effet, c’est au contact des textes de Derrida et du « tour supplémentaire » qu’ils infligent uploads/Ingenierie_Lourd/ parent-thivierge-olivier-2019-memoire.pdf
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- Publié le Oct 05, 2022
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