Livraisons de l'histoire de l'architecture 33 | 2017 Histoire du (des ?) patrim

Livraisons de l'histoire de l'architecture 33 | 2017 Histoire du (des ?) patrimoine(s) Le programme de transport supersonique concorde : de l’innovation à la patrimonialisation “The supersonic transport Concorde: from innovation to heritage enhancement „Das Überschallflugzeug Concorde : von der technischen Innovation zum kulturellen Erbe“ David Berthout Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/lha/746 DOI : 10.4000/lha.746 ISSN : 1960-5994 Éditeur Association Livraisons d’histoire de l’architecture - LHA Édition imprimée Date de publication : 15 juin 2017 Pagination : 73-85 ISSN : 1627-4970 Référence électronique David Berthout, « Le programme de transport supersonique concorde : de l’innovation à la patrimonialisation », Livraisons de l'histoire de l'architecture [En ligne], 33 | 2017, mis en ligne le 16 juin 2019, consulté le 16 octobre 2019. URL : http://journals.openedition.org/lha/746 ; DOI : 10.4000/lha. 746 Tous droits réservés à l'Association LHA Par David BERTHOUT LE PROGRAMME DE TRANSPORT SUPERSONIQUE CONDORDE : DE L’INNOVATION À LA PATRIMONIALISATION Au cours du XXe siècle, les progrès de l’aviation sont fulgurants. Moins de quarante-cinq ans séparent le premier vol homologué d’un « plus lourd que l’air », réalisé en 1903 par les frères Wright1 et le premier vol supersonique effectué en 1947 par l’aviateur américain Chuck Yeager à bord du Bell X-1. À peine cinquante années séparent la première traversée aérienne de l’Atlantique entre New-York et Paris par Lindberg en mai 19272 et les vols commerciaux réguliers entre l’Europe et les Amériques, effectués dès 1976 à une vitesse dépassant celle du son3. À la suite du premier vol de Yeager en 1947 à bord d’un prototype, plusieurs avions militaires supersoniques sont produits en série : le F-100 Super Sabre améri- cain à partir de 1954, le Mikoyan-Gourevitch Mig-19 Farmer soviétique à partir de 1955 et le Super Mystère B2 français à partir de 1958. Mais il faut encore attendre plusieurs années pour que cette technologie, dans un premier temps réservée aux avions de chasse, soit adaptée au transport civil. L’histoire de l’avion de transport supersonique (TSS) Concorde a tout d’une épopée. Né de la volonté politique de deux pays, la France et la Grande-Bretagne et d’un investissement industriel du secteur privé, il est le fruit d’une extraordinaire prouesse technologique. Mais, à l’instar des héros déchus et en dépit de la fasci- nation qu’il a toujours inspirée, il dut affronter tout au long de son exploitation de nombreuses difficultés et connut une fin tragique. Et pourtant, Concorde était l’enfant prodige à qui tout était promis. Après vingt ans de recherche et d’essais, le supersonique s’impose très vite comme un 1. Certains estiment que c’est Clément Ader qui aurait effectué le premier vol d’un « plus lourd que l’air » en 1890 à bord de l’Éole I, mais cette affirmation reste toujours sujette à caution. 2. Sans oublier, quinze jours avant Lindberg, la tentative de Nungesser et Coli dans le sens Paris/ New-York, plus difficile car en vent contraire et qui s’est terminée tragiquement. Certains pensent aujourd’hui que les deux aviateurs ont réussi leur traversée et se sont abîmés en mer tout près de Saint Pierre-et-Miquelon dans des circonstances suspectes. Selon une version, ils auraient été pris pour cible par des contrebandiers Saint-Pierre-et-Miquelonais trafiquant de l’alcool avec les États- Unis (en pleine prohibition), lesquels auraient tiré sur l’Oiseau Blanc, dans le brouillard, en le prenant pour un avion de gardes côtes américains. 3. La vitesse supersonique se mesure en Mach, en l’honneur du philosophe et physicien autrichien Ernst Mach. La vitesse Mach est une convention qui n’est pas fondée sur une valeur fixe. Elle est en effet calculée à partir de la vitesse du son, laquelle varie en fonction de l’environnement dans lequel le son circule. On parle de vitesse subsonique quand elle est inférieure à Mach 1, de vitesse transsonique quand elle est de Mach 1, de vitesse supersonique quand elle dépasse Mach 1 et de vitesse hypersonique quand elle dépasse Mach 5. Livraisons d’histoire de l’architecture n° 33 74 DAVID BERTHOUT avion majeur, une « cathédrale aéronautique » témoignant du savoir-faire des ingé- nieurs du XXe siècle. Or, en dépit des réussites technologique et humaine indé- niables, le constat d’échec commercial est inévitable. Conception et développement Préfiguration Dès le milieu des années 1950, la France et la Grande-Bretagne étudient, chacun de leur côté, la possibilité de réaliser un avion supersonique conçu pour le transport des passagers. L’administration française envisage officiellement cette possibilité en 1956 et la même année, le gouvernement anglais crée un comité d’étude regrou- pant tous les secteurs publics concernés par l’aéronautique. Ce comité est chargé d’évaluer la faisabilité du projet et de lancer des recherches sur l’aérodynamique et la structure à donner au futur avion supersonique. En 1957-1958, les secteurs privés de l’industrie aéronautique s’intéressent à leur tour au projet, dont le français Sud Aviation qui étudie le moyen de développer le Super Caravelle. En 1959, le ministère de l’Air charge officiellement Sud Aviation, Nord Aviation et Marcel Dassault de concevoir un avant-projet d’avion moyen courrier supersonique. En 1959, côté britannique, le comité d’étude se dirige vers un long courrier pou- vant atteindre Mach 2,2. L’année suivante, le gouvernement anglais charge British Aircraft Corporation (BAC), tout juste créée4, de mettre au point un avant-projet détaillé, lequel doit s’appuyer sur les travaux déjà effectués par Bristol Aeroplane Company sur le Bristol 223. Au tournant de 1960, les entreprises aéronautiques et les administrations des deux pays continuent de travailler indépendamment. Français et Britanniques sou- haitent en effet contrer l’hégémonie américaine. Sud Aviation et Dassault mettent en commun leur expérience sur, respectivement, Super Caravelle et les Mirage III et IV, Durandal et Trident. Cela leur permet de proposer en mai 1961 au gouver- nement un avant-projet de Super Caravelle prévue pour le transport de 76 ou 84 passagers, projet retenu en octobre suivant par les services techniques du minis- tère de l’Air. Entre temps, au mois de juin 1961, une maquette de l’avion quadri- moteur est présentée au Salon du Bourget, tandis que le stand de l’anglais BAC présente une maquette de son avion à 6 moteurs. Cependant, les coûts importants de développement incitent Français et Britanniques à envisager une collaboration. Côté officiel, les premières rencontres ont lieu en juin et juillet 1961. De fin 1961 à octobre 1962, les deux pays discutent de l’accord qu’ils souhaitent mettre en place et qu’ils signent le 29 novembre 1962. 4. En janvier 1960, British Aircraft Corporation (BAC) est créée par la fusion de Bristol Aeroplane Company, English Electric, Vickers-Armstrong et, en septembre de la même année, de Hunting Aircraft. Livraisons d’histoire de l’architecture n° 33 LE PROGRAMME DE TRANSPORT SUPERSONIQUE CONDORDE : DE L’INNOVATION À LA PATRIMONIALISATION 75 Côté industriels, BAC et Sud Aviation s’étaient déjà rapprochés dès le prin- temps 1960 et avaient échangé sur leurs projets respectifs. Les motoristes français SNECMA et anglais Bristol Siddeley Engines Limited (BESL) signent quant à eux un accord en novembre 1961 pour concevoir, construire et proposer conjointement des moteurs d’avion supersonique. En décembre 1961, Sud Aviation et BAC s’entendent sur les caractéristiques générales du futur avion. Seul le rayon d’action demeure un point de désaccord entre les deux industriels, Sud Aviation restant sur un moyen courrier, BAC sur un long courrier pour les vols transatlantiques. Concrètement, l’accord franco-britannique signé en novembre 1962 pose le prin- cipe de collaboration sur la base d’un partage égal des responsabilités, des dépenses, mais aussi des fruits de l’exploitation commerciale à venir, entre les administrations et les entreprises des deux pays. L’accord table sur un engagement de dépenses évalué à 1 865 millions de nouveaux francs étalés entre 1962 et 1969. Technique- ment, l’accord prévoit deux versions, moyen et long courrier, réalisées par deux industries de chaque pays : Sud Aviation/BAC pour les cellules et SNECMA/BESL pour les moteurs5, regroupées dans une organisation créée pour l’occasion. Enfin, un Comité permanent composé de fonctionnaires des deux pays doit superviser le programme. Le programme d’avion supersonique désormais franco-anglais est donc tout à la fois une entreprise industrielle privée et la volonté politique de deux pays qui inscrivent leur action dans un cadre de prestige national. Cette volonté paraît d’autant plus importante que la France comme le Royaume-Uni, bien que sortis « vainqueurs » du Second conflit mondial, membres du Conseil de sécurité perma- nent de l’ONU et parmi les principaux pays industrialisés du monde, sentent leur influence décliner. Entre les mouvements de décolonisation entamés dès la fin de la guerre et qui s’accélèrent, mettant à mal leur statut de puissance planétaire, et la primauté américano-soviétique, la conception et la fabrication d’un avion tel que le supersonique est pensé comme l’affirmation de la grandeur technologique et industrielle du « vieux continent ». Et l’orgueil national se niche parfois dans les détails, même entre partenaires. Ainsi, quand il s’agit de baptiser le futur avion, une polémique s’installe. Non pas sur le nom, qui fait consensus, mais sur son ortho- graphe, les Anglais souhaitant un Concord sans « e » final, les Français, bien sûr, exigeant une orthographe francophone, et donc un « e » final. Essais Après la phase de conception qui prend uploads/Ingenierie_Lourd/ lha-746.pdf

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