0123 MERCREDI 21 SEPTEMBRE 2022 économie & entreprise | 19 Logement : le modèle

0123 MERCREDI 21 SEPTEMBRE 2022 économie & entreprise | 19 Logement : le modèle suisse des coopératives Sous la pression de citoyens et avec l’appui du canton de Genève, la ville compte 128 organisations de ce type. Une façon de lutter contre la spéculation et de promouvoir l’habitat écologique REPORTAGE genève ­ envoyée spéciale A l’heure où la construction doit prendre le vi­ rage du dévelop­ pement durable et où le logement n’a jamais pesé aussi lourd dans le budget des citoyens, les coopéra­ tives d’habitants suisses propo­ sent des solutions innovantes. El­ les offrent des habitations à loyer abordable, dans des immeubles qui rivalisent d’équipements faci­ litant la vie en commun et de so­ lutions écologiques, et associent pleinement les habitants à leur gestion, parfois dès la conception des bâtiments. A Genève, ville­monde, l’habitat privé est hors de prix, et seuls 12 % des logements, dits « d’utilité pu­ blique » (l’équivalent suisse des HLM), voient leur loyer contrôlé par le canton, à destination de lo­ cataires modestes aux revenus plafonnés. Face aux besoins et aux milliers de demandeurs sur liste d’attente, l’objectif de la loi pour la construction de logements d’uti­ lité publique de 2007 est d’attein­ dre 20 %, sans qu’une échéance précise ait été fixée. « Genève est l’une des villes les plus chères du monde, analyse Christian Dan­ drès, juriste et membre du comité de direction de la puissante Asso­ ciation suisse des locataires. Les salaires y sont certes élevés, le sa­ laire médian étant de 6 300 francs suisses [5 540 euros]. Mais les loyers du secteur privé le sont aussi, d’en moyenne 3 000 francs suisses. » « Les coopératives sont une for­ mule intéressante pour produire des logements moins chers, et où les locataires­coopérateurs ont vraiment leur mot à dire, pour­ suit­il. Et elles ne pourraient pas se développer sans l’effort public sur le foncier. » C’est le rôle de la Fon­ dation pour la promotion du loge­ ment bon marché et de l’habitat coopératif, outil foncier créé en 2001 par le canton de Genève, doté d’un budget annuel de 30 millions de francs suisses pour acheter des terrains puis les louer ou les vendre à long terme – jus­ qu’à cent ans – aux coopératives dont les projets comportent au moins 60 % de logements d’uti­ lité publique. SOCIÉTAIRES-LOCATAIRES « Pour produire des appartements peu chers, la formule est assez sim­ ple, résume l’architecte Wilfried Schmidt, l’un des douze adminis­ trateurs de la coopérative gene­ voise Les Ailes. Le terrain, qui compte facilement pour 30 % ou 50 % du prix de revient, est acheté grâce à un prêt sur soixante­dix ou cent ans, ou loué par bail d’une du­ rée comparable, ce qui étale son coût. Et l’immeuble est bâti par une société à but non lucratif qui facture aux locataires, en toute transparence, l’exact prix de re­ vient et de gestion. » Nées à la fin du XIXe siècle à l’ini­ tiative du mouvement ouvrier et de corporations (horlogers, pos­ tiers, cheminots…), les coopérati­ ves d’habitants, un peu endormies jusque dans les années 2000, sont en pleine renaissance. Les Ailes, par exemple, fondée en 1955 par un groupe d’amis employés de la compagnie aérienne Swissair (dis­ parue depuis), avait commencé, en 1958, par bâtir, sur un terrain proche de l’aéroport, 34 villas ju­ melles avec piscine commune creusée par les sociétaires. Celles­ci ont été démolies dans les années 2000 pour faire place, sans coût foncier supplémen­ taire, à des immeubles totalisant 450 logements, et bientôt 800, gérés par six salariés. Sous la pression de citoyens qui souhai­ tent créer leur habitat selon leurs moyens et leurs goûts, et avec l’appui des pouvoirs publics, le canton compte désormais 128 coopératives, à la tête de 12 000 logements, soit déjà 5 % du parc total, et qui construisent au rythme soutenu de 1 500 loge­ ments par an (chiffre de 2020). « Nous souhaitons doubler cette proportion et la porter à 10 % d’ici à 2030, projette Eric Ros­ siaud, président de la Coopéra­ tive de l’habitat associatif (Codha) de Genève, l’une des plus impor­ tantes avec ses 2 000 logements. C’est le sens de l’initiative popu­ laire cantonale introduite le 9 mars 2021, en cours d’examen par le grand conseil du canton et dont nous avons bon espoir qu’elle aboutisse d’ici à septembre. » Ce texte plaide pour des « loge­ ments moins chers, des construc­ tions écologiques à très haute per­ formance énergétique, des immeu­ bles où il fait bon vivre, avec beau­ coup d’espaces communs ». La coopérative appartient à ses occu­ pants, à la fois sociétaires versant leur part sociale à l’entrée (en­ tre 10 000 et 20 000 euros le ticket) et locataires payant des loyers cou­ vrant le coût de revient de l’im­ meuble, les charges, les frais de gestion, et une provision pour les travaux afin d’éviter de futurs ap­ pels de charges supplémentaires. Les parts sociales alimentent les fonds propres de la société, qui peut donc s’endetter pour cons­ truire, et elles sont remboursées au sociétaire­locataire qui s’en va. Son successeur versera le même montant comme action­ naire et le même loyer comme lo­ cataire. Toute plus­value est ex­ clue, le modèle est résolument antispéculatif. L’une de ces jeu­ nes coopératives, Equilibre, a été fondée en 2005 par huit familles que réunissait leur exigence éco­ logique, détaillée dans une charte soumise à chaque entrant et qui, par exemple, interdit toute voiture personnelle en organi­ sant l’autopartage, et exige de chacun une participation active aux divers groupes de gestion des espaces communs et aux assem­ blées décisionnelles. Elle en est à son quatrième immeuble et cu­ mule déjà les labels de qualité en­ vironnementale et divers prix du développement durable. Christophe Brunet, l’un des fondateurs, fait visiter un de ses immeubles, de 38 logements sociaux, rue Soubeyran, à Genève, livré en 2017. Il commence non pas par les plus beaux apparte­ ments et espaces communs, mais en ouvrant une petite trappe au sol, dans le jardin. Une échelle mène à un vaste local en sous­sol, où trois énormes cuves de 5 mè­ tres de diamètre contenant paille, charbon et lombrics filtrent les eaux et matières collectées des W.­C., cuisines et salles de bains. M. Brunet est fier de montrer son système d’assainissement écologique en milieu urbain. « C’est très innovant dans un im­ meuble collectif, explique­t­il, car nous traitons les eaux noires [ma­ tières fécales], jaunes [urine] et grises [eaux usées], qui sont trans­ formées, grâce aux lombrics, les premières en compost, les autres en engrais, le tout avec très peu d’eau et sans faire appel aux égouts urbains ni à une station d’épuration. » Les eaux non pota­ bles, récupérées en fin de cycle, servent pour l’arrosage et le com­ postage, et la gestion du dispositif est assurée par les habitants. LONGUES LISTES D’ATTENTE Dans les étages, chaque apparte­ ment a sa terrasse et chaque étage son large palier favorisant la convivialité. Au rez­de­chaussée, la centaine d’habitants peut profi­ ter d’une salle de réunion, d’une cuisine, d’une buanderie collec­ tive, de chambres d’hôtes et d’un gigantesque garage à vélos pré­ voyant pas moins de quatre pla­ ces par lot. Dans la commune de Meyrin, non loin de l’aéroport de Genève, le quartier Les Vergers, desservi par le tramway, est, lui, devenu le laboratoire du loge­ ment participatif du canton. Sept coopératives vont y cons­ truire une dizaine de bâtiments de six à huit étages totalisant près de 500 logements, dans un éco­ quartier mixant « propriétés par étage » (copropriété) et locatif à loyer social et libre, soit plus de 1 300 appartements. Le projet est ambitieux, sur 16 hectares et autour d’une vaste « esplanade des récréations » toute végétale, avec jardins partagés. Le projet compte 60 % de logements sociaux. Sylvain Fasel, informaticien de profession, est président de la coopérative Polygones, dont il est un des sept fondateurs. Primo­coopérateur, il s’est beau­ coup investi dans la conception de ce premier immeuble, à Mey­ rin, où il habite depuis 2017. Le bâtiment satisfait bien des critè­ res de l’écologie de pointe : pan­ neaux solaires fournissant 30 % de la consommation électrique, isolation maximale, connexion Wi­Fi commune, et beaucoup d’espaces collectifs pour prolon­ ger des appartements d’au maxi­ mum 90 mètres carrés. Polygones a six projets en cours et, pour en devenir coopérateur, il faut débourser 27 700 francs suis­ ses, eux aussi finançables par un prêt personnel de sa caisse de re­ traite ou par les collectivités loca­ les. Une autre vertu de ce modèle économique est de provisionner dès le début de la vie de l’immeu­ ble les moyens de sa rénovation. La Société coopérative d’habita­ tion Genève (SCHG), créée en 1919 à l’initiative d’un postier syndica­ liste et d’un urbaniste, est ainsi en train de rénover en grand sa cité Vieusseux, du nom du quartier populaire et mixte où elle a été construite dans les années 1970. « Nous avons longuement concerté et demandé aux sociétai­ res­locataires, qui, au uploads/Ingenierie_Lourd/ le-monde-logement-le-modele-suisse-des-cooperatives.pdf

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