1 Walter Benjamin et la forme plastique Architecture, technique, lieux 2 3 Jean
1 Walter Benjamin et la forme plastique Architecture, technique, lieux 2 3 Jean-Louis Déotte Walter Benjamin et la forme plastique Architecture, technique, lieux 4 5 Remerciements Ce livre est le résultat des travaux de séminaires de doctorat de philosophie tenus à la MSH Paris Nord depuis 2007. Je le dédie aux doctorants. Certains chapitres furent à l’origine des conférences : dans le cadre de l’école doctorale « Pratiques et théories du sens », à l’initiative de D. Tartakowsky (La ville dans les sciences humaines), dans celui de l’EHESS-INHA à l’invitation de G. Didi-Huberman (L’histoire de l’art depuis W. Benjamin), puis de Ch. Bernier à l’Université de Montréal, de V. Campan à l’Université de Poitiers (Réfléchir la projection), de Maria Tortajada à l’Université de Lausanne (Cinéma et dispositifs audiovisuels), de L. Andreotti à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris la Villette (Spielraum : W.Benjamin et l’architecture), de D. Skopin à l’Université de Nijni-Novgord (La philosophie au croisement des cultures et des disciplines : à partir de W. Benjamin). Le croisement des disciplines et des langues dont il se veut l’expression n’a été possible qu’au sein de la MSH Paris Nord, sous l’œil bienveillant de son directeur P. Moeglin et de son équipe (G. Popovici, A. Paly, F. Jeannin, S. Guindani, M. Porchet). C’est dans ce lieu exceptionnel que nous avons pu suivre les développements des travaux de G. Teyssot, J. Boulet, J.H. Barthélémy, A. Sédes, A. Brossat, Ph. Baudouin, D. Ledent, L. Odello, P. Szendy, A. Naze, S. Mariniello, E. Méchoulan, S. Rollet, M. Hohlfeldt, B. Ochsner, A. Rieber, G. Roesz, M. Berdet, V. Fabbri, P.D. Huyghe, J. Lauxerois, G. Rockhill, E. Alloa, J. Rancière, G. Didi-Huberman, M. Girard, D. Payot, L. Manesse- Césarini, S. Guindani. Une pensée affectueuse à mes relectrices : A. Roussel et L. Manesse-Césarini. 6 7 Walter Benjamin et l’inconscient constructif de Sigfried Giedion Walter Benjamin s’est donné comme objectif esthético- politique dans les années 1930 de déterminer la dorsale de la sensibilité commune du XIXe siècle, en partant de la lecture de l’historien suisse de l’architecture moderne Sigfried Giedion, et en particulier de son ouvrage contemporain Bauen in Frankreich (1928)1. Les ouvrages de Giedion ont formé depuis lors des générations d’architectes, une conséquence de sa position internationale à la tête des Congrès Internationaux d’Architecture Moderne. Les citations de Giedion dans Paris, capitale du XIXe siècle2 ont, un rôle essentiel. Benjamin écrit en particulier : Les musées font partie de la façon la plus nette des maisons de rêve du collectif. Il faudrait mettre en évidence, chez eux, la dialectique selon laquelle ils contribuent, d’une part, à la recherche scientifique, et favorisent, de l’autre, “l’époque rêveuse du mauvais goût3”. Benjamin distingue pour le même appareil, ici le musée, la face objective (la recherche scientifique) de la matrice du rêve collectif (l’époque rêveuse du mauvais goût). Et Benjamin continue cette citation : Chaque époque ou presque semble, de par sa constitution interne, développer tout particulièrement un problème architectural précis : pour le gothique, ce sont les cathédrales, pour le baroque le château et pour le XIXe siècle naissant, qui a 1 Giedion (Sigfried), Bauen in Frankreich : Eisen, Eisenbeton, Leipzig, Klinkhardt und Biermann, 1928 ; Id., Construire en France, en fer, en béton, avant-propos Cohen (J.-L.) ; trad. Ballangé (G.), Paris, Éditions de la Villette, 2000. Ce chapitre est une version modifiée de l’article paru dans Images re-vues, hors série 2, 2010. Revue en ligne INHA-EHESS- revue.org, à la suite du colloque : L’histoire de l’art depuis W.Benjamin. 2 Benjamin (Walter), Paris, capitale du XIXe siècle : le livre des passages, trad. fr. Lacoste (J.), Paris, Éd. du Cerf, 1989. 3 Ibid., p. 424 ; S. Giedion, Bauen in Frankreich, p. 36. 8 tendance à se tourner en arrière et à se laisser ainsi imprégner par le passé, le musée4. Mon analyse, ajoute Benjamin, trouve son objet principal dans cette soif de passé et fait apparaître le musée comme un intérieur élevé à une puissance considérable5. On peut faire l’hypothèse qu’une bonne partie des connaissances de W. Benjamin sur l’architecture et l’urbanisme du XIXe siècle trouve chez Giedion et dans une moindre mesure chez Meyer (Eisenbauten, 1907) ses sources (construction en fer, le verre, le béton, les passages, les magasins de nouveautés, Haussmann, les expositions universelles, le musée, les types d’éclairage, Le Corbusier, etc.). Mais bien plus, qu’il semble fonder à partir de Giedion une problématique des rapports entre l’infrastructure (les rapports de production marxiens qui sont remplacés par la question de la technique de construction) vs la superstructure culturelle (les comportements nouveaux de l’urbain : la flânerie, le dandysme, le spleen, la prostitution, l’ennui, Fourier, Grandville, Saint-Simon, Hugo, Daumier, Baudelaire, etc.). On sait qu’à la suite de l’envoi de l’édition de L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproduction technique, T. Adorno a porté une attaque très sévère contre ce texte majeur du XXe siècle, sous prétexte que Benjamin, mauvais dialecticien, aurait été incapable de rendre compte des « médiations » indispensables à la compréhension des rapports entre l’infrastructure et la culture6. Or, dans ses écrits contemporains et plus systématiques que Paris, capitale du XIXe siècle, sur Baudelaire, W. Benjamin va détailler les appareils qui expliquent la production culturelle d’une époque comme le XIXe siècle : essentiellement, le passage urbain, la doctrine freudienne de l’appareil psychique, la photographie, en lieu et place de l’appareil qui selon Marx 4 Ibid. Versailles est un exemple privilégié pour Giedion. 5 Benjamin, op. cit., p. 425. 6 Adorno (Theodor), lettre du 18 mars 1936, reproduite in extenso dans W. Benjamin, Écrits français, Paris, Gallimard, 1991, pp. 133-139. 9 permettait de comprendre le fétichisme de la marchandise comme renversement des rapports de production : la camera obscura7. Lequel appareil avait été substitué par Giedion par l’infrastructure technique de fer et de béton. Si pour Benjamin, qui décrit ainsi d’autres médiations que celles attendues par Adorno, les rapports entre l’économie et la culture ne sont pensables ni en termes de causalité, ni en termes, plus raffinés, d’expression, c’est qu’il y va d’une médiation technique et symbolique que W. Benjamin va commencer à élaborer à propos du cinéma, en utilisant les termes d’appareil8 (Apparat) et d’appareillage (Apparatur). Il faut distinguer les deux sens possibles de ce terme d’appareil : quand une machine technique ou institutionnelle transforme le statut de ce qui apparaît, et donc aussi celui des arts (ce fut le cas de la photographie ou du cinéma), alors la technique est littérale, mais quand elle est utilisée pour rendre compte d’un état de chose, alors, elle est peut être prise comme modèle explicatif, c’est le cas de la photographie pour Freud pour tenter d’approcher l’appareil psychique9 et pour Marx avec la camera obscura. Mais plus essentiellement que cette distinction entre littéralité et modèle explicatif, on doit recourir aux appareils pour expliciter les relations entre rapports de production et culture, parce que d’un côté les appareils sont techniques et qu’à ce titre leur genèse est celle de tous les objets techniques (Simondon10) et que de l’autre, ils sont symboliques, comme 7 Bubb (Martine), La camera obscura, Paris, collection Esthétiques, l’Harmattan, 2010. 8 Déotte (Jean-Louis), Qu’est-ce qu’un appareil ? Benjamin, Lyotard, Rancière, Paris, coll. Esthétiques, L’Harmattan, 2007. 9 Déotte (Jean-Louis), « Les trois modèles freudiens de l’appareil psychique », dans Phay Vakalis (S.), Miroir, appareils et autres dispositifs, Paris, L’Harmattan, 2008, pp. 211-221. 10 Déotte (Jean-Louis), « Le milieu des appareils », in Déotte (J.-L.), Milieu des appareils, Paris, L’Harmattan, 2008, pp. 9-22. Voir également Barthélémy (Jean-Hugues), Penser la connaissance et la technique après Simondon, L’Harmattan, 2005. 10 la perspective selon Panofsky11, configurant à nouveaux frais le monde des apparences. Cette distinction est fondatrice chez Kracauer12, c’est la distinction entre la généalogie (photographique) du cinéma et ce qu’il appelle un « art à part », sa capacité non seulement à explorer l’invu, mais surtout à inventer de nouveaux objets esthétiques. Si Benjamin a été fasciné par la lecture de Giedion, c’est qu’en mettant en exergue les nouveaux matériaux de l’architecture, ainsi que les savoir-faire nécessaires, il se retrouvait face à une sorte de Marx ou de Freud qui lui livrait les clefs infrastructurelles de la modernité culturelle. C’est la question de la technique en général qui est ici en jeu chez W. Benjamin. Alain Naze, dans un livre récent portant sur Benjamin, Pasolini et le cinéma13, reconstitue cette problématique, ainsi que les époques de la technique en rapport avec la nature. Avec l’architecture en béton et en fer, il s’agit bien de la seconde époque de la technique, celle de l’industrie. Le cinéma étant essentiellement une industrie culturelle. Rappelons quelques éléments : quand W. Benjamin publie ses trois pages sur Le caractère destructeur (1931) et qu’il oppose systématiquement ceux qui sont au service du caractère destructeur aux « hommes étuis », ou bien lorsqu’il fait l’éloge de la machine automobile dans Expérience et pauvreté (1933) (« Les figures de Klee ont été pour ainsi dire conçues sur la planche à dessin [de l’ingénieur], et, à l’instar d’une bonne voiture dont même la carrosserie répond avant tout uploads/Ingenierie_Lourd/ jean-louis-deotte-walter-benjamin-et-la-forme-plastique.pdf
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- Publié le Sep 01, 2021
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