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HAL Id: halshs-00009524 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00009524 Submitted on 8 Mar 2006 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Les grammaires cognitives Bernard Victorri To cite this version: Bernard Victorri. Les grammaires cognitives. C. Fuchs. La linguistique cognitive, Ophrys, pp.73-98, 2004, Cogniprisme. ￿halshs-00009524￿ La linguistique cognitive, Ophrys, 2004 – Version préliminaire Les grammaires cognitives Bernard Victorri 1. Introduction On regroupe sous l’appellation « grammaires cognitives » un courant de recherche en linguistique qui est né dans les années quatre-vingt, sur la côte ouest des Etats-Unis. Les principaux tenants de ce courant l’appellent plus volontiers « linguistique cognitive », mais nous avons ici préféré éviter ce terme, qui peut porter à confusion puisque d’autres courants, radicalement opposés, comme celui des grammaires génératives, revendiquent aussi cette étiquette1. Ce courant a rapidement acquis une large audience internationale, grâce notamment aux textes fondateurs de quatre auteurs : Ronald Langacker, avec le premier tome de Foundations of Cognitive Grammar (Langacker 1987), Leonard Talmy, avec deux articles essentiels : Force Dynamics in Language and Thought et The relation of grammar to cognition (Talmy 1988a et 1988b), articles repris dans l’ouvrage récent Towards a Cognitive Semantics (Talmy 2000), Georges Lakoff, avec Women, Fire and Dangerous Things (Lakoff 1987), et enfin Gilles Fauconnier, avec un ouvrage écrit d’abord en français, Espaces mentaux (Fauconnier 1984), aussitôt traduit en anglais (Fauconnier 1985), et réédité par la suite avec une nouvelle préface (Fauconnier 1994). Ce courant s’est solidement structuré avec notamment la création d’une association (International Cognitive Linguistics Association) qui organise une conférence internationale régulière, une revue (Cognitive Linguistics) depuis 1990, et une collection (Cognitive Linguistics Research, une quinzaine d’ouvrages parus à ce jour). Il s’est étendu et renforcé, avec un grand nombre d’études portant sur les langues les plus diverses, et aussi de nouvelles contributions théoriques qui ont élargi les approches fondatrices : on peut ainsi citer, entre autres, les ouvrages d’Eve Sweetser (From Etymology to Pragmatics, 1990), d’Adele 1 Il faut d'ailleurs noter qu'un certain nombre de tenants du courant des grammaires cognitives, comme Langacker et Lakoff, sont d'anciens générativistes qui ont rompu avec l'orthodoxie chomskyenne. Lakoff, notamment, a été au début des années 70 l'un des chefs de file de la "sémantique générative", l'une des premières dissidences du courant chomskyen (cf. Dubois-Charlier et Galmiche 1972, pour une présentation des débats entre générativistes à cette période). Goldberg (Constructions - a Construction Grammar Approach to Argument Structure, 1995), ou de Mark Turner (The Literary Mind, 1996). Les fondements théoriques des grammaires cognitives reposent sur quelques principes qui donnent à ce courant son unité et son originalité. En premier lieu, l’activité de langage, tout en ayant ses spécificités, doit être régie par des mécanismes cognitifs généraux, à l’œuvre dans toutes les activités cognitives. Ainsi par exemple, comme nous aurons l’occasion de le voir plus en détail, l’opposition gestaltiste entre figure et fond se retrouve dans l’organisation des énoncés linguistiques. Plus généralement, la perception visuelle et l’expérience sensori- motrice jouent un rôle central dans la compréhension de la structure sémantique du langage. Il y a donc sur ce point une opposition radicale avec les conceptions fodorienne et chomskyenne des relations entre langage et cognition. Le langage n’est pas une faculté autonome innée, dont les propriétés computationnelles seraient uniques et singulières, sans équivalent dans le reste du système cognitif. Comme l’écrit Langacker (1987, p. 12-13) : Language is an integral part of human cognition. An account of linguistic structure should therefore articulate with what is known about cognitive processing in general, regardless of whether one posits a special language “module” (Fodor 1983) or an innate faculté de langage. If such a faculty exists, it is nevertheless embedded in the general psychological matrix, for it represents the evolution and fixation of structures having a less specialized origin. Even if the blueprints for language are wired genetically into the human organism, their elaboration into a fully specified linguistic system during language acquisition, and their implementation in everyday language use, are clearly dependent on experimental factors and inextricably bound up with psychological phenomena that are not specifically linguistic in character. Thus we have no valid reason to anticipate a sharp dichotomy between linguistic ability and other aspects of cognitive processing. Instead of grasping at any apparent rationale for asserting the uniqueness and insularity of language, we should try more seriously to integrate the findings of linguistics and cognitive psychology. En conséquence, les grammaires cognitives rejettent totalement la primauté et l’autonomie accordées par les grammaires génératives à la syntaxe. L’étude des structures syntaxiques n’est pas une finalité en soi, qui permettrait de découvrir l’essence même du langage. Au contraire, les constructions syntaxiques sont, au même titre que les autres éléments constitutifs des langues (les unités lexicales et grammaticales), des structures symboliques, porteuses de sens, qui contribuent à la signification globale des énoncés. C’est donc la sémantique qui est placée au cœur du dispositif. La finalité du langage est de construire des structures sémantiques complexes, que Talmy appelle « représentations cognitives », Langacker « structures conceptuelles » et Fauconnier « espaces mentaux ». L’étude de la grammaire consiste à rendre compte de la manière dont les unités linguistiques, sortes de « briques » élémentaires symboliques, se combinent pour produire des représentations complexes. Chaque différence de forme correspond à des différences dans la représentation construite. Ainsi, pour Langacker (1987, p. 39), les deux énoncés suivants n’ont pas le même sens : (1) He sent a letter to Susan (2) He sent Susan a letter Même s’ils décrivent le même événement, ils ne le présentent pas de la même manière : l’énoncé (1), à cause de la préposition to, met en relief la trajectoire de la lettre, alors que l’énoncé (2) met l’accent sur le résultat de l’action, la possession de la lettre par Susan. Ces différences de focalisation (de « profilage », dans la terminologie de Langacker) doivent faire partie intégrante de la description sémantique de ces deux énoncés. Deux paraphrases, aussi proches soient-elles, n’ont donc pas la même représentation sémantique associée. A fortiori, deux énoncés de deux langues différentes sont irréductibles l’un à l’autre : comme on le voit, on est à cent lieux de la thèse chomskyenne d’une « grammaire universelle » commune à toutes les langues, dont la diversité apparente se réduirait à de simples différences de valeurs d’un petit nombre de paramètres. Cela étant, il existe aussi pour les grammaires cognitives des aspects universels du langage : ce sont ces mécanismes cognitifs généraux qui sont à l’œuvre quelle que soit la langue, et qui s’appliquent au matériau linguistique spécifique de chacune d’elles. Les relations entre langage et cognition ne sont pas à sens unique. Si la connaissance d’autres activités cognitives, comme la perception, permet de mieux comprendre des phénomènes purement linguistiques, inversement, l’étude du langage peut révéler des modes de fonctionnement qui s’appliquent à d’autres activités cognitives. La linguistique peut donc aider, en retour, à mieux comprendre le fonctionnement de l’esprit. C’est ainsi notamment que Lakoff défend l’idée que le mécanisme de la métaphore, loin de se limiter à un phénomène observable dans le langage, constitue en fait un mécanisme cognitif très général, à l’œuvre dans tous les domaines de la pensée, y compris le développement des sciences mathématiques (Lakoff et Nuñez 2000). De même, Fauconnier (1997) considère que sa théorie des espaces mentaux peut rendre compte des opérations impliquées dans le raisonnement en général. Il n’est bien sûr pas possible, dans le cadre de cet article, de décrire l’ensemble des travaux développés ces vingt dernières années dans le cadre des grammaires cognitives. Nous avons donc choisi de nous centrer sur quelques aspects, particulièrement significatifs, qui, du moins nous l’espérons, donnent un aperçu de l’étendue et de la richesse de cette approche. Il n’est pas possible non plus de présenter individuellement les travaux des divers auteurs, nous allons nous appuyer tantôt sur l’un, tantôt sur un autre, de manière à montrer avant tout la cohérence et l’unité de ce courant de pensée, au risque de gommer les différences, parfois importantes, entre leurs approches respectives. 2. Le sens grammatical S’appuyant sur la distinction classique pour les unités linguistiques entre classes ouvertes (noms, verbes, etc.) et classes fermées (prépositions, déterminants, etc.), Talmy (2000, vol. 1, p. 21) définit deux « sous-systèmes » au sein des langues qui ont des fonctions sémantiques nettement différenciées : le sous-système grammatical, qui détermine la structure de la représentation cognitive évoquée par un énoncé, et le sous-système lexical, qui en détermine le contenu. Le sous-système grammatical, qui fait l’objet de cette section, contient donc les morphèmes grammaticaux (libres ou liés), tels que les prépositions, les conjonctions, les flexions nominales et verbales, etc. uploads/Ingenierie_Lourd/ grammaires-cognitives.pdf

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