FLIC UN JOURNALISTE A INFILTRÉ LA POLICE © ÉDITIONS GOUTTE D’OR 5, RUE DE TOMBO

FLIC UN JOURNALISTE A INFILTRÉ LA POLICE © ÉDITIONS GOUTTE D’OR 5, RUE DE TOMBOUCTOU 75018 PARIS WWW.EDITIONSGOUTTEDOR.COM CONCEPTION GRAPHIQUE : CLÉMENT BUÉE ISBN : 979-10-96906-20-8 ÉDITIONS GOUTTE D’OR FLIC UN JOURNALISTE A INFILTRÉ LA POLICE VALENTIN GENDROT 5 NOTE DES ÉDITEURS Jamais un journaliste n’avait tenté – et réussi – l’aventure : infiltrer la police. Des reporters sont devenus ouvriers sur des chantiers non déclarés (Günter Wallraff en Allemagne), gardiens de pri- son (Ted Conover aux États-Unis, Arthur Frayer en France), d’autres ont joué les fous pour péné- trer dans des asiles (Nellie Bly aux États-Unis, Albert Londres en France). Avec Flic, un journa- liste nous emmène en voyage clandestin dans un commissariat français. Lorsque l’idée lui vient, Valentin Gendrot a 29 ans et compte déjà six infiltrations à son actif. Il sort d’une période de trois ans où il s’est immergé dans plusieurs jobs : ouvrier sur une chaîne automobile, vendeur au porte-à-porte, employé dans un call-center. Le journaliste en tire un premier livre publié sous le pseudonyme 6 FLIC de Thomas Morel, intitulé Les Enchaînés, un an avec des travailleurs précaires et sous-payés (Les Arènes, 2017). Pourquoi a-t-il choisi, cette fois, d’infiltrer la police ? L’envie, d’abord, de relever un défi personnel : être le premier à tenter le coup. La volonté, ensuite, d’apporter une réponse à des questions cruciales. Que se passe-t-il derrière les murs d’un com- missariat ? Comment les violences policières sont-elles devenues un leitmotiv ? La police française nourrit-elle des préjugés et des com- portements racistes ? Pourquoi est-il si diffi- cile de sanctionner un policier ? Mais aussi, que se passe-t-il dans la tête de ces hommes et femmes assermenté(e)s ? Pourquoi ces agents de l’État crient-ils au ras-le-bol ? Pourquoi le taux de suicide des policiers est-il si élevé que l’on parle maintenant, dans cette profession, de « sur-suicide » ? Invisible sur Internet, Valentin Gendrot a pu s’inscrire sous son vrai nom au concours d’ad- joint de sécurité (ADS) ou policier contrac- tuel, le poste en bas de l’échelle. Sa formation à l’école de police de Saint-Malo dure seule- ment trois mois, contre douze en moyenne pour 7 FLIC devenir gardien de la paix. Selon les mots pro- noncés par un instructeur, cette formation allé- gée lancerait sur la voie publique « une police low cost ». En témoigne la formation pour l’ac- cueil des personnes victimes de violences conju- gales, expédiée en trois heures. À sa sortie d’école, Valentin ne décroche pas l’affectation souhaitée. Il patiente alors plus d’un an pour obtenir enfin son premier choix, le commissariat du 19e arrondissement de Paris, lui qui rêvait de devenir flic dans un quartier populaire, là où la relation des policiers avec les habitants est réputée difficile. Dès son premier jour, le journaliste infiltré a la sensation d’intégrer « une bande » navi- guant sur un bateau ivre. Il est stupéfait. Des collègues policiers tutoient, insultent et distri- buent des coups à ceux qu’ils désignent comme « les bâtards » : en grande majorité des jeunes hommes noirs, d’origine arabe ou migrants. Le « code de déontologie du policier et du gen- darme » enseigné à l’école de police semble avoir été créé pour un autre monde, un monde de paperasserie déconnecté de la réalité. Flic montre le quotidien du policier pris en étau. D’un côté, le manque de considération 8 FLIC de sa hiérarchie. De l’autre, l’hostilité d’une partie de la population. Valentin et ses collè- gues travaillent dans un commissariat vétuste et conduisent des véhicules cabossés. Et à la fin du mois, le salaire tombe : 1 340 euros net. Un rapport du Sénat publié en 2018 signale qu’en début de carrière, des policiers affectés en Île-de- France dorment parfois « à plus de 5 dans dans 20 m2 […] voire dans leurs voitures ». Le temps de l’immersion de Valentin, un collègue parti en vacances charge son pisto- let de service et se tire une balle dans la tête. Un suicide parmi les 59 totalisés dans la police française en 2019, 60 % de plus que l’année précédente. Valentin Gendrot ne cache rien. Il relate une bavure, mais aussi comment il participe à la rédaction du PV mensonger destiné à cou- vrir son collègue. L’immersion, ici, prend tout son sens. Elle nous fait découvrir les secrets que seuls les policiers partagent, le journaliste nous ouvre l’antichambre où personne n’est jamais entré. Pour éviter d’éventuelles représailles ou atteintes à la vie privée de ses anciens collègues, l’auteur anonymise chaque policier cité dans 9 FLIC son ouvrage. Les caractéristiques physiques, les noms et les surnoms ont été modifiés. Ce livre rencontre son époque. Il nous par- vient durant le quinquennat du président Emmanuel Macron, marqué par une explo- sion des violences policières contre le mouve- ment des gilets jaunes. Par ailleurs, en 2020, 20 000 personnes se sont mobilisées devant le tribunal de Paris contre les violences poli- cières aux cris de « la vie des Noirs compte ». Au même moment, des enquêtes publiées par Mediapart1, Arte radio2 et StreetPress3 ont révélé de nombreux propos discriminatoires et racistes émanant de membres de forces de l’ordre. Devant l’émotion suscitée par ces dérives, Emmanuel Macron a demandé au ministre de l’Intérieur Christophe Castaner de livrer des propositions pour « améliorer la déontologie des forces de l’ordre ». Le lendemain, le ministre en question déclare : « Ces dernières semaines, trop ont failli dans leur devoir républicain. Des 1. Camille Polloni, « “Bougnoules”, “nègres”, “fils de pute de juifs” : quand des policiers racistes se lâchent », Mediapart, 4 juin 2020. 2. Ilham Maad, « Gardiens de la paix », Arte radio, 4 juin 2020. 3. Ronan Maël, « Des milliers de policiers s’échangent des messages racistes sur un groupe Facebook », StreetPress, 4 juin 2020. 10 FLIC propos racistes ont été proférés, des discrimina- tions révélées. C’est inacceptable. » Le « premier flic de France » reconnaît pour la première fois un problème dans ses rangs. Un problème de racisme. Infiltrer la police ? Beaucoup pourront juger le projet hostile. Il suffit de lire Flic pour com- prendre que ce n’est pas le cas. Valentin Gendrot rapporte ce qu’il voit, entend et ressent, il ramène à une échelle humaine les policiers et les victimes de leurs abus. Au fil des jours, son parler et ses comporte- ments changent. Valentin s’interroge : est-ce le début d’un esprit de corps ? L’indice que l’empa- thie s’émousse ? Il se surprend à ressentir, en lui, la police qui s’infiltre. Geoffrey Le Guilcher, Clara Tellier Savary et Johann Zarca À mon cher Papa. À La Merguez. À Marcelo. 13 «T’ as fait quoi, là ? » Toto1 attrape le type et le plaque contre l’abribus. Il va l’éclater, c’est sûr. Autour de nous, des badauds s’attardent, certains sortent leur téléphone et filment la scène. – Va là-bas ! me gueule François. On fait un péri- mètre de sécurité ! C’est l’une de mes premières journées avec le groupe et ils en tiennent enfin un. Ils les appellent « les bâtards ». Et quand ils sortent, ils partent à la chasse aux bâtards. Celui-là, Toto n’a pas trop galéré à le choper. Il s’agit d’un mec chétif, un gringalet sans doute mineur. Un petit bâtard, quoi. 1. Tous les noms et surnoms ont été modifés. CHAPITRE 1 14 FLIC Je surveille les alentours. Personne ne doit les déranger. J’ai la mâchoire contractée. Je garde les mains posées sur les hanches, la gauche à quelques centimètres de mon flingue. Face à moi, les potes du gringalet me fixent d’un air hostile. Je transpire et frissonne. L’adrénaline monte. Mon cœur tambourine. – Faites le tour, ne passez pas par là, dis-je ferme- ment à des passants qui affluent dans ma direction. Je me retourne, le type est toujours collé à l’abri bus. La scène me semble interminable. – On bouge, lance François, dans mon dos. Nous remontons tous les six dans le fourgon blanc, accompagnés du gamin. Toto appuie sur la pédale d’accélérateur. À l’arrière, nous valdinguons hors de nos sièges en skaï. Il faut s’accrocher. Le jeune homme terrifié est assis entre nous. Pas question pour les autres de le toucher, cette histoire doit visiblement se régler entre Toto et lui. Nous roulons à fond dans les artères pari- siennes jusqu’à sortir de notre secteur, je ne reconnais plus le coin. Nous arrivons à Pantin. Qu’est-ce que nous foutons ici ? Nous sommes censés rester dans le 19e arrondissement… Toto se gare en pleine rue. Il descend, ouvre la porte du fourgon et monte avec nous à l’arrière. Il empoigne le type, lui tire les cheveux. 15 FLIC – T’as fait quoi tout à l’heure ? Hein ? Un de mes collègues me demande de sortir pour faire le guet. Je descends, claque la porte coulissante et patiente à l’extérieur. Le véhicule remue, j’entends des cris. J’attends quelques instants en gardant un œil sur les allées et venues des passants. La porte s’ouvre à nouveau, la voix uploads/Ingenierie_Lourd/ flic-un-journaliste-a-infiltre-la-police-valentin-gendrot.pdf

  • 52
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager