Petit flashback. Le 9 décembre 2019, la Mairie de Toulouse, par un arrêté munic

Petit flashback. Le 9 décembre 2019, la Mairie de Toulouse, par un arrêté municipal, a fermé le passage qui reliait l’avenue Etienne Billières à la rue Adolphe Coll. Ca ne vous dit peut-être rien ? Je suis moi-même tombé sur cette information des mois après, un peu par hasard, en me baladant dans le quartier. On verra plus loin que symboliquement, ça n’est pas rien. Raison invoquée pour la promulgation de cet arrêté : « ce passage piéton public faisait l’objet d’installations permanentes intempestives de personnes ». Comprenez que des gens dormaient là, et que ça a fini par gêner les habitants de l’immeuble attenant. Je les voyais déjà, il y a quelques années, quand j’habitais le quartier. Des familles qui tentaient de trouver le sommeil sur des matelas de récupération, à quelques mètres de la contre-allée de l’avenue Billières. A peine cachées du regard des passants, dans un renfoncement quelconque, qui offrait, à défaut d’autre chose, un abri contre la pluie et le vent. A quelques mètres de là, des boutiques un peu chic, mais aussi un centre social, désormais fermé, et dont l’accès est à présent bloqué par des blocs de béton. Seuls témoins : ces pochoirs, au sol, qui soulignent qu’on ne fait que pousser la misère plus loin, sans résoudre le problème. Triste politique de la ville. Ce genre de choses arrive fréquemment. Mais alors, pourquoi me suis-je arrêté devant cet immeuble-là, et pourquoi cet arrêté municipal m’a-t-il interpellé plus qu’un autre ? Tout simplement parce que c’est là qu’est né Mix’ Art Myrys. Le nom vient des usines de chaussures Myrys, désaffectées depuis le début des années 90, qui se trouvaient à cet endroit. Une poignée de trublions avaient investi les lieux en 1995 : des gens qui étaient sans domicile fixe, sans papiers, artistes, voire les trois à la fois, comme ils le font eux-mêmes remarquer quand il s’agit d’évoquer cette époque. LE PROJET A TOUJOURS FAIM En voyant le peu qui restait du lieu où tout avait commencé, je me suis dit avec amertume que ces choses ne seraient plus forcément possibles de nos jours, dans nos centres-villes qui se veulent des centres commerciaux à ciel ouvert (dixit Jean-Luc Moudenc lui-même). Un aventure de ce genre pourrait-elle prendre place aujourd’hui, dans ce pays dont le président n’est moderne qu’en apparence ? Lui qui se désole que si peu de jeunes aspirent à devenir millionnaires ? Ce lieu, sur lequel à mes yeux, plane encore un peu de mystère et de magie, a vu se créer un charmant petit tourbillon de talents et d’idées, grâce à l’impulsion d’une poignée de gens créatifs et aventureux, avant d’être bouffé par le projet. Oui, le projet. Toujours le projet. Car le projet a toujours faim. Récemment, les défenseurs de Mix’Art se réunissaient autour de l’image du monstre, symbole de ce que l’on veut garder caché. Mais qui est le vrai monstre, dans cette histoire ? Rien n’est plus vorace que le projet qu’on cherche à nous imposer. C’est toujours la même histoire : on expulse des gens sans trouver de solution pour les reloger, alors que les logements vides abondent. Le « maintien de l’ordre » et la surveillance de la population vont coûter des millions, usant de technologies toujours plus poussées. Quand il s’agira de trouver « un pognon de dingue » pour nous cerner d’hommes en bleu et de caméras, il n’y aura aucun problème. Tout est question de priorités, j’imagine… Le lieu qui avait abrité le Mix’Art Myrys des débuts a été rasé. On a bâti des immeubles d’habitations à la place. Et le rez-de-chaussée de l’ancienne préfecture de la rue de Metz (qui fut le repaire de l’association entre 2001 et 2005, suite à son expulsion de son Eden de brique et de tôle) héberge maintenant une jardinerie. Un magasin vaste et clinquant, qui ne détone pas dans le quartier. Aux yeux de certains, je suppose que tout est rentré dans l’ordre. Beaucoup s’en accommodent, mais d’autres désirent autre chose : ils veulent la Friche. Il y a toujours des gens qui ont envie d’autre chose. Et aujourd’hui, ils se réunissent sous la bannière des monstres, clamant leur désir de différence dans une société où tout finit par se ressembler. POUR UN MONDE EN JACHERE La Friche, c’est ce qu’on veut, mais on y a de moins en moins accès. Les espaces sont de plus en plus cloisonnés, et ce, en fonction de besoins dont nous décidons de moins en moins. On bétonne, on fuit en avant. On rase, on refait en plus grand. Au contraire, l’idée de la Friche, de la terre en jachère, c’est de laisser le sol se reposer. De prendre le temps de faire les choses en fonctions d’objectifs qui n’auraient pas été fixés en haut lieu. De proposer de nouvelles façons de vivre en société. La Friche, c’est peut-être ce dont on a besoin de nos jours : « on s’arrête, on réfléchit, et c’est pas triste », comme nous le disait Gébé dans « L’an 01 ». Jour après jour, les mailles du filet du contrôle généralisé se resserrent, tandis que le tissu humain s’étiole en silence. J’ai du mal à ne pas voir tout ça comme un monde qui meurt. Une planète unifiée sous l’égide de la vitesse abrutissante, où désormais, « tout est permis, mais rien n’est possible », pour citer Clouscard. La ville est de moins à moins à nous. Moi, j’aimais ce monde de friches. Au lycée, je ne ratais pas une occasion de faire le tour des terrains vagues toulousains pour y chasser les couleurs, entre les carcasses d’acier et les murs en attente de démolition. J’en ai vu rouiller, puis tomber, des usines désaffectées et des hangars. Des lieux déserts, envahis par les herbes hautes avant d’être gommés de l’histoire par les bulldozers. A l’embouchure des Ponts-Jumeaux, il y a maintenant une vingtaine d’années, s’étendait un bien bel endroit ce ce genre, un terrain vague que j’aimais arpenter, appareil photo à la main. Un endroit qui ne servait à rien, diront certains. Et je pense que c’est pour ça que je l’aimais. Aujourd’hui, des immeubles y ont poussé. Oui, les projets poussent encore et encore : « parce que c’est notre projet ». Et c’est à quelques rues de ces immeubles que réside Mix’Art depuis 2005. Un lieu aujourd’hui menacé, après avoir été frappé par une fermeture administrative. Une décision qui arrive au pire moment pour nous, mais au meilleur, de leur point de vue, à savoir en plein couvre-feu. Un nouveau coup de couteau dans dos, après la destruction du Bleu-Bleu, après la procédure d’éviction judiciaire envers le Pavillon Mazar, après l’expulsion du DAL31 et de la Fondation Abbé Pierre de leurs locaux de l’hôpital Lagrave. Une série d’événements, qui, selon la mairie, n’est due qu’au hasard… Mais là, ça fait quand même beaucoup de hasards, vous ne trouvez pas, monsieur le Maire ? Pourquoi fermer Mix’Art maintenant ? Ils n’ont jamais été aux normes, et ils ne s’en sont jamais cachés. Ils ont toujours demandé à la Mairie ce qui allait être fait pour pallier à ce problème. Même si on peut imaginer que le dialogue n’a jamais dû être simple, car ce sont deux mondes tout à fait différents qui se rencontrent. Au final, lettre morte. On est en train de perdre un des derniers lieux alternatifs de Toulouse, tandis qu’il devient de plus en plus compliqué de se mobiliser… Toutefois, le succès des manifestations impulsées par l’association qui gère encore les lieux semble montrer qu’à ce niveau-là, au moins, tout reste possible. Et qu’on avait peut-être juste besoin d’un électrochoc de ce genre pour avoir envie de descendre dans les rues, histoire de montrer que le monde que l’on défend existe encore. UN QUAI DE DECHARGEMENT Ce vaste hangar de la rue Ferdinand Lassalle, c’est là que je les ai connus. La première chose que l’on voit en arrivant, c’est un quai de déchargement. Un quai pour décharger sa colère et sa joie, mais aussi pour se recharger. C’était quand, ma première fois, à Myrys ? Je pense me souvenir des gens avec qui j’y suis allé la première fois, mais pas de ce que j’ai vu là-bas, en terme d’expositions ou de concerts. Etrangement, je n’en garde pas de souvenir particulier… Mais ça ne fait rien : Myrys, c’est avant tout les gens. Entrer dans ce lieu, c’est goûter à quelque chose de nouveau. Je regrette d’être peut-être passé devant leur fief de la rue de Metz sans m’arrêter, et d’avoir été trop jeune pour avoir eu la chance de voir à quoi ressemblait leur première repaire, à la Patte d’Oie. Mais c’est comme ça, je suppose. Et l’histoire doit s’écrire au présent. J’ai toujours aimé les lieux à l’abandon, ces lieux que l’on oublie. J’ai grandi avec ces friches, à Toulouse et aux alentours : j’y allais avec mon petit argentique à pas cher, à la fin des années 90, en quête de murs à uploads/Ingenierie_Lourd/ eloge-de-la-friche.pdf

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