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Tradition et spontanéité Lire plus Inquiétant ready- made Lire plus L’ordre de l’ordinaire - Architecture sans qualités Lire plus L’ordre de l’ordinaire - Architecture sans qualités Éric Lapierre Experience EL Architecture EL Text EL Sound News Event Livres Articles Remontant sur les collines qui dominent la baie du Lazaret, nous nous rendons maintenant dans une des plus extra-ordinaires constructions de la Seynes-sur-Mer : la villa Tamaris. Elle a été construite, au XIXe siècle, par Michel Pacha, concessionnaire des phares, quais et entrepôts de Constantinople et créateur du port moderne de l’actuelle Istanbul, auquel le paysage de la rade rappelait celui du Bosphore et de la Corne d’Or. A cette époque, la ville était une station balnéaire huppée et Il se dégage de l’ensemble de ce phénomène urbain un sentiment de ce qu’on appellera l’ordinaire. Sentiment que l’on attribue, à ce stade de nos pérégrinations, au caractère de petite ville populaire qui est celui de la Seynes-sur-Mer : la modestie des moyens, la dimension collective de cet établissement urbain, le sentiment de déjà vu de l’espace public et des bâtiments qui le bordent, nous laissent penser que nous sommes là face à une manifestation de la banalité. Devant d’indigentes barres de logement de trois étages auxquelles des balcons filant confèrent le caractère balnéaire de rigueur qui sied au lieu, les différents poteaux de signalisation et pylônes d’éclairage de ce paysage périphérique de centre ville servent de support à des affiches annonçant le spectacle de marionnettes “ Guignol et Winnie l’ourson ”. Non loin, une cabine vitrée de type “ Algéco ”, et dont l’entrée est marquée par un portique constitué de deux colonnes de ciment jointes par un linteau de fer rouillé, fait office de bureau de vente pour d’innombrables variations de maisons néo-provençales construites dans les communes environnantes ; Homes for Provence dirait Dan Graham. Parvenue dans le centre de la ville, la voie s’élargit, se borde de hauts lampadaires de type routier, qui alternent de manière apparemment hasardeuse avec d’autres, sortes d’arbres marron en tubes métalliques, portant des fruits sphériques blancs, qui marquent le caractère urbain du lieu. L’asphalte noir décoloré et couturé de la chaussée se prolonge sur des trottoirs simplement bordés d’éléments de ciment préfabriqués. Les barrières en métal vert foncé au motif romain en croix, chargées d’éviter le stationnement des voitures sur les trottoirs, complètent ce collage incontrôlé. 5 août 2005. Je retrouve le photographe Emmanuel Pinard pour visiter la villa Tamaris et la Seyne-sur-Mer. Le bleu foncé du ciel lavé par le mistral se reflète dans le plan scintillant de la Méditerranée. Sur la berge écrasée de soleil, des plantes grasses, des pins, et toute une flore issue de la spécificité de ces conditions géographiques s’épanouissent avec exubérance. Un sentiment d’unité se dégage de l’ensemble. La petite route de la corniche, qui épouse le contour et le relief de la rive a, tout aussi naturellement, trouvé sa place dans cet agencement environnemental. Une visite à la Seyne-sur-Mer © Eric Lapierre pour la Villa Tamaris et les Presses du réel, in Catherine Perret (dir.), Peinture sans qualités, Dijon, Les Presses du réel, 2005. La montée dans les étages d’exposition se fait en empruntant des espaces de circulations communes qui regroupent eux aussi tous les éléments génériques de l’“ établissement recevant du public ” : on oublie qu’on se trouve dans un prestigieux bâtiment du XIXe siècle lorsqu’on emprunte ces escaliers carrelés de céramique beige mouchetée, doté des nez de marche striés antidérapants réglementaires marron foncé. Au sommet de l’escalier, une grille au motif orthogonal, réalisée au moyen de tubes carrés soudés, apporte une touche de modernité décalée ; sa poignée, ovale, est une copie inspirée de modèles du début du XIXe siècle. Au plafond, des rampes de tubes fluorescents et leurs déflecteurs quadrillés aspect “ miroir ” Compte tenu de notre heure de visite en dehors des horaires d’ouverture, nous pénétrons dans le bâtiment par ce qui semble être une extension du socle sur lequel le bâtiment est posé, et qui fait office de salle des mariages durant les travaux de réaménagement de l’hôtel de ville. Le sol en carreaux de grès cérame moucheté de trente centimètres de côté à joints gris sombre ; les chaises de l’assistance, en contre-plaqué courbé et métal chromé ; les fauteuils des mariés et de leurs témoins, en tissu, avec leurs accoudoirs courbes et leurs pieds au profil “ dynamique ” ; la table au plateau de bois clair au profil courbe et la corbeille d’orchidées artificielles qui l’orne ; les pots de fleurs romains en plastique disposés autour de la table ; le ficus d’angle ; les photographies en couleur encadrées et disposées de travers sur le mur, représentant systématiquement la Seynes-sur-Mer en fond et un premier plan de barques anciennes ou de vieux gréments ; la faible hauteur sous plafond et les spots d’éclairage : tout évoque l’ennui générique des espaces cérémoniels d’un monde qui a perdu le sens du sacré. Moins ouvert sur l’extérieur, nous serions dans un funérarium ; avec plus de table, dans un restaurant d’entreprise ; avec un guichet, dans une agence bancaire ; avec une moquette bleu roi, dans un espace de vente de promoteur immobilier. La luxuriance de la végétation qui l’entoure rend difficile toute appréhension d’ensemble. Très imposante, elle est une représentante tardive et, par conséquent, un peu dégénérée de la tradition du palais italien. Elle se présente donc comme un parallélépipède couronné d’une corniche. Ses percements, réguliers, insistent avec emphase sur la travée centrale, afin d’indiquer l’entrée, tout en soulignant le caractère classique et symétrique de la façade. Les murs sont construits dans une sorte de meulière méditerranéenne qui donne à l’ensemble un caractère “ rocaille ”, néanmoins contredit par les encadrements de baies et autres éléments de modénature rapportés en béton – corniches, bandeaux, portique d’entrée, balustres, etc. –, dont la précision mécanique tranche nettement avec ce fond pittoresque ; contraste est encore renforcé par les menuiseries blanches en PVC peint qui se détachent fortement sur le fond sombre des baies. En toiture se devinent quelques ouvertures, destinées au désenfumage des escaliers en cas d’incendie, comme autant de bulles de fibre de verre, et des évacuations d’air sous forme de tubes d’acier galvanisé coiffés de protections coniques, qui témoignent du respect par le bâtiment des normes en vigueur en matière d’“ établissement recevant du public ”, comme les nomment les textes réglementaires en la matière. cosmopolite. La villa n’a jamais été habitée, l’assassinat en 1893, après trois ans de travaux, de la femme de Pacha, à laquelle elle était destinée, ayant en quelque sorte supprimé sa raison d’être. Un siècle plus tard, elle est devenue un centre d’art. La première l’oppose au monumental. La ville est ainsi constituée, d’une part, d’un grand nombre de constructions banales – historiquement principalement des logements, mais aujourd’hui aussi des bureaux, par exemple – qui constituent sa chair, dans la mesure où, disposées en surfaces, elles incarnent les formes urbaines ; d’autre part, elle est aussi constituée de monuments qui sont autant de marqueurs urbains symboliques ponctuels. L’architecte Aldo Rossi a clairement établi cette distinction, entre constructions monumentales et banales, dans son essai L’Architecture de la ville[2], et montré comment les monuments – les “ éléments singuliers ” –, qui incarnent l’idée qu’une société se fait, à un moment donné, de sa ville et d’elle-même, sont dotés d’un caractère de permanence, par opposition à ce qu’il nomme les “ aires de Le banal architectural a principalement trois acceptions. Pour aller plus avant dans notre tentative de compréhension de l’ordinaire architectural, il nous faut ici interroger, en forme d’apparente digression, la question du banal. Ces deux notions sont très souvent apparentées, voire confondues, et les termes les désignant fréquemment considérés comme synonymes dans le champ du discours sur l’architecture, et ils tendent à être utilisés indifféremment, comme appartenant à un halo sémantique qui, à force d’être étendu, tend à devenir un véritable brouillard[1]. Le fait que l’ordinaire puisse se rencontrer dans un bâtiment extraordinaire choque immédiatement notre entendement. Mais, dans le cas qui nous occupe comme dans bien d’autres, le statut du bâtiment est extraordinaire, notamment par son âge, son histoire, sa situation, sa dimension, et sa destination. Mais il est ordinaire par sa construction, par sa présence matérielle au monde. Il faut donc bien distinguer dans un bâtiment ces deux aspects : celui qui met en jeu son statut urbain et symbolique, d’une part, c’est-à-dire la manière dont il est disposé relativement à d’autres constructions dans un territoire donné – dans ce cas, le fait que la villa ait été édifiée au XIXe siècle, sur les collines, parmi une végétation luxuriante, et qu’elle dispose d’une vue imprenable sur la baie du Lazaret. D’autre part, la construction elle- même, dans sa présence physique et sa matérialité immanentes. Le statut urbain et symbolique d’une construction peut être extraordinaire, sans que le soit forcément son architecture et sa présence au monde immédiate. A contrario, des constructions ordinaires par le statut et la destination – banales, dirions-nous alors uploads/Ingenierie_Lourd/ e-ric-lapierre-experience-lordre-de-lordinaire-architecture-sans-qualite-s.pdf
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- Publié le Fev 04, 2022
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