1 Cette construction qui va déclinant : changement et rémanence dans la constru
1 Cette construction qui va déclinant : changement et rémanence dans la construction aller + forme verbale en -ant1 Jasper VANGAEVER (Université de Lille, Université de Gand, EA STIH) & Anne CARLIER (Sorbonne Université, EA STIH) 1. Introduction 1.1. Etat de l’art En grammaire latine, les termes « gérondif » et « participe présent » évoquent des paradigmes de formes verbales non finies, exemplifiés respectivement par (1) et (2). Ces deux types de formes constituent typiquement le prédicat d’une proposition qui est syntaxiquement dépendante d’une autre proposition, la proposition matrice, ou d’un constituant de celle-ci (Lehmann 1988). En latin classique, les propositions non finies à gérondif (1) et à participe présent (2) ont très souvent le rôle d’adjoint par rapport à la proposition matrice et sont à ce titre des constituants syntaxiquement facultatifs (Vangaever 2018) : (1) Et post dies quinque orando dominum emisit spiritum. (Pas. Pimenii 1.4.4) ‘Après cinq jours, il mourut pendant qu’il priait au Seigneur.’ (2) Hoc sperans legiones tres ex castris educit […]. (Caes. civ. 1.43.3) ‘En espérant cela, il amena trois légions de son camp.’ Dès le latin tardif, l’alliance d’un gérondif ou participe présent avec un verbe de mouvement (3) ou de position (4) peut donner lieu à une nouvelle interprétation, de nature progressive (Haverling 2010) : (3) […] ibat proficiens atque succrescens donec magnus uehementer effectus est. (Vulg. Gen. 26.13) ‘Il continuait à prospérer et à accroître jusqu’à ce qu’il devint très grand.’ (4) [...] cum prope siluam uenisset [...] stetit dux diu cunctando. (Amm. Hist. 17.1.8) ‘Quand il arrivait à la forêt, il hésitait pendant longtemps.’ Il s’agit là d’un début de processus de constructionalisation : la construction au départ bipropositionnelle, combinant une proposition matrice et une proposition ayant le rôle d’adjoint, se laisse graduellement réanalyser comme une périphrase verbale marquant l’aspect progressif (Vangaever soumis). Le verbe au départ matrice passe ainsi au statut de verbe semi- auxiliaire, tandis que la forme verbale non finie est promue au statut de verbe recteur. L’ancien français – tout comme d’autres langues romanes telles que l’italien et l’espagnol – hérite du latin tardif cette construction à gérondif ou participe présent (Gougenheim 1929, Schøsler 2007, Becker 2005), avec cette particularité que le gérondif et le participe présent convergent formellement en la forme verbale en -ant. En comparaison avec le latin, cette construction connaît une montée en fréquence en ancien français, tant avec des verbes de mouvement (5) qu’avec des verbes de position (6) en position de verbe conjugué (dorénavant Vc) : (5) Li jurn vunt aluignant / E les nuiz acurzant. (Comput, v. 379-380) ‘Les jours s’allongent et les nuits raccourcissent.’ (6) Un prestres ert messe chantant. (Adgar, Miracle 9, v. 1) ‘Un prêtre était un train de chanter la messe.’ D’après Gougenheim (1929) et Schøsler (2007), la construction atteint sa fréquence maximale en français médiéval et au 16e s., mais recule à partir du 17e s. et tombe en désuétude au cours du 18e s. Jusqu’au 19e s. l’aspect progressif est marqué par les formes synthétiques du verbe comme l’imparfait et le présent, avec lesquelles la construction progressive à forme verbale en -ant était en compétition dès l’ancien français (Schøsler 2007). Au cours du 19e s. émerge une nouvelle construction analytique, à savoir être en train de + infinitif, qui entre en concurrence avec ces formes synthétiques sans pour autant les remplacer de façon définitive (Schøsler 2007). La construction progressive à forme verbale en -ant a-t-elle pour autant disparu ? Selon Johannesen (1977), la construction survit en français moderne en combinaison avec, en position de V-ant, deux types de verbes : les verbes qui expriment un accroissement (7) ou un décroissement (7b), ce qui semble suggérer un processus de lexicalisation : (7) a. Les prix vont augmentant. b. Les prix vont décroissant. Selon Kindt (1998) et Halmøy (2013), la construction progressive à forme verbale en -ant est extrêmement rare au 20e s., le dernier exemple attesté dans la base de données Frantext datant de 1941 (Kindt 1998). Il n’est donc guère étonnant que cette construction n’ait pas encore été étudiée dans un corpus de français contemporain (21e s.). 1 Cette étude a été réalisée dans le cadre du projet ANR-DFG PaLaFra (ANR-14-FRAL-0006). Nous remercions les deux relecteurs de leurs commentaires critiques qui nous ont amenés à clarifier certains points. 2 Nous inclurons pourtant ce stade évolutif dans le présent travail. Nous comparerons la construction à forme verbale en -ant en ancien français et en français contemporain, afin de dégager l’évolution qu’a connue cette construction depuis les débuts de la langue française jusqu’au stade actuel et d’évaluer dans quelle mesure la valeur aspectuelle progressive persiste. 1.2. Cadre théorique La présente étude s’inscrit dans le cadre théorique de la grammaire de construction, telle qu’elle a été développée notamment par Goldberg (1995, 2006), Croft (2001) et Hilpert (2013). Au sein de ce cadre théorique, une construction est définie comme une association arbitraire d’une forme et d’un sens. Contrairement à l’approche modulaire de la grammaire générative, où le caractère arbitraire de la langue est relégué au lexique alors que la syntaxe consiste en une mise en rapport des unités lexicales, la grammaire de construction admet que les constructions syntaxiques sont également des associations conventionnelles entre forme et sens. Ainsi, la construction ditransitive est associée à un sens de transfert (8a), ce qui permet au verbe glisser, qui ne véhicule pourtant pas intrinsèquement le sens de transfert, d’évoquer le scénario d’un transfert d’un objet par un agent à un bénéficiaire (Goldberg 2006 : 7) : (8) a. Subj V Obj1 Obj2 b. Il glisse un billet à Marie. Les constructions peuvent être positionnées sur un continuum selon qu’elles sont plus ou moins schématiques ou, inversement, substantielles (Goldberg 1995, 2006 ; Croft 2001). Les constructions maximalement schématiques sont celles dont toutes les positions structurales sont lexicalement ouvertes, comme la construction ditransitive (8a), alors que dans les constructions maximalement substantielles toutes les positions sont lexicalement déterminées (par ex. l’expression idiomatique Les carottes sont cuites ‘il n’y a plus d’espoir’). Les constructions qui ne sont ni maximalement schématiques ni maximalement substantielles se caractérisent par une combinaison de positions lexicalement déterminées (> substantialité) et ouvertes (> schématicité). C’est le cas par exemple de la construction X rend la pareille à Y. Dans le présent article, nous analyserons les propriétés formelles et fonctionnelles de la construction progressive à forme verbale en -ant, en comparant sa schématicité et donc sa productivité en ancien français et en français contemporain. Ce faisant, nous évaluerons dans quelle mesure cette construction exemplifie le concept de rémanence Dans le passé, le concept de productivité a été appliqué surtout en morphologie, notamment à la formation de nouveaux mots (e.a. Aronoff 1976, Baayen & Lieber 1991, Baayen 1992, 1993, Bybee 1995, Bybee & Thompson 1997, Bauer 2001, Booij 2010). De récentes études menées sur des constructions dans des langues diverses (cf. e. a. Barðdal (2008) pour l’islandais, Zeldes (2012) et Hilpert (2013) pour l’anglais, Zeldes (2012) pour l’allemand, et Gyselinck (2018) pour le néerlandais) ont démontré que ce concept est également pertinent dans le domaine de la syntaxe. Notre étude se situe dans cette lignée, et fait suite à une étude consacrée à la productivité de la construction progressive à gérondif et participe présent dans le passage du latin tardif à l’ancien français (Vangaever soumis), en comparant ici la productivité qu’a cette construction en ancien français et en français contemporain. La productivité de la construction progressive à forme verbale en –ant sera examinée ici en fonction de la variation collocationnelle entre Vc et V-ant : plus il y a variation, plus la construction est productive, et inversement (cf. la ‘productivité comme généralité’ dans Barðdal 2008). Afin de mesurer la productivité d’une construction, deux paramètres ont été mis en avant, à savoir la type frequency (e.a. Bybee 1985, Goldberg 1995, Bybee & Thompson 1997) et la cohésion sémantique (e.a. Aronoff 1976 ; Baayen 1992 ; Bybee 1995 ; Goldberg 1995, 2006 ; Bybee & Hopper 1997 ; Barðdal 2008). - La type frequency mesure la productivité en termes de variation lexicale : la construction accueille-t-elle un large paradigme de lexèmes ou est-elle restreinte à quelques lexèmes, voire à un lexème unique ? Il convient de distinguer type frequency par rapport à token frequency : alors que le premier concept correspond, dans le cadre d’une construction syntaxique, au nombre de combinaisons lexicales différentes, le deuxième concept renvoie au nombre total des occurrences d’une construction (Bybee 1985). - Un deuxième facteur à prendre en compte pour mesurer la productivité d’une construction est la cohésion sémantique : la construction est-elle compatible avec des verbes qui appartiennent à un champ sémantique précis ou, au contraire, à des champs sémantiques variés (Bybee 1995 ; Goldberg 1995, 2006 ; Bybee & Hopper 1997 ; Barðdal 2008). Selon Barðdal (2008), la productivité réelle d’une construction résulte de sa type frequency, sa cohésion sémantique et la relation inverse entre elles : une construction productive se caractérise par une type frequency élevée et un faible degré de cohésion sémantique (et donc une grande uploads/Ingenierie_Lourd/ cette-construction-qui-va-declinant-chan.pdf
Documents similaires










-
35
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jul 17, 2021
- Catégorie Heavy Engineering/...
- Langue French
- Taille du fichier 0.3716MB