38 Les Cahiers de l’Urbanisme N° 75 Juillet 2010 38 38-51 Yves Robert01 Institu
38 Les Cahiers de l’Urbanisme N° 75 Juillet 2010 38 38-51 Yves Robert01 Institut supérieur d’Architecture de la Communauté française La Cambre Assistant L’architecture coloniale en République démocratique du Congo : vers la patrimonialisation d’un héritage ambivalent ? Vue panoramique de l’actuelle place de la République de Lubumbashi. Au centre, le bâtiment du palais de justice (1928-1931). Sur la ligne d’horizon à droite, le terril et la cheminée de l’ancienne Union minière du Haut Katanga. © Yves Robert S’agissant de retracer l’histoire des architectes belges au 20e siècle, la plupart des interlocuteurs omettront probablement d’évoquer le demi-siècle de constructions intensives qu’a connu l’ancien Congo belge, l’actuelle République démocratique du Congo (RDC). Pourtant, ce territoire équatorial vaste comme près de 80 fois son ex-métropole fut le théâtre d’enjeux urbanistiques et architecturaux majeurs, qui ne furent pas sans incidence sur la pratique de l’urbanisme et de l’architecture en Belgique. 01 Historien de l’art et archéologue. Enseignant au sein du Master complémentaire en conservation restauration du patrimoine culturel immobilier (Centre des métiers du Patrimoine de la Paix-Dieu). Assistant chargé d’exercices à l’Université libre de Bruxelles. 39 02 À ce propos, lire par exemple : Jean Stengers, Congo, mythes et réalités : 100 ans d’histoire, Ath, Belgique Loisirs, 1989, 283 p. et Jean-Luc Vellut et al., La mémoire du Congo, le temps colonial, Tervuren- Gand, Éditions du Musée royal de l’Afrique centrale, Éditions Snoeck, 2005, 270 p. 03 Johan Lagae est Docteur en Histoire de l'architecture (Département d’Architecture et d’Urbanisme de l’Université de Gand). Lire notamment : Johan Lagae, L’architecture coloniale en République démocratique du Congo : pour une approche pluridisciplinaire du patrimoine, dans Architecture coloniale et patrimoine, expériences européennes (Actes de la table ronde organisée par l'Institut national du patrimoine, 7-9 septembre 2005), Paris, Somogy éditions d'art, Éditions de l'Institut national du patrimoine, 2006, p. 123-131. Johan Lagae, Léopoldville, Bruxelles : villes miroirs ? L’architecture et l’urbanisme d’une capitale coloniale et métropole africaine, dans Jean-Luc Vellut (sous la direction de), Villes d’Afrique, Explorations en histoire urbaine, Tervuren- Paris, Éditions du Musée À l’heure où le Congo fête ses 50 ans d’indépen- dance (1960-2010) et la ville de Lubumbashi son centenaire (1910-2010), il convenait de s’interroger sur la situation de cette architecture produite pendant la période coloniale, sur la place de celle- ci dans le Congo contemporain et, in fine, sur son éventuelle valeur patrimoniale. Une architecture à redécouvrir Conjointement à une histoire critique des rela- tions entre la Belgique et son ancienne colonie sur les plans politiques, sociaux et économiques déjà abondamment développée02, il existe un champ de recherche encore peu exploré : celui de l’urba- nisme et de l’architecture au sein de l’ex-Congo belge. Il appartient à Bruno De Meulder et Johan Lagae03 d’avoir, en pionniers, révélé la diversité et la qualité de ces constructions, qu’un demi-siècle de relations tumultueuses entre la Belgique et son ancienne colonie avait laissées dans l’oubli. Aujourd’hui, diverses initiatives sont prises en fa- veur de l’étude de cet héritage colonial. La France même s’intéresse aux édifices de l’ancien Congo belge et récemment un inventaire architectural de Kinshasa a vu le jour04. Quelques années aupara- vant, un autre inventaire fut conduit pour la ville de Lubumbashi05. Encore actuellement, en séjournant en «RDC», le voyageur sera surpris par l’étonnante diversité des constructions (édifices publics, ouvrages d’art, villas, complexes industriels, bâtiments religieux…), qui furent édifiées au gré de cet immense territoire par des ingénieurs, des militaires et des missionnaires, mais aussi par des architectes comme Gaston Boghemans (un des pionniers), Raymond Cloquet, Émile Henvaux, Maurice Heymans, Maurice Houyoux, Pierre Humblet, Henri Lacoste, Claude Laurens, Raymond Moenaert, Georges Ricquier, Claude Strebelle (et le groupe Yenga), Ernest Scaillon, René Schoentjes, Charles Van Nueten, etc. Sans oublier l’œuvre de l’Office des Cités africaines (1952-1960), qui édifia de nombreux logements et équipements sociaux modernistes à travers l’ancien Congo belge. La qualité, dont témoignent la plupart de ces projets, traduit la volonté de cer- tains acteurs locaux et de l’ancienne métropole d'afficher dans la colonie une impressionnante image-vitrine de leur pouvoir politique, écono- mique, social, religieux et culturel. royal de l’Afrique centrale, Éditions L’Harmattan, (Cahiers Africains – Afrika Studies, n° 73), 2007, p. 67-99. Johan Lagae, Rewriting Congo’s Colonial Past: History, Memory, and Colonial Built Heritage in Lubumbashi, Democratic Republic of the Congo, dans Repenser les limites : l'architecture à travers l'espace, le temps et les disciplines, Paris, INHA («Actes de colloques»), 2005, [En ligne], mis en ligne le 23 juin 2009,URL : http:// inha.revues.org/499 04 Inventaire architectural de Kinshasa financé par la France dans le cadre du programme de développement urbain (PRODEV) avec le concours du bureau d’études d’aménagement et d’urbanisme (BEAU), de l’Université de Gand et du bureau d'études Arter (2009-2011). 05 Inventaire du patrimoine architectural de Lubumbashi réalisé par l’ISACF-La Cambre, le bureau Cooparch- R.U., le Musée national de Lubumbashi et la participation d’enseignants de l’UNILU dans le cadre d’un projet intitulé «L’architecture coloniale, une identité partagée» 2006-2007. Le remarquable bâtiment des brasseries Bralima à Kinshasa (architecte Charles Van Nueten, circa 1949). Avec ses baies munies d’encadrement pare-soleil, le bâtiment se caractérise par une ossature en béton armé et bénéficie de murs extérieurs doubles avec couche d’air d’isolation. © Yves Robert «Sans référence à la mémoire, un peuple n’existe pas». «Le devoir de mémoire est une nécessité pour des nations qui aspirent à un développement durable.» Prof. Jacob Sabakinu (Université de Kinshasa) 40 Une architecture coloniale aux multiples visages Dans le contexte de l’ancien Congo belge, le concept d’architecture coloniale06 peut être restitué en faisant référence à un cadre chrono- logique bien délimité (1908-1960)07, à un contexte environnemental particulier (la zone équatoriale), à un ensemble d’influences locales et à un projet politique, économique et culturel global (la colo- nisation du Congo : un projet considéré à l’époque comme «civilisationnel»08). À la différence de la colonisation britannique, française et portugaise, le cadre temporel de la colonisation belge est extrêmement court : une cinquantaine d’années, voire vingt ans de plus en prenant en compte l’époque de l’État Indépendant du Congo. Durant cette période, les observateurs de la vie coloniale distinguent habituellement trois étapes de la construction européenne au Congo : le temps de l’architecture provisoire (de +/- 1885 à la Première Guerre mondiale), le temps de l’archi- tecture dupliquée (+/- 1920 jusqu’à la sortie de la Seconde Guerre mondiale) et finalement le temps d’une architecture tropicale rationnelle09 (circa 1949 – 1960). La première période est celle des pionniers qui bénéficiaient au mieux de constructions de type bungalow édifiées à partir de charpente métal- lique importée d’Europe. Plusieurs entreprises wallonnes contribuèrent à cette aventure archi- tecturale comme la société Baume et Marpent à Haine-Saint-Pierre et les forges d’Aiseau près de Charleroi10. La seconde traduit le moment où s’opère la nais- sance des agglomérations, théâtre d’une vie de plus en plus calquée sur les normes européennes. Comme l’observe l’architecte E. Henvaux, «il faut vivre comme l’on vit généralement au pays, dans des maisons banales et souvent prétentieuses, chalets normands, habitations de banlieues, villas des faubourgs et, plus tard, construction d’allure moderniste»11. L’architecture au Congo re- produit des typologies inspirées par la métropole 06 D’après une réflexion pour le contexte français de : Odile Goerg, Conakry : de l'ère des conducteurs de travaux à celle des architectes urbanistes, dans Architecture coloniale et patrimoine, l'expérience française (Actes de la table ronde organisée par l'Institut national du patrimoine, 17-19 septembre 2003), Paris, Somogy éditions d'art, Éditions de l'Institut national du patrimoine, 2005, p. 61. 07 Il faut toutefois noter qu’après l’indépendance (1960), certains architectes belges continuèrent à intervenir au Congo pendant encore une dizaine d’années. Ceux-ci semblent définitivement s’arrêter dans les années 1970. 08 Pour illustrer ce propos, on se rappellera, par exemple, des statues d’Arsène Matton (exposées au Musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren), dont celle intitulée «La Belgique apportant la civilisation au Congo». 09 D’après la formule de René Wolff, président de l’ancienne Société des Architectes du Congo belge et du Ruanda-Urundi, (René Wolff, Problèmes d’Architecture au Congo, dans Rythme, Bruxelles, novembre 1957, n° 23, p. 6. 10 D. Gonçalves, La contribution belge à l’architecture métallique pour l’exportation au XIXe siècle : les usines de Baume & Marpent et les forges d’Aiseau, Thèse de Doctorat, Université catholique de Louvain, Institut supérieur d’Archéologie et d’Histoire de l’art, 1997, 2 vol. 11 Émile L. Henvaux, Étapes de la construction européenne au Congo belge, dans Rythme, Bruxelles, juin 1949, p. 10. Couverture d’un ouvrage de propagande coloniale rédigé par N. Laude intitulé Allez-y et faites comme eux ! (1924) incitant les Belges à se rendre au Congo. Collection Yves Robert 41 à un contexte local particulièrement exigeant, complexe par le climat équatorial très chaud et humide et par les animaux jugés nuisibles qu’il abrite. Il en résulte, entre la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle, la conception d’une architec- ture limitant au maximum ses points de contact avec le sol (présence de pilotis…), tandis que vers les années 1950, apparaît le concept de moder- nisme tropical, qui chercha à individualiser le traitement de chaque façade uploads/Ingenierie_Lourd/ architecture-coloniale.pdf
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- Publié le Apv 04, 2021
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