MONDIALISATION, TRAVAIL ET GENRE : UNE DIALECTIQUE QUI S'ÉPUISE Bruno Lautier L
MONDIALISATION, TRAVAIL ET GENRE : UNE DIALECTIQUE QUI S'ÉPUISE Bruno Lautier L'Harmattan | « Cahiers du Genre » 2006/1 n° 40 | pages 39 à 65 ISSN 1298-6046 ISBN 9782296005012 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2006-1-page-39.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L'Harmattan. © L'Harmattan. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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L’article développe ensuite la relation travail-genre- mondialisation : la mondialisation transforme de façon différenciée selon le genre le rapport au travail ; mais, en retour, les formes de la mondiali- sation sont étroitement dépendantes des rapports de genre au travail. Pour finir est examinée la question de la pérennité d’une mondialisation qui s’alimente de la prédation d’une sphère domestique qu’elle sature et épuise. MONDIALISATION — TRAVAIL — DIVISION INTERNATIONALE DU TRAVAIL — SERVICES — MIGRATIONS — LIBÉRALISME Cet article développe la proposition très générale selon la- quelle la mondialisation transforme de façon différenciée selon le genre le rapport au travail ; mais en retour, les formes de la mondialisation sont étroitement dépendantes des rapports de genre au travail. En général, les analyses du rapport entre mon- dialisation, travail et genre ne sont pas d’une tonalité optimiste : la mondialisation est présentée comme un mouvement qui per- met de surmonter les entraves limitant la violence de la mise au travail capitaliste, entraves (juridiques ou autres) qui — quand © L'Harmattan | Téléchargé le 02/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 45.166.152.238) © L'Harmattan | Téléchargé le 02/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 45.166.152.238) Bruno Lautier 40 elles existent — sont dépendantes d’un cadre national. La mon- dialisation permet aux capitaux d’aller librement ailleurs, cher- cher de la « chair fraîche » en jouant du chantage à l’emploi et en ôtant aux États toute possibilité de maîtriser, ou même de ralentir, le processus. La mondialisation apparaît alors comme prioritairement préjudiciable à celles qui ont le moins de capa- cité de résistance : les femmes. Si cette vision est largement pertinente, elle est loin d’épuiser la question de la dialectique : mondialisation-travail-genre. Car la mondialisation est multiforme, et l’articulation de ses formes est modifiée par sa marche même. Énoncer que les femmes sont plus que les hommes « victimes » de la mondialisation ne peut faire oublier que, à l’inverse, la mondialisation crée et « offre » des emplois, même si la qualité de ces emplois ne vaut pas celle des emplois détruits, et même si l’idée selon laquelle l’entrée des femmes dans le travail salarié est en soi libératrice perd du terrain 1. De plus, puisque les hommes sont très majoritairement eux aussi victimes de la mondialisation, reste à montrer que la domination masculine est renforcée par la mondialisation et que les hommes en sont les agents moteurs, ou seulement les inter- médiaires. Tenter d’éclaircir ce débat impose, tout d’abord, de démêler l’écheveau des sens accolés au mot de mondialisation, ce que je ferai dans une première partie, en partant d’une distinction entre les quatre formes de la mondialisation pour ensuite poser la question de ce qui constitue la nouveauté de la phase actuelle de mondialisation. Dans une seconde partie, je chercherai à mon- trer en quoi la mondialisation affecte différemment travail féminin et travail masculin, pour me demander ensuite si ces 1 Ruth Pearson montre que ce qu’elle appelle « the Engelian myth » commence à ne plus jouer sans problème son rôle de légitimation : « La participation des femmes à l’économie monétarisée — que ce soit à travers l’emploi industriel ou la production effectuée dans un cadre domestique de biens destinés au marché mondial ou international, comme pour l’habillement ou les chaussures de sport, ou encore à travers les activités de survie, commerciales ou de service — ne permettra pas à elle seule aux femmes d’atteindre l’égalité et l’empowerment » (Pearson 2004, p. 119). Le terme anglais d’empowerment, en vogue dans les institutions internationales qui le traduisent par « habilitation », signifie capacité tout à la fois de mettre en œuvre de façon autonome ses propres potentialités — capabilities — et de participer à la délibération politique. © L'Harmattan | Téléchargé le 02/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 45.166.152.238) © L'Harmattan | Téléchargé le 02/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 45.166.152.238) Mondialisation, travail et genre : une dialectique qui s’épuise 41 transformations connaissent des limites, ou si elles sont entrées dans une logique incontrôlable et autodestructrice. Sur la nature de la mondialisation Partons d’une caractérisation empirique de la mondialisation : elle n’est rien d’autre que le fait que des choses qui, auparavant, circulaient peu, ou dans une partie seulement du monde, se mettent à circuler désormais dans le monde entier. La mondiali- sation n’est pas un sujet, elle est un processus, ou plutôt un ensemble de processus. N’étant pas un sujet, la mondialisation ne « veut » rien, elle « n’a intérêt » à rien. Les jugements moraux n’ont alors guère d’intérêt en la matière : la mondialisation n’est ni « gentille » ni « méchante ». Pourtant ces jugements moraux abondent, chez ceux qui dénoncent la mondialisation comme chez ceux qui en font un bilan « globalement positif ». Cette moralisation de la question mène à la mise en exergue de vic- times exemplaires (les ouvrières des zones franches chinoises, les paysans sans terre brésiliens…) qui jouent, dans le débat sur la mondialisation, le rôle de bouc émissaire à rebours. Les quatre circulations mondialisées Les « choses » qui circulent mondialement me paraissent être de quatre types. Ces quatre « mondialisations » (circulations mondialisées) sont totalement différentes, même si elles sont à l’évidence connectées : leurs déterminants, leurs formes et leurs conséquences sont propres à chacune. Les marchandises (matérielles et immatérielles) La circulation mondiale des marchandises connaît quatre formes : d’un côté, un modèle ancien (le Sud exportant des ma- tières premières, le Nord des produits manufacturés). En second lieu, un modèle de sous-traitance industrielle internationale, le Sud (ou l’Est) effectuant les parties du processus de production à fort contenu en main-d’œuvre peu qualifiée, et le Nord la conception et éventuellement les parties à forte valeur ajoutée par tête de la production (les vêtements sont dessinés en France, le textile synthétique produit en Allemagne, les vêtements fabriqués en Tunisie, etc.). En troisième lieu, un modèle de © L'Harmattan | Téléchargé le 02/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 45.166.152.238) © L'Harmattan | Téléchargé le 02/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 45.166.152.238) Bruno Lautier 42 délocalisation industrielle complète : les radios ou jouets sont conçus et fabriqués totalement en Chine, vendus en Europe. En quatrième lieu, un modèle de sous-traitance internationale de services « en ligne » : si vous téléphonez à votre assureur en Angleterre, il aura un fort accent indien ; en France, un petit accent marocain. Même si les statistiques sont confuses, puis- qu’elles mêlent sous la catégorie de « services » des choses très diverses 2, la vitesse des délocalisations des services augmente indubitablement. La plupart des représentations journalistiques de la mondia- lisation réduisent ces mouvements à une extension à l’échelle mondiale de la vieille division conception-exécution. Le Nord conçoit et maîtrise, le Sud exécute et se soumet. On pourrait dire la même chose, en forçant un peu le trait, des théories récentes du « capitalisme immatériel » ou du « capitalisme cognitif » 3, qui y ajoutent cet appendice théorique un peu exor- bitant selon lequel seul le travail « immatériel » (stylisme, design, conception, organisation, financement, marketing, etc.) produit de la valeur. Or, les choses sont un peu plus compliquées : le niveau d’éducation s’élève au Sud, et les ingénieurs aussi y sont bon marché : des multinationales de l’automobile états-uniennes délocalisent au Mexique leurs centres de recherche ; les auto- rités municipales de Chenaï et Bangalore ont tellement ouvert d’écoles professionnelles d’informatique que la conception de logiciels s’y fait désormais. L’argent et la finance L’argent, sous sa forme de finance, a — si l’on en croit Braudel — toujours circulé mondialement (ce qui veut dire que 2 Selon le rapport de la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le uploads/Industriel/ mondialisation-travail-et-genre.pdf
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- Publié le Jul 24, 2022
- Catégorie Industry / Industr...
- Langue French
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