INDUSTRIE 4.0, UNE RÉVOLUTION SOCIÉTALE ? Dorothée Kohler, Jean-Daniel Weisz As

INDUSTRIE 4.0, UNE RÉVOLUTION SOCIÉTALE ? Dorothée Kohler, Jean-Daniel Weisz Association pour la connaissance de l'Allemagne d'aujourd'hui | « Allemagne d'aujourd'hui » 2017/4 N° 222 | pages 44 à 58 ISSN 0002-5712 ISBN 9782757420010 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-allemagne-d-aujourd-hui-2017-4-page-44.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Association pour la connaissance de l'Allemagne d'aujourd'hui. © Association pour la connaissance de l'Allemagne d'aujourd'hui. Tous droits réservés pour tous pays. 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Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Association pour la connaissance de l'Allemagne d'aujourd'hui | Téléchargé le 31/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.96.38.163) © Association pour la connaissance de l'Allemagne d'aujourd'hui | Téléchargé le 31/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.96.38.163) Dorothée Kohler*, Jean-Daniel Weisz** Il est aujourd’hui admis que la transformation numérique de l’industrie va boule­ verser tant nos modes de production que les hiérarchies d’entreprises, les compé­ tences et les métiers, et par là même avoir un impact significatif sur l’emploi et les rapports sociaux à l’instar du fordisme. Mais les zones d’impact de cette transfor­ mation numérique restent floues et les projections en termes d’évolution de l’emploi reposent sur des hypothèses difficiles à vérifier. Le risque est grand de rester cantonnés à un débat idéologique opposant les hommes aux robots, sans saisir la profondeur des transformations en cours. Face aux tentations idéologiques, l’Allemagne a pris le parti de l’écriture d’un récit industriel et d’une transformation d’ampleur nationale. La quatrième révolution industrielle nommée Industrie 4.0 est devenue une nouvelle politique industrielle où l’État fédéral joue un rôle moteur poussant aux limites le principe de subsidiarité. Comment expliquer ce changement de posture ? Comment décrypter la spécificité de ce mouvement 4.0 et quelles transformations silencieuses du modèle industriel allemand laisse-t-il transparaître ? Quelle ambition l’Allemagne veut-elle se donner sur l’avenir du travail (Zukunft der Arbeit) ? Industrie 4.0, une révolution sociétale ? *  Dorothée Kohler, Directeur Général de KOHLER Consulting & Coaching, Paris – Berlin. Docteur en géographie et diplômée de Sciences Po Urba, elle dirige KOHLER C&C, cabinet de conseil en stratégie et développement des organisations, après avoir exercé des fonctions dirigeantes au sein d’Arcelor puis d’ArcelorMittal. Spécialiste de la transformation des territoires industriels allemands et français, elle est auteur et coauteur de nombreux articles dont « La France doit s’inspirer du projet Industrie 4.0 allemand », Le Monde, 14.11.2014 ; « Anatomie des “modèles” industriels », in Pierre Veltz et Thierry Weil (dir.) : L’industrie, notre avenir, Eyrolles (2015) ; « La compétitivité relationnelle, enjeu de la révolution numérique », Les Échos, 5.04.2016 ; « Industrie 4.0 : comment caractériser cette quatrième révolution industrielle et ses enjeux ? » in Réalités Industrielles, Annales des Mines, nov. 2016 ; « Usines : à Hanovre, la guerre du numérique est déclarée », Les Échos, 27.04.2017. **  Jean-Daniel Weisz, associé au sein du cabinet KOHLER Consulting & Coaching, Paris – Berlin. Diplômé de l’EM-Lyon et docteur en économie, expert du Mittelstand, il conseille les entreprises dans leur transforma­ tion numérique. Il est coauteur avec Dorothée Kohler des ouvrages suivants : Pour un nouveau regard sur le Mittelstand (2012), Rapport au Fonds Stratégique d’Investissement, Paris, la Documentation française, 136 p. ; Industrie 4.0 – Les enjeux de la transformation numérique du modèle industriel allemand (2016), Paris, la Documentation française, 176 p. Il a également édité avec Agnès Labrousse : Institutional Economics in France and Germany, German Ordoliberalism versus the French Regulation School (2001), Heidelberg, Springer Verlag. © Association pour la connaissance de l'Allemagne d'aujourd'hui | Téléchargé le 31/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.96.38.163) © Association pour la connaissance de l'Allemagne d'aujourd'hui | Téléchargé le 31/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.96.38.163) Industrie 4.0, une révolution sociétale ? 45 Ce sont ces différentes questions que nous approfondirons dans cet article à partir de notre travail de terrain conduit ces 5 dernières années en croisant les regards allemands et français sur l’Industrie 4.0 et l’Industrie du futur.1 L’essoufflement du paradigme « Standort Deutschland » Depuis sa réunification, l’Allemagne a fait du « maintien du pays comme site industriel », « Standort Deutschland », le credo de sa politique industrielle. En cela, elle s’est distinguée des idéologies postindustrielles prônant le désinvestissement dans la sphère de la production et donnant la primauté aux activités de services. L’étroite connexion entre les territoires dédiés à la conception, à la fabrication et aux services s’est imposée comme une force du modèle industriel allemand. Par ailleurs, la question du maintien de la production manufacturière sur le sol national a revêtu un caractère essentiel appuyée par la défense de sa compétiti­ vité-coût à travers des mesures de modération salariale (accords de flexibilité, lois Hartz…). Les limites du modèle d’innovation Au milieu des années 2000, ce paradigme « Standort Deutschland » s’essouffle. Les entreprises industrielles allemandes ont constitué une large base best cost dans les Pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO) déstabilisant les clusters productifs locaux en Allemagne, et faisant dire à certains que le pays est devenu une « économie de bazar2 » qui réexporte une large part de valeur ajoutée produite hors de son territoire. En 2010, un diagnostic des forces, risques, opportunités et menaces du modèle industriel allemand, établi par le ministère fédéral de l’Économie et de l’Énergie, pointe plusieurs sujets d’inquiétude3. D’un côté le ralentissement de la croissance et de l’investissement dans les BRIC désormais équipés avec des machines modernes induit une baisse de la demande pour les machines-outils allemandes. De l’autre côté, le leadership industriel allemand à l’international se trouve contesté avec la montée en puissance des fabricants comme la Chine ou la Corée du Sud. Surtout, l’Allemagne considère qu’elle est en retard dans les technologies de l’infor­ mation et de la communication (TIC). Elle s’interroge sur son modèle d’innovation qui reste incrémental. À l’image d’un Mittelstand industriel, composé d’acteurs de niche où la culture de progrès continu, la fameuse « perfection du banal4 », permet d’assurer le positionnement concurrentiel d’une offre haut de gamme sur des produits techniques. Les déboires de Leica, qui manque de disparaître du paysage faute d’adaptation à la technologie numérique, symbolisent la remise en question du modèle industriel forgé après-guerre. L’innovation incrémentale rend ces entreprises vulnérables à des innova­ tions de rupture et à l’arrivée de nouveaux entrants. 1.  Dorothée Kohler, Jean-Daniel Weisz (2016), Industrie 4.0 – Les défis de la transformation numérique du modèle industriel allemand, Paris, La documentation Française, 176 p. 2.  Hans-Werner Sinn (2005), Die Basar-Ökonomie : Deutschland : Exportweltmeister oder Schlußlicht ?, Econ. 3.  Bundesministerium für Wirtschaft und Energie (2010), In focus – Germany as a competitive industry nation, 36 p. 4.  Dorothée Kohler, Jean-Daniel Weisz (2012), Pour un nouveau regard sur le Mittelstand, Paris, La documentation Française, 136 p. © Association pour la connaissance de l'Allemagne d'aujourd'hui | Téléchargé le 31/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.96.38.163) © Association pour la connaissance de l'Allemagne d'aujourd'hui | Téléchargé le 31/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.96.38.163) 46 Dorothée Kohler, Jean-Daniel Weisz La transformation numérique de l’Industrie allemande implique dès lors un passage à l’offensive selon une vision sous-tendue par trois convictions : – – l’avenir économique de l’Allemagne passe par l’industrie, – – la priorité est de conserver le positionnement de leader à l’international sur les marchés de biens d’équipement, – – un enjeu vital pour le pays est donc d’anticiper l’impact à venir des technologies de l’information sur les processus de production pour profiter pleinement des opportunités qu’elles offrent. Bien sûr, toute l’industrie allemande ne semble pas menacée avec la même inten­ sité. Le premier pilier de l’industrie allemande, le secteur automobile, est une figure de proue en termes d’automatisation, de robotisation et de numérisation. Nombre d’usines, bardées de capteurs RFID sont déjà pilotées en temps réel et les premières expérimentations de cobots5 ou d’organisation modulaire de la production sont en cours. Dans les industries de process, comme la chimie, les équipements sont depuis longtemps interconnectés. Dans la mécanique et l’électrotechnique, autre pilier de l’industrie allemande, l’enjeu de l’intégration du numérique est de taille. À la différence de l’automobile, ces secteurs sont très peu concentrés6. Dès les années 2010, ils ont montré leur vulnérabilité face à l’irruption anticipée de l’internet dans le monde industriel et dans les usines. Une étude7 menée en 2011 par l’Institut Fraunhofer pour l’économie du travail et l’organisation (Fraunhofer IAO) a dressé un constat alarmant : seul un quart des constructeurs allemands de machines-outils a élaboré une stratégie explicite de développement de services basés sur Internet et seul un cinquième d’entre eux ont un modèle d’affaires adapté. Les freins sont nombreux car la numérisation de l’industrie pose de redoutables uploads/Industriel/ all-222-0044.pdf

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