2] Biochimie végétale © Pour la Science - n° 394 - Août 2010 «L a résine appelé

2] Biochimie végétale © Pour la Science - n° 394 - Août 2010 «L a résine appelée cahuchu dans les pays de la province de Quito voisins de la mer est aussi fort connue sur les bords du Marañon et sert aux mêmes usages. Quand elle est fraîche, on lui donne avec des moules la forme qu'on veut. Elle est impé- nétrable à la pluie, mais ce qui la rend plus remarquable c'est sa grande élasticité. » C’est ainsi que l’explorateur Charles de La Condamine relate, en 1745, dans son récit de voyage effectué en Amazonie neuf ans plus tôt, les premières observations du caoutchouc, résine laiteuse sécrétée par un arbre, l’hévéa. En 1747, François Fresneau, ingénieur du roi à Cayenne et décou- vreur d’un grand nombre de ces arbres en Guyane, montre effectivement que le suc laiteux de l’hévéa, ou latex, peut ser- vir à faire des bottes, des boules élas- tiques ou des bracelets. Par la suite, des inventeurs en tireront d’autres applica- tions, à commencer par la gomme à effa- cer et le pneumatique... de bicyclette. Aujourd’hui, le caoutchouc est omni- présent. Grâce à ses propriétés d’élasti- cité, d’étanchéité et d’amortissement, ce polymère élastique, ou élastomère, sert à fabriquer plus de 40 000 produits d’usage industriel, ménager, alimentaire ou médical, les plus connus étant les pneumatiques, les gants médicaux et les préservatifs. Toutefois, l’hévéa (Hevea brasiliensis), cultivé désormais surtout en Asie, ne per- met plus de couvrir la demande crois- sante de caoutchouc naturel. Aussi certains des principaux pays transformateurs de caoutchouc, dont les États-Unis et, en Europe, la France, l’Allemagne, les Pays- Bas et l’Espagne, envisagent-ils d’en pro- duire eux-mêmes. En adaptant l’hévéa aux climat tempéré ? Non, en exploitant deux plantes productrices d’un caoutchouc aux propriétés comparables à celles du latex d’hévéa : un buisson du Mexique, le guayule (Parthenium argentatum), et une plante herbacée du Kazakhstan, le pissenlit russe (Taraxacum kok saghyz). C’est l’objectif du projet européen EU-PEARLS, lancé en 2008. Après avoir examiné les raisons éco- nomiques de ce projet, nous expliquerons comment ces deux plantes élaborent le polymère élastique, et en quoi les recherches en cours, qui mêlent des disci- plines scientifiques variées – chimie, agro- nomie, biologie moléculaire, écologie, économie – permettent d’envisager de pro- duire du caoutchouc naturel en Europe d’ici une dizaine d’années. Biochimie végétale Technologie (Biotechnologie) Comment satisfaire la demande de caoutchouc naturel, à laquelle le latex tiré de l’hévéa ne suffit plus ? En améliorant deux plantes : le guayule et le pissenlit russe. Serge Palu et Daniel Pioch Serge PALU et Daniel PIOCH sont chercheurs au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), à Montpellier. L E S A U T E U R S ✔SUR LE WEB www.eu-pearls.eu www.yulex.com www.lecaoutchouc.com/ pls_392_p000_000_caoutchouc_.xp_JJP_0507 6/07/10 9:47 Page 2 © Pour la Science - n° 394 - Août 2010 Biochimie végétale [3 d’avions et de poids lourds, et celle de matériaux médicaux, qui doivent conser- ver leurs propriétés malgré des stérilisa- tions répétées. En raison de ses qualités, le caoutchouc naturel est très demandé dans les pays à fort développement économique, comme la Chine, l’Inde et le Brésil, en particulier pour le secteur des transports. De ce fait, la part du caoutchouc naturel dans la production mondiale augmente depuis plusieurs années. Elle est passée de 30 pour cent du total dans les années 1970 à plus de 40 pour cent en 2009 (huit millions de tonnes sur 21 millions) ; elle devrait atteindre 46 pour cent du total en 2019. L’Asie du Sud-Est (Thaïlande, Indonésie, Malaisie, Inde, Vietnam, Chine) en fournit 95 pour cent. Le reste provient d’Afrique de l’Ouest, du Sri Lanka, du Brésil, du Gua- temala, de Colombie et de l’Équateur. Mais, à l’évidence, d’ici 10 ou 20 ans, les plantations d’hévéas ne suffiront plus à répondre à cette demande croissante. D’autant que les surfaces où l’hévéa est cultivé tendent à diminuer face à la concur- rence de cultures plus rémunératrices, telles celles du palmier à huile, dont on tire huiles alimentaires, détergents et biodiesel. La culture de l’hévéa présente d’autres L’ E S S E N T I E L ✔ Le caoutchouc naturel, polymère produit dans le latex de certaines plantes, a des propriétés irremplaçables. Il est de plus en plus demandé. ✔ Au caoutchouc tiré des plantations d’hévéa, pourrait s’ajouter une production par le guayule, arbrisseau semi-désertique, et le pissenlit russe, adapté au climat tempéré. ✔Ces deux cultures ne seront viables qu’à condition d’améliorer leur capacité de synthèse du caoutchouc et l’extraction du polymère. Actuellement, le caoutchouc synthé- tique représente 60 pour cent de la consommation mondiale. En effet, depuis la fin du XIXe siècle, on sait fabriquer du caoutchouc en polymérisant sa molécule de base, l’isoprène, dérivée du pétrole, à l’aide de divers procédés chimiques, appli- qués à l’échelle industrielle depuis la Pre- mière Guerre mondiale. Les vertus du caoutchouc naturel Toutefois, le prix du pétrole variant beau- coup, les coûts de production des élas- tomères synthétiques fluctuent également et devraient croître à l’avenir avec la raré- faction de l’or noir. En outre, malgré des décennies de recherche, le caoutchouc synthétique n’a pas les mêmes qualités que son analogue naturel. Celui-ci est doté de meilleures propriétés dyna- miques, en particulier la résilience, c’est- à-dire la capacité à supporter de grandes déformations sans se rompre et à retrou- ver sa forme initiale quand la contrainte est levée. Il est plus résistant à l’abrasion, aux chocs et au déchirement. Partant, le caoutchouc naturel reste irremplaçable pour la fabrication des pneumatiques © Shutterstock/Richard Peterson pls_392_p000_000_caoutchouc_.xp_JJP_0507 6/07/10 9:47 Page 3 4] Biochimie végétale © Pour la Science - n° 394 - Août 2010 inconvénients. Tout d’abord, la récolte du latex doit être réalisée à la main par incision de l’écorce de l’arbre, et ne peut être mécanisée. Les conditions de travail étant dif- ficiles, cette arboriculture est de moins en moins attractive pour des populations dont le niveau de vie aug- mente. De plus, le champignon Microcy- clus ulei, responsable de la maladie sud-américaine des feuilles de l’hévéa – un frein au développement de l’hévéaculture en Amérique –, risque de se propager à l’Asie, ce qui créerait une tension sur le mar- ché du caoutchouc naturel : les secteurs éco- nomiques qui en sont de grands consommateurs s’inquiètent de l’éven- tualité d’une baisse de l’offre et d’une hausse des prix. Autre inconvénient, le caoutchouc d’hévéa cause des allergies. Le latex com- prend une partie liquide, le sérum, où sont dispersées des particules de caoutchouc de un à deux micromètres de diamètre (voir l’encadré page 6). Environ 250 types de pro- téines sont liées à ces particules ou libres dans le sérum. Parce qu’elles se combinent aux ingrédients chimiques de la vulcani- sation (le procédé à base de soufre qui aug- mente l'élasticité et la longévité du caoutchouc naturel), 20 pour cent d’entre elles peuvent provoquer des réactions aller- giques, allant de l’irritation de la peau au choc anaphylactique, une violente réac- tion de l’organisme, parfois mortelle. Ces allergies sont en forte progression par- tout dans le monde, en particulier en milieu hospitalier ; en Europe, par exemple, envi- ron 15 pour cent du personnel médical est concerné, contre un à six pour cent dans la population générale. Un latex venu du désert Nous sommes donc confrontés à la néces- sité de répondre à la demande de caout- chouc naturel alors que la culture de l’hévéa ne semble plus en situation d’y parvenir seule. Comment faire ? Au cours de l’histoire, d’autres plantes ont fourni du caoutchouc pour des usages restreints L’ H É V É A , L’ A R B R E À C A O U T C H O U C O riginaire du bassin de l’Amazone, l’hé- véa (Hevea brasiliensis) est actuel- lement la seule source commerciale de caoutchouc naturel, utilisée à plus de 70 pour cent par l'industrie des pneuma- tiques. Découvert par l’explorateur Charles de La Condamine en 1736, cette euphor- biacée a été exportée au XIXe siècle au Jar- din botanique de Londres, puis à Singapour, avant d’être cultivée à grande échelle en Asie du Sud-Est. La période d'exploitation commence lorsque l'arbre mesure 50 cen- timètres de circonférence à un mètre du sol, soit au bout de cinq ans. Lorsque l’on incise profondément l'écorce – un procédé nommé « saignée » –, le latex s’écoule sous l’ef- fet de la pression interne. Il est alors recueilli dans des récipients fixés sur le tronc (voir ci-dessous), jusqu’à ce qu’il coagule. C’est pourquoi les Indiens Maipas ont nommé l’hévéa cahuchu, bois qui pleure. L’arbre fournit cinq à six kilogrammes de caoutchouc sec par an, pendant 25 à 30 ans. Un hectare en produit deux à trois tonnes. Ce rendement peut être amé- lioré par la création et la sélection de nouvelles variétés, et grâce à une meilleu- re gestion des plantations. 1. DES CULTURES EXPÉRIMENTALES DE GUAYULE, ici au CIRAD de Montpellier, permettent de sélectionner les variétés qui produisent le plus de caoutchouc. La plante fleurit du printemps uploads/Industriel/ caoutchouc-060710-1.pdf

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