Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique 128 | 2015 Les empires africains,
Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique 128 | 2015 Les empires africains, des origines au XXe siècle DOSSIER Les empires djihadistes de l’Ouest africain aux e-e siècles P$%& E. L()*+(, p. 87-103 https://doi.org/10.4000/chrhc.4592 Résumé Le retour de l’appel au djihad dans le monde contemporain conduit à un intérêt nouveau pour les grands empires qui ont été construits en Afrique dans le cadre de mouvements djihadistes au 2)333e et au 232e siècles. Ces offensives militaires se sont appuyées sur des traditions religieuses plus anciennes, la justification des djihads s’enracinant dans la vie du Prophète et de ses successeurs. Les dirigeants politiques qui lancent ces conquêtes mettent en avant la dimension religieuse, mais Paul Lovejoy montre que la dimension ethnique (la domination peule) est également forte, ainsi que la dimension économique, la puissance de ces empires étant fondée sur le commerce et l’utilisation des esclaves. Tout OpenEdition Entrées d’index Mots-clés : empire, djihad, califat, colonisation, esclavage, fulbe, haoussa Keywords: empire, djihad, califat, colonisation, esclavage, fulbe, haoussa Géographie : Afrique de l’ouest Schlagwortindex: empire, djihad, califat, colonisation, esclavage, fulbe, haoussa Palabras claves: empire, djihad, califat, colonisation, esclavage, fulbe, haoussa Texte intégral L’idée de conflit violent associé au terme de djihad aujourd’hui a une longue tradition dans l’histoire de l’Afrique de l’Ouest. Indéniablement, sa présence ininterrompue a défini le monde islamique depuis le 2)333e siècle, du Sénégal, sur la côte atlantique, jusqu’à la Corne de l’Afrique, sur les bords de l’océan Indien. Historiquement, le djihad a eu un rôle primordial dans la transformation politique des sociétés et des structures d’État dans une grande partie de l’Afrique. 1 L’engagement dans le djihad a engendré la consolidation de nouveaux États et de nouveaux empires, qui ont modelé le paysage politique, religieux et culturel d’une grande partie de l’Afrique de l’Ouest et par la suite de l’Afrique de l’Est, jusqu’à la mer Rouge et l’Éthiopie à la fin du 232e siècle. L’occupation coloniale européenne a temporairement supprimé le djihad, mais les forces de protestation islamiques violentes ne se sont jamais tues et ont manifestement refait surface sous des formes modernes, qui demandent analyse et réflexion. Ainsi qu’il est défendu ici, les manifestations contemporaines du djihad, sous les formes de Boko Haram, de al-Shabab, de l’État islamique au Moyen-Orient ou de la guerre menée par al-Qaïda et ses alliés, relèvent d’un modèle historique et politique dont on peut identifier les formes depuis la fin du 2)33e siècle dans la vallée du fleuve Sénégal. Il y a à la fois d’importantes similitudes et des différences entre les formes de djihads qui ont imprégné l’histoire du monde islamique et les efforts d’un courant radical de la pensée politique islamique pour faire face à la tension permanente que les changements du monde ont imposée aux musulmans. 2 Cet article analyse l’émergence de gouvernements musulmans dans une grande partie de l’Afrique de l’Ouest aux 2)333e et 232e siècles, gouvernements dont l’histoire est cruciale pour la compréhension de la tradition du djihad. Bien que l’islam ait été installé depuis longtemps en Afrique de l’Ouest – dans certaines régions depuis le 23e siècle – et se soit largement diffusé pendant l’Empire songhaï au 2)3e siècle, le djihad a transformé une bonne partie de la savane et du sahel au 2)333e siècle, puis particulièrement nettement durant le premier tiers du 232e siècle, par la mise en place de gouvernements musulmans à travers des luttes ouvertement de prosélytisme, présentées comme des actions de djihad. Les confrontations associées au djihad de cette période sont bien connues, même si, dans les années 1960, elles ont pu être décrites par un célèbre historien de l’Afrique de l’Ouest 3 Tout OpenEdition Le mouvement du djihad en Afrique de l’Ouest comme un « sujet négligé », tout en étant par la suite comparées par un autre célèbre spécialiste, du fait de leur vaste impact géographique et de leurs conséquences économiques et sociales, à la Révolution française en Europe à la même époque1. Malgré cette reconnaissance, la signification du djihad a été largement ignorée ou négligée dans le champ plus large des recherches historiques. Elle est quasiment inconnue dans les études sur le monde atlantique ou sur l’ère des révolutions d’Europe et des Amériques. C’est seulement récemment que les incontournables conséquences du djihad contemporain ont rendu évident le fait que passer sous silence le passé du djihad aux 2)333e et 232e siècles avait une signification intellectuelle et politique considérable2. La longue tradition du djihad, dans l’histoire du monde musulman, commence avec le djihad initial mené par le prophète Mohamed. Les djihads ultérieurs firent référence aux origines de l’islam et à son expansion, en favorisant des stratégies d’offensive politique et en les légitimant par des références au djihad initial. Le pouvoir d’une telle tradition fut utilisé en Afrique de l’Ouest dans les dernières décennies du 2)33e siècle, puis l’usage s’en intensifia au 2)333e siècle, et devint dominant au 232e siècle. En 1835, presque toute l’Afrique de l’Ouest se trouvait sous la domination de régimes djihadistes ou était organisée dans la résistance au djihad, résistance qui devait continuer jusqu’à l’occupation européenne et l’établissement des gouvernements coloniaux. Le djihad était l’expression idéologique d’un militantisme musulman justifiant une stratégie militaire de conquête, une réforme intellectuelle et un développement économique fondé essentiellement sur l’esclavage. Le mouvement du djihad modela l’Afrique de l’Ouest en posant les bases de la conversion de la majorité de la population à l’islam. 4 Les leaders de ce mouvement djihadiste suivirent un modèle similaire d’imposition de changement radical. Ils s’appuyaient sur un engagement sincère envers l’islam et une compréhension éclairée de l’histoire intellectuelle islamique. En effet, nombre de membres de l’élite djihadiste ont beaucoup écrit, étudié, puis enseigné dans des centres d’études islamiques à travers l’Afrique de l’Ouest, qui étaient associés à la confrérie soufie, ou tariqa, soufie de Qaadir. Les principaux dirigeants djihadistes de la Sénégambie ont étudié au centre islamique de Pire Saniakhor dans le Cayor, où Demba Fall et ses descendants ont instruit les dirigeants musulmans qui ont mené le djihad dans la vallée du Sénégal et ailleurs3. 5 La mosquée Sankoré à Tombouctou était une autre école importante, fondée des centaines d’années avant l’irruption du djihad, qui continua à former des générations d’intellectuels musulmans durant l’ère du djihad et continue à le faire encore aujourd’hui. Les dirigeants du djihad incluaient Usman dan Fodio (1754-1817), son frère Abdullahi dan Fodio (1766-1828), le fils d’Usman, Mohammed Bello (1781-1837), et la fille d’Usman, Naana Asmaa’u (1793-1864), qui ont collectivement écrit plus de 1 000 traités et textes divers, principalement en arabe, mais aussi en fulfulde et en haoussa, des dernières décennies du 2)333e siècle aux premières décennies du 232e siècle. Cette tradition littéraire et érudite continua sous le règne d’El Hadj Oumar Tall, d’abord éduqué par la 6 Tout OpenEdition Les premiers djihads de la région de Sénégambie sur la côte de Haute Guinée confrérie de Qaadir, mais devenu ensuite le fameux dirigeant de la confrérie réformée Tidjaniya. Pour finir, la Mahdiyya, la troisième grande confrérie soufie associée au djihad, provoqua également une importante renaissance littéraire et intellectuelle qui poursuivit cet engagement érudit. Comme Usman dan Fodio l’établit dans son Bayan wujub al hijra ‘ala ‘1-’ibad (Le Manifeste de l’obligation d’émigrer pour les serviteurs de Dieu) de 1806, basé sur des références aux interprétations faites par des intellectuels plus anciens, le djihad était défini comme un effort pour faire face aux actes impurs ou aux objets réprouvés par l’usage du cœur, de la langue, des mains et de l’action militaire. John Ralph Willis a caractérisé ces quatre manifestations du djihad comme suit : 7 « Le djihad du cœur était dirigé contre la chair, appelée “âme charnelle” par les soufis. Il devait être accompli en combattant la tentation à travers la purification de l’âme. Le djihad de la langue et des mains était entrepris par l’exécution de l’injonction coranique d’ordonner le bien et d’interdire le mal. Enfin, le djihad de l’épée ne concernait que le combat contre les non-croyants et les ennemis de la foi par la guerre ouverte. »4 8 Les réflexions d’Usman dan Fodio sur son engagement au djihad étaient basées sur ces distinctions. Il était préoccupé par la purification personnelle de l’âme et par les recommandations qui incitaient au bon comportement et condamnaient ce qui était considéré comme immoral. Son appel au jihad fi sabil Allah (le djihad sur le chemin d’Allah) par le conflit militaire et la conquête était un dernier recours, et non pas le seul but de sa dévotion à l’islam. De plus, son engagement était à l’origine basé sur l’évitement du conflit, ce qui, dans l’interprétation classique de l’islam, était appelé la hijra, à l’image du départ du prophète de La Mecque pour Médine en 622. 9 Ainsi que Willis l’a expliqué, « détourner l’esprit d’une personne du diable et des choses temporelles était hijra du coeur. S’abstenir de soutien verbal ou physique aux actions interdites par le Coran, la Sunna ou l’Ijma, réalisait l’hijra de la langue et des mains », c’est-à-dire, à côté du Coran, était conforme aux coutumes et pratiques sociales légales de uploads/Histoire/ lovejoy-paul-les-empires-djihadistes-de-l-x27-ouest-africain-aux-aux-xviiie-xixe-siecles-2015.pdf
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- Publié le Sep 18, 2021
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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