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23/11/2020 L’histoire du temps présent : une histoire comme les autres ? https://journals.openedition.org/mcv/8403 1/5 Mélanges de la Casa de Velázquez Nouvelle série 48-2 | 2018 Conexiones imperiales en ultramar Actualité de la recherche Débats. Tiempos y temporalidades en Historia L’histoire du temps présent : une histoire comme les autres ? Pʃʖʔʋʅʍ Gʃʔʅʋʃ https://doi.org/10.4000/mcv.8403 Texte intégral À l’orée des années 1980, l’histoire contemporaine en France est largement délégitimée dans l’université française. Elle a subi de plein fouet les attaques d’une histoire économique et sociale inscrite dans la longue durée jusqu’à être considérée comme « l’écume » de l’histoire (selon l’expression de Fernand Braudel), une histoire événementielle tissée de l’illusion des acteurs de faire leur propre histoire. Pour la redynamiser, le CNRS décide en 1978 de dissoudre le Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, dont il considère la tâche achevée, pour lui substituer un institut dédié à l’étude du « contemporain ». Celui-ci, placé sous la direction de François Bédarida, prend le nom d’Institut d’histoire du temps présent. Cette dénomination tient à un concours de circonstances. Un institut d’histoire moderne et contemporaine vient lui aussi d’être créé — il fallait donc distinguer l’un de l’autre. Mais la notion de temps présent s’enracine aussi dans la culture de son premier directeur, ancien résistant de la mouvance Témoignage chrétien, lecteur d’Henri-Irénée Marrou qui définissait l’opération historiographique comme un rapport entre présent et passé — thèse du présentisme épistémologique1 — et accordait une grande importance, sur les traces d’Augustin dont il est l’historien, à la notion de présence. Dès lors, s’engage une lutte pour la légitimation de l’histoire du temps présent — c’est-à-dire à la fois sa normalisation historiographique — une histoire comme les autres — et son établissement comme période légitime — une histoire spécifique. 1 23/11/2020 L’histoire du temps présent : une histoire comme les autres ? https://journals.openedition.org/mcv/8403 2/5 Le « retournement des stigmates » : l’épistémologie comme arme de légitimation couvre une séquence historique marquée par deux balises mobiles. En amont, cette séquence remonte jusqu’aux limites de la durée d’une vie humaine, soit un champ marqué d’abord et avant tout par la présence de « témoins » vivants, trace la plus visible d’une histoire encore en devenir […]. En aval, cette séquence est délimitée par la frontière, souvent délicate à situer, entre le moment présent — « l’actualité » — et l’instant passé6. Si ce contexte institutionnel est particulier à la France, le développement de l’histoire du temps présent participe d’un contexte historiographique plus général que l’on peut décomposer en deux phases. La première est contemporaine de la création du Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, il s’agit alors aux Pays-Bas (1945), en RFA (1950), en Italie (1949, 1967 pour la reconnaissance officielle), en Autriche (1963-1983) et enfin en Belgique (1970) de faire l’histoire de cette guerre et singulièrement, pour la plupart de ces pays, de la Résistance2. Une seconde phase se déroule dans les années 1980-2000, plus particulièrement en Europe du sud et en Amérique latine, où cette fois la notion de temps présent est clairement avancée, souvent en référence explicite aux travaux produits dans le cadre de l’Institut d’histoire du temps présent. Il s’agit alors prioritairement, dans le double cadre des processus de transition démocratique mais aussi d’exigences de mémoire croissantes en réaction aux amnisties qui entravent le jugement des auteurs des actes criminels commis par ces régimes3, de faire l’histoire des périodes dictatoriales qui viennent de s’achever. 2 L’argumentaire de cette légitimation institutionnelle et épistémologique développé en France est bien connu et procède d’un « retournement des stigmates ». L’absence de recul chronologique opposée à l’histoire du temps présent comme un handicap insurmontable est neutralisée par l’accent mis sur le recul méthodologique, seule distance efficiente pour le travail de l’historien, quelle que soit la période étudiée. La non-accessibilité de certaines archives du passé récent est compensée par l’abondance des sources de substitution — dont font partie les « archives orales » provoquées par le chercheur. L’IHTP capitalise ainsi l’essor récent de l’histoire orale tout en promouvant dans un pas de côté la notion de « sources orales d’histoire » qui engage de la part du chercheur la même distance critique que le traitement des autres sources. Enfin, « l’ignorance du lendemain » et le travail sur des processus non « clos » deviennent des atouts car ils permettent de se défaire de « l’illusion rétrospective de la fatalité » en favorisant une plus grande attention au « champ des possibles » des situations historiques, ce que Paul Ricœur traduit par le mot d’ordre de « défataliser l’histoire4 ». 3 Ces contre-arguments plaident donc plutôt pour faire de l’histoire du temps présent une « histoire comme les autres », c’est-à-dire aussi légitime que celle des autres périodes, voire une histoire modèle dont tous les historiens devraient s’inspirer. En 1992, René Rémond annonce : « Je ne reviens pas sur les raisons qui légitiment notre histoire du temps présent. La bataille est gagnée5 ». 4 Reste à définir ce qu’est le temps présent en tant que période. Alors que la définition traditionnelle des périodes historiques repose sur un événement charnière, celle qu’élaborent les historiens réunis à l’IHTP s’appuie sur une spécificité indéniable : celle de pouvoir solliciter des témoins. Dans l’acception alors retenue, l’histoire du temps présent 5 Bien sûr, cette définition n’implique nullement que le recours aux témoins soit indispensable — il est simplement possible — mais il s’agit bien d’un trait singulier de cette 6 23/11/2020 L’histoire du temps présent : une histoire comme les autres ? https://journals.openedition.org/mcv/8403 3/5 Une histoire portée par la « marée mémorielle » (Pierre Nora) Une histoire banalisée ? histoire, puisque l’historien peut être confronté aux réactions et commentaires des acteurs de l’histoire qu’il étudie. Pour la direction du CNRS, l’IHTP devait d’abord promouvoir la recherche sur la période postérieure à 1945. Pourtant, dès sa création, c’est autour du traitement de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale que la notion d’histoire du temps présent s’affirme. À ce titre, en France comme ailleurs, le développement de l’histoire du temps présent est lié à la gestion des passés traumatiques, ces « passés qui ne passent pas » (Henry Rousso). La montée en puissance de la mémoire à la fois dans l’historiographie et dans la société avec, pour corollaire, celle des « porteurs de mémoire » et les revendications mémorielles invite les historiens à revisiter la question de leur fonction sociale. Celle-ci se thématise rapidement dans le langage des historiens du temps présent français sous le vocable de « demande sociale7 ». 7 En 1982-1983, le séminaire de François Bédarida est consacré à « l’histoire du temps présent et ses usages : recherche fondamentale et histoire appliquée ». Il en ressort la volonté d’assumer pleinement cette dimension de l’activité scientifique tout en campant sur l’idée, de plus en plus fortement affirmée au fil des années, que « bien avant d’être la réplique à une attente du public », l’histoire « répond d’abord et avant tout à une nécessité de la connaissance8 ». Henry Rousso, qui prend la tête de l’Institut en 1994, insiste plus encore sur cette dimension et refuse d’assumer le « rôle d’historiens thaumaturges capables de soigner une crise d’identité ou de légitimité, individuelle, sociale ou nationale ». Cette position, rendue nécessaire par la multiplication des procès et la judiciarisation de l’histoire, enregistre l’existence d’une demande sociale tout en ne s’y soumettant pas. Il résulte de cette posture qui accepte la convocation dans l’espace public, mais selon des modalités propres, un trait commun aux historiographies qui vont se développer sous ce label particulièrement en Europe du sud et en Amérique latine. 8 Dès 2003, Pieter Lagrou avance l’idée d’une « banalisation » de l’histoire du temps présent9. Quelques années plus tard, Antoine Prost conteste la revendication d’un statut épistémologique particulier pour l’histoire du temps présent qu’il qualifie « d’histoire comme les autres10 » en la réduisant à une initiative utile le temps de réhabiliter l’étude historique du passé proche. Plus récemment, Emmanuel Droit et Franz Reichherzer, plaident pour l’abandon de l’histoire du temps présent comme champ historiographique singulier et pour son « remplacement » par une « histoire-science sociale » du présent11. De même, des appellations concurrentes tentent de s’imposer : « histoire immédiate » (Jean-François Soulet), « histoire du très contemporain » (Pierre Laborie), tandis que les universités intègrent pleinement à leurs cursus des cours relevant de cette période qui devient objet de masters et de thèses. La « levée d’écrou historiographique » ayant eu lieu, la notion perdrait-elle de son intérêt ? 9 Remarquons tout d’abord qu’une partie de ces remises en cause n’est pas sans lien avec le positionnement de l’IHTP tant à l’égard de l’acceptation de la demande sociale et de la pratique de l’expertise que vis-à-vis des témoins, et particulièrement des « grands témoins » (les résistants) face auxquels Henry Rousso plaide pour « une mise à distance critique non seulement des témoignages mais des témoins […], [précisant qu’il faut] résister à cette “idéologie du témoignage” qui uploads/Histoire/ garcia-l-x27-histoire-du-temps-present-une-histoire-comme-les-autres.pdf
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- Publié le Jul 11, 2022
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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