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LA FRANC-MACONNERIE ET L'ANTISEMITISME (Paru dans la Revue des Etudes Juives, janvier 1996, t 155, fasc. 1-2) Lucien SABAH Est-ce une gageure de parler de la Franc-Maçonnerie ? Parce que, soit les auteurs s'en préoccupent très peu, on peut mentionner maintenant le livre classique que M. Miquel a consacré à la IIIe République1, soit ils en font une fixation qui tourne à la monomanie, mais alors ce ne sont pas des historiens ! C'est donc tout naturellement que nous devrons nous demander ce que sont ces Francs-Maçons, qui les représentent, s'il y a lieu et, enfin, quelle peut avoir été leur influence sur la crise antisémite qui a agité notre pays qui s'étendait, nous n'aurons garde de l'oublier, aussi en Algérie et au-delà. Qui sont les Francs-Maçons ? Un journaliste, Alain Guichard, les décrit très bien dans l'étude qu'il leur a consacrés2. Pouvons-nous penser que ce sont des hommes et aussi des femmes qui partagent un idéal commun de progrès, se réunissent ensemble dans un esprit de fraternelle coopération ? En tout cas, ils se réunissent dis- crètement, même si le secret n'est pas leur fait : les archives de la police, sont remplies de pièces, rapports et autres papiers les concernant, mais seulement à partir du XVIII° siècle, lorsque la Franc-Maçonnerie classi- que ou historique naît. M. le professeur Chevallier a tracé magistralement cette histoire dans la monumentale étude qu'il a consacrée aux Francs-Maçons et qui sera le texte de référence pour longtemps pour toute recherche sur le sujet3. À sa naissance historique, c'est-à-dire en 1723, date de la publication des Constitutions d'Anderson, la Franc-Maçonnerie est une institution d'Europe occidentale, purement chrétienne, faite pour des chrétiens et par des Chrétiens ! Certes, M. Beresniak évoque la réception ou initiation de deux Juifs dans une Loge, unité de travail de la Maçonnerie, à Londres, en 1721, soit deux ans avant la publication des Constitutions4, malheureuse- ment cet auteur ne cite pas ses sources. Dans la notice que nous trouvons dans l'Encyclopaedia Judaïca, nous lisons que c'est en 1732 que le premier Juif aurait été initié, c'est-à-dire reçu Maçon dans une Loge de Lon- dres et que la Loge Israël, Loge juive, aurait été constituée toujours à Londres en 1793 ; en Allemagne, pen- dant la présence française, une Loge, Aurore Naissante, fut constituée en 1808, à Francfort, sous l'égide du Grand Orient de France5. Nous lisons un peu plus loin dans cette encyclopédie qu'un rabbin juif hollandais, le cabaliste Jacob Templo (1603-1675) aurait dessiné les armes des Maçons anglais ; il avait collaboré avec le rabbin Manasseh ben Israël6, ce rabbin qui avait convaincu Cromwell de laisser revenir les Juifs en Grande- Bretagne pour permettre la venue du Messie. Nous avons dit "Cabale". La mystique ésotérique juive a influencé certainement la pensée ou les préoccupations des hommes qui s'adonnaient à la recherche ésotérique. La Loge maçonnique, au rite français 1 P. Miquel, La Troisième République, Paris, 1989, notamment chapitre V, Les Francs-Maçons, p 357 sqq. Dans le travail de J. Ganiage, L'expansion coloniale de la France sous la IIIe République, 1871 - 1913, Paris, 1968, nous n'avons jamais vu mentionner la Maçonnerie parmi les acteurs de l'expansion coloniale de la France ! 2 A. Guichard, Les Francs-Maçons, Paris, 1969. 3 P. Chevallier, Histoire de la Franc-Maçonnerie, Paris, 1975. 4 D. Beresniak, Juifs et Francs-Maçons, Paris, 1989, p 47. 5 Encyclopaedia Judaïca, t vii, col. 122 & 123, s v° Freemasons. 6 Ibid., t xv, col 998 & 999. 2 2 (il y a plusieurs rites), n'est-elle bâtie sur le plan des Sephirot ? Quel que soit le rite, le vocabulaire maçonni- que est riche d'expressions juives, au point que M. Saint-Gall a pu en dresser un dictionnaire7. C'est à un curieux Maçon que nous avons à faire, lorsque le Rite Écossais Rectifié est établi. Ce Maçon est Martines de Pasqually, dont M. Beresniak a montré la figure curieuse, mais a rappelé qu'il a été établi qu'il n'était pas juif, mais sans doute un lecteur d'ouvrages kabbalistique8. Ce qui joint aux différentes excommunications papales induit certains esprits à voir dans la Maçonnerie une Synagogue et comme la Sy- nagogue est satanique puisqu'elle n'a pas reconnu le message christique, une Synagogue de Satan. C'est le titre d'un ouvrage qu'un évêque de Port-Louis, Mgr Meurin, livre tout à fait original, dans le sens charitable de curieux9. Nous avons là un mélange suffisant pour exciter les esprits, si possible faibles, lorsque la situation économique ou politique ou les deux ensemble, seront telles que certains chercheront un bouc émissaire pour proposer une alternative politique. La Maçonnerie au XIX° siècle. Quoiqu'il en soit, les Francs-Maçons, eux, se posent la question de savoir s'ils doivent ouvrir les portes de leurs Loges à des non chrétiens, Juifs ou Musulmans ? ou à des non Européens, Noirs10, Jaunes ? Le Siècle des Lumières va régler cette question en ouvrant les portes de ses Loges à ceux qui nous intéressent ici, les Juifs. Ils sont sur les colonnes, avec leurs Frères chrétiens, Catholiques ou Protestants ou agnostiques ou encore d'esprit gallican qui n'admettaient pas que l'Église imposât ses croyances au moins en ce qui concernait la politique et les Sciences. Il y a réellement là coupure entre l'esprit ancien et un monde moderne11. Le Ga- lilée de 1633 n'est pas très loin ! Il ne faut pas être étonné de voir les Francs-Maçons nombreux dans les nou- veaux milieux scientifiques créer, non seulement la science moderne, mais encore ces sociétés scientifiques qui fleurissent pendant tout le XIX° siècle, comme la Société asiatique de Paris, avec le Frère Sylvestre de Sacy, la Société de l'Histoire de France, avec le Frère Guizot ou la Société de Géographie de Paris et naturel- lement les sociétés purement scientifiques. C'est l'époque où les sciences sont détachées de la théologie. C'est l'époque aussi, où on veut même mettre l'Homme en équation, le mesurer12 !... Nous avons vu que le Grand Orient de France avait accepté en son sein, une Loge juive en Allema- gne. Une autre Loge des Chevaliers de la Croix, à l'Orient de Paris, qui est la Loge des néo-Templiers men- tionne sur ses registres matricules la religion de ses membres : catholiques ou protestants13. Nous n'y trou- vons ni Juif, ni Musulman, alors que les Templiers sont présents en Algérie. Mais, si nous abandonnons cette Loge des Chevaliers de la Croix, nous constatons que le Grand Orient a initié des Juifs, notamment à Livourne, en Italie, et permettez-moi d'ouvrir une parenthèse : on s'est demandé comment Bugeaud avait pu admettre dans son cercle de relations le Juif Durand, lorsqu'il était à 7 M. Saint-Gall, Dictionnaire du Rite Écossais Ancien et Accepté, Hébraïsmes et autres termes d'origine française, étrangère ou inconnue, 2° éd., Paris, 199. 8 D. Beresniak, Op. cit., p 118 sqq. Dans ce même ouvrage, nous trouvons encore mention de Juifs initiés en Italie, aux États-Unis. 9 Mgr Meurin, La Franc-Maçonnerie, Paris, 1893. 10 Qu'il nous soit permis de citer ici un article paru dès 1847 sur les LL∴ de nègres et d'hommes de couleur en Amérique, paru dans le Bulletin du Grand Orient, n° 13, septembre 1847, p 267. 11 X. Yacono, Un siècle de Franc-Maçonnerie algérienne (1785-1884), Paris, 1969, a montré que des Musulmans ont fréquenté des Loges parisiennes dès 1785, cf. Ibid., passim. 12 Cf. les travaux de Vignon qui expliquait magistralement qu'un nègre ne pourrait jamais faire d'études secondaires parce que son cerveau pesait 200 gr de moins que celui du blanc, L. Vignon, Un programme de politique coloniale, les questions indigènes, Paris, 1919, passim. 13 AN, 3 AS, 14, 19, 22, 32, 33, 35 cf. L. Sabah, La Franc-Maçonnerie à Oran, 1832-1914, Paris, 1991, p 21, sqq., notamment le tableau, p 32 sqq. 3 3 Oran pendant son premier séjour ? Tout simplement parce que l'un et l'autre étaient Francs-Maçons. Nous l'avons montré pour Bugeaud, nous le montrons pour Durand dans un livre à paraître 14. En Allemagne, les Loges prussiennes refusent d'admettre en leur sein des Juifs, entraînant la protes- tation des Loges françaises et anglaises, au point qu'en 1848, le Grand Orient de France doit adresser une protestation officielle à la Maçonnerie allemande et menacer de rompre leurs relations fraternelles. La menace agit et quelques temps plus tard, les Loges prussiennes initient à leur tour des profanes de confession juive 15. Ce qui est relativement peu connu est cette pétition non datée, mais qui peut être de la fin du IId Empire 16 qui tend à prouver que les Maçons prussiens sont toujours enveloppés des ténèbres médiévales 17... Les citations présentées en annexe montrent simplement que l'institution maçonnique tend à l'univer- salisme... L'application est quasi immédiate. L'armée française, celle de la Révolution, la grande, de l'Empire et après, est la première à admettre que des hommes ne pratiquant pas la religion du prince, puissent commander des nationaux, contrairement à ce qui se faisait sous l'Ancien Régime. En d'autres termes, nous trouvons dans une armée marquée par la Maçonnerie 18 des cadres juifs ou musulmans comme uploads/Histoire/ franc-maconnerie-et-antisemitisme-albert-pike-kkk-b-x27-nai-brith.pdf

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  • Publié le Nov 30, 2021
  • Catégorie History / Histoire
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