ÉTIENNE DE VIGNOLLES, dit « LA HIRE » (ca.1385-1443) SEIGNEUR FÉODAL, CAPITAINE

ÉTIENNE DE VIGNOLLES, dit « LA HIRE » (ca.1385-1443) SEIGNEUR FÉODAL, CAPITAINE CHARISMATIQUE, HOMME D’ÉTAT « Comment La Hire et Poton pour leur vaillance furent faiz cappitaines. » BnF, ms. français 5054, fol. 18v. Mémoire de Maîtrise BLOCH Jonathan Promoteur : BERTRAND Paul Université catholique de Louvain-la-Neuve, 2014-2015 2 3 INTRODUCTION Ce mémoire a pour objectif d’approfondir la connaissance historique sur l’histoire militaire du royaume de France, durant quelques années particulièrement complexes de la première moitié du quinzième siècle. Dans sa thèse de 1972, Philippe Contamine a qualifié la période de 1418 à 1445 comme étant celle de « l’anarchie la plus déchaînée, mais aussi du renversement le plus complet dans la situation politique et militaire1. » Il constate, dans son chapitre dédié à ces quelques années2, un relâchement complet des institutions financières, la disparition de nombreux titres militaires traditionnels (porte-oriflamme, chevalier banneret, chevalier bachelier, etc.) et la mise en place, finalement, d’un tout nouveau modèle d’armée : les Compagnies d’Ordonnances. Néanmoins, l’étude de Contamine, qui s’attache surtout à l’analyse des institutions, et malgré son regard sociologique, « laisse de côté l’essentiel, c’est-à-dire le rôle des expériences vécues, le poids des problèmes contemporains3. » Autrement dit, il n’entre pas dans le quotidien des gens de guerre ; il l’évite afin d’observer, sur le temps long et sans amour pour l’événementiel, les phénomènes de continuité et de discontinuité. Or, si son étude des institutions militaires demeure fondamentale, en raison du caractère chaotique des années 1418-1445, elle demeure insuffisante que pour saisir en profondeur la période susmentionnée. En vérité, si les années 1418-1445 apparaissent chaotiques sur le plan militaire, c’est en raison du fait qu’elles sont étudiées à travers le prisme institutionnel. Ainsi, il serait faux d’assimiler le désordre institutionnel à un désordre complet. Si l’on étudie correctement les comportements des hommes d’armes de cette époque, l’on observe une logique très concrète derrière leurs agissements. Il suffit de partir du présupposé, peut-être pour nous difficile, que tout ce qu’ils font n’est rien d’autre que « normal » et « raisonnable ». Bref, les hommes d’armes de 1418-1445 demeurent des hommes ; ce ne sont pas des « bêtes sauvages », comme les a injustement qualifiés en ces propres mots Jules Michelet, plus soucieux de poésie que d’histoire4. 1 CONTAMINE Ph., Guerre, état et société à la fin du moyen âge. Études sur les armées des rois de France. 1337- 1494, Paris, Mouton, 1972 (coll. Civilisations et sociétés, n° 24), p. 234. 2 Ibid., pp. 234-273. 3 Ibid., p. V. 4 MICHELET J., Jeanne d’Arc. 1422-1432, Paris, Hachette, 1853, p. 31. 4 Philippe Contamine parle d’anarchie, néanmoins, les hommes d’armes et de trait de 1418- 1445 demeurent très soucieux des questions d’allégeance. L’affaiblissement et la déstructuration du pouvoir central ne signe pas la disparition de tout pouvoir. Au contraire, les hommes de pouvoir se multiplient, et l’échiquier politique se complique plutôt qu’il ne se renverse. Les relations entre les hommes continuent d’être pensées en termes de parité (des puissants, des individus de même condition) et d’obéissance (des petits). Ainsi, l’agir communautaire reste impensable sans l’exercice de la domination. À la domination, nous donnons sa définition wébérienne : Par « domination », nous entendrons donc ici le fait qu’une volonté affirmée (un « ordre ») du ou des « dominants » cherche à influencer l’action d’autrui (du ou des « dominés ») et l’influence effectivement, dans la mesure où, à un degré significatif d’un point de vue social, cette action se déroule comme si les dominés avaient fait du contenu de cet ordre, en tant que tel, la maxime de leur action (« obéissance »)5. Or, Weber nous donne également les clés pour comprendre la période de 1418-1445. En effet, il reconnaît quatre types de domination : patrimoniale, féodale, charismatique ou bureaucratique. De plus, il détermine que ces quatre types de domination se retrouvent dans toutes les civilisations, à différents points de l’histoire. Ainsi, d’après les définitions qu’il donne de chacun de ces types de domination, nous serions tentés de déterminer la période de 1418- 1445 comme une période de transition entre plusieurs types de domination, soit de la domination féodale à la domination bureaucratique, par un bref retour aux lois de la domination charismatique.  Succinctement, voici comment sont définis par Weber ces trois types de dominations. La domination féodale se caractérise par l’attribution d’un fief, du dominant (suzerain) au dominé (vassal). Grâce au fief, le vassal perçoit une rente, mais en retour, il doit accomplir une série de tâches administratives et/ou militaires. Weber tient comme parfait modèle de 5 WEBER M., La domination, trad. par KALINOWSKI I., Paris, La Découverte, 2013, p. 49. 5 domination féodale, la féodalité normande centralisée, tandis qu’il définit la « république des nobles » de Pologne comme l’antithèse même du système féodal6. La domination bureaucratique, quant à elle, est un « mode de fonctionnement spécifique du fonctionnariat moderne7 ». Les compétences de chacun y sont strictement définies, le principe de hiérarchie solidement enraciné, et les individus se distinguent grâce à leurs capacités techniques (on peut parler de division du travail). De même, un État bureaucratique se traduit par un important dispositif administratif. La domination charismatique, enfin, se rencontre lors de moment critiques de l’histoire, quand les structures d’un quotidien bien rangé s’effondrent, lorsque le présent devient le champ de l’imprévu. Le chef charismatique, lui-même, n’est prédéterminé ni par sa naissance, ni par sa statut social, au rôle qui lui incombe. Il surgit comme du néant et son autorité ne repose que sur son charisme, c’est-à-dire sa capacité à conduire ses protégés jusqu’au lendemain, malgré leur détresse. Par conséquent, son charisme n’a d’autre mesure que celle de ses succès. Dès lors qu’il n’est plus en mesure d’accomplir ses preuves, le chef charismatique perd son autorité8.  La transition, désormais, d’une domination de type féodale à une domination de type bureaucratique, dans les années 1418-1445, n’est guère aussi catégorique et franche qu’on voudrait le souhaiter. Il s’agit moins d’une complète métamorphose que d’un renversement de tendance progressif. De plus, s’il est possible de le constater dans les milieux militaires, il n’est pas confirmé que ce revirement soit effectif pour l’ensemble des sphères de la société, surtout dans un monde aussi multipolaire que le royaume de France de la première moitié du quinzième siècle. Chez les Bourguignons, d’autre part, ce revirement n’est pas même perceptible dans les milieux militaires, où se renforcent considérablement les structures traditionnelles, notamment par la création de l’Ordre de la Toison d’or9. La transition, d’ailleurs, ne concerne pas plus les compagnies militaires anglaises guerroyant alors au royaume de France. 6 Ibid., p. 210. 7 Ibid., p. 63. 8 Ibid., pp. 269-274. 9 Les ducs de Bourgogne, de Philippe le Hardi à Philippe le Bon, eurent pour ligne de conduite politique, très démagogue, de protéger et de restaurer les anciens privilèges contre les « nouvelletés » fiscales du pouvoir royal. L’institution de l’Ordre de la Toison d’or s’inscrit dans ce programme de « réforme » (au sens où il s’agit de former 6 Enfin, de sorte à rendre compte, néanmoins, du passage d’un type de domination à un autre dans l’organisation des armées de Charles VII, nous avons choisi d’axer notre étude sur un personnage emblématique de la période et pour le moins central, eu égard à son activité militaire : Étienne de Vignolles, dit « La Hire », principalement connu dans l’historiographie pour avoir été l’un des nombreux compagnons d’armes de Jeanne d’Arc. Pourquoi lui, plutôt qu’un autre ? Premièrement, La Hire a été de toutes les grandes batailles, mais également, il s’est illustré sur toutes les zones de conflit de son temps : Picardie, Normandie, Île-de-France, Ardennes-et-Champagne, Bar-et-Lorraine, Loire et Guyenne. Son expérience militaire, longue de plus de vingt ans de carrière continue, résume donc toutes celles de son parti, d’autant plus qu’il a été l’allié, le mentor ou l’adversaire de tous les capitaines de renom de l’époque. Son positionnement dans l’échiquier militaire ne manque donc ni d’intérêt, ni de pertinence, quant à la thèse de ce mémoire. Ensuite, c’est à partir de février 1419 que son nom fait irruption dans les chroniques. Dès lors, étant donné qu’il décède en janvier 1443, ce que l’on connaît de la carrière militaire de La Hire couvre très précisément la phase d’« anarchie » et de transformation dont il est question. Il est de plein pied dans la période de transition sans avoir connu ni l’« avant » (sinon très peu) ni l’« après ». Par conséquent, il sert idéalement de guide ou d’agent révélateur. à nouveau ce qui existait autrefois) ; pour cause, Philippe le Bon s’y présente comme primes inter pares et renonce à certains droits de suzeraineté sur ses vassaux ordonnés, en vertu du principe ancestral de parité. Charles le Téméraire, soucieux de moderniser l’administration de ses états et d’assurer sa souveraineté, révoquera notamment cette parité juridique des chevaliers de l’Ordre. Bibliographie sélective : 1° Sources : LE FÈVRE DE SAINT-RÉMY J., dit « Toison-d’Or », Chronique (de la Toison d’Or), éd. par MORAND Fr., uploads/Histoire/ etienne-de-vignolles-dit-la-hire-ca-1385.pdf

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  • Publié le Mar 03, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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