Confiance, guerre de manœuvre, commandement de mission et l’Armée de terre cana

Confiance, guerre de manœuvre, commandement de mission et l’Armée de terre canadienne Lieutenant-colonel "Chuck" Oliviero, CD L’Armée de terre canadienne a récemment fait du bruit en inaugurant son nouveau manuel de doctrine, à savoir la publication B-GL-300-000/FP-001, intitulée L’Armée de terre du Canada. Le besoin d’une nouvelle doctrine était reconnu depuis un bon moment déjà et l’Armée de terre a beaucoup de mérite de s’être enfin attelée à la révision des principes selon lesquels elle mènera la prochaine guerre. Malheureusement, la méthode utilisée pour définir cette « nouvelle » doctrine de la guerre de manœuvre accuse certaines lacunes fondamentales. En empruntant la majeure partie de la nouvelle doctrine à nos alliés, nous nous sommes privés de la dialectique qu’implique son élaboration et avec laquelle nos alliés ont dû composer. En effet, l’élaboration d’une doctrine ne se limite pas à une opération de couper-coller – du moins elle ne le devrait pas. À moins que les fondements que constituent la culture, l’histoire et l’expérience de la guerre soient bien assimilés, une doctrine empruntée ne peut faire autrement que demeurer un corps étranger greffé à notre propre doctrine. Le processus est rapide et facile, mais offre très peu d’espoir de réussite. Le meilleur exemple d’une telle situation réside dans le concept de l’Auftragstaktik mis de l’avant par les Allemands, que nous rendons par commandement de mission. Les opinions militaires actuelles attribuent presque exclusivement à la technique de l’Auftragstaktik les victoires stupéfiantes qu’ont remportées les forces militaires allemandes au combat au cours du siècle. Les prouesses des Allemands en matière de combat tactique et opérationnel ont inévitablement été liées à cette méthode de commandement et de contrôle purement allemande. Il va de soi qu’un tel concept ne peut exister dans l’absolu, mais trop souvent, l’Auftragstaktik a bel et bien été traitée comme une entité distincte ou autonome. En réalité, il ne constitue toutefois qu’un élément d’un système de commandement et de contrôle très complexe dont les composantes sont intimement liées et qui s’applique à tous les niveaux de guerre et à toutes les chaînes de commandement. Le fait même que nous ayons traduit le terme Auftragstaktik par celui de commandement de mission témoigne d’une interprétation fondamentalement erronée de son sens. Malgré tout, l’expression commandement de mission a été incorporée à la doctrine militaire des Britanniques, des Américains et des Canadiens en tant que style de leadership, style dont on s’attend à ce qu’il existe par lui-même d’une façon ou d’une autre. Pourtant, l’idée a été empruntée à la Bundeswehr moderne, mais on n’a accordé que peu ou pas du tout de considération au contexte historique ou culturel qu’elle suppose. Or, pareille « greffe conceptuelle » contredit la nature même de l’Auftragstaktik en lui arrachant ses racines sociétales. Compte tenu de l’erreur d’interprétation fondamentale qui en découle, il serait naïf de croire que ce qui a donné de bons résultats pour la Bundeswehr en fera autant pour d’autres forces armées qui s’articulent autour de cultures politiques et sociales différentes. Après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les milieux militaires ont développé une grande et indéfectible fascination à l’égard de la Wehrmacht en général, et plus particulièrement de sa doctrine tactique. Plus tard, le colonel Trevor N. Dupuy (retraité), de la US Army, a écrit abondamment sur la prétendue supériorité au combat de l’Armée allemande. Il n’a pas été le seul. Au milieu des années 1980, la plupart des revues professionnelles militaires publiaient des articles dans lesquels on exaltait l’efficacité des tactiques de l’Armée allemande et expliquait comment un pays qui comptait si peu d’habitants avait pu résister aux forces alliées pendant si longtemps. Dans la plupart des armées des pays membres de l’OTAN, la doctrine tactique de la Wehrmacht devint une cause célèbre. Au fur et à mesure que l’Allemagne et la Bundeswehr ont accru leur pouvoir et, de ce fait, participé aux affaires de l’OTAN, de plus en plus d’officiers ont été exposés à la doctrine tactique allemande. La mise en commun de plus en plus courante de l’expérience militaire des trois principaux partenaires que sont les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, après que celle-ci a commencé à rétablir ses forces armées en 1956, est devenue l’une des principales caractéristiques de l’alliance. Au début des années 1980, bon nombre d’officiers des armées britannique et américaine en étaient venus à la conclusion qu’une grande partie de la doctrine allemande avait beaucoup de mérite. C’est à peu près à la même époque que l’américain William Lind a proposé le terme « guerre de manœuvre ». Le fondement historique de ce nouveau type de guerre décrit par Lind s’inspirait largement de l’expérience de la Wehrmacht et, par voie de conséquence et sans qu’on s’en étonne, l’Auftragstaktik en constituait l’un des éléments clés. La boucle était bouclée. L’étude des succès de l’Armée allemande au combat revêtait du coup une importance et une légitimité qui lui avaient échappé jusque là. De loisir, elle devenait composante légitime de la formation professionnelle militaire. Il n’existe probablement aucun autre sujet qui a suscité autant d’intérêt et de discussion depuis une vingtaine d’années que celui du concept de l’Auftragstaktik de l’armée allemande, qui a déchaîné l’imagination des amateurs et des professionnels comme aucun autre. Il en a été question dans diverses revues militaires comme Proceedings, de la US Naval Institute, Military Review, du US Army War Command and Staff College, la Revue canadienne de défense et la British Army Review. L’Auftragstaktik a été proclamée l’ultime multiplicateur de force sur le champ de bataille aussi bien qu’elle a été dénigrée comme fiction impraticable. Bon nombre l’ont embrassée comme étant la panacée qui réglerait tous les problèmes tactiques; d’autres l’ont dédaignée sous prétexte qu’il s’agissait d’un mythe militaire. Malheureusement, même si l’Auftragstaktik a été un sujet si en vogue, peu de gens sont parvenus à acquérir plus qu’une vague idée de ce qu’elle constitue véritablement. Très peu d’études ont porté sur les tout débuts de l’Auftragstaktik. Par conséquent, il y a pénurie de renseignements sur ce sujet. Malgré le fait que le terme est employé depuis des générations, il est fait état de ce sujet que dans un seul livre allemand et dans aucun livre anglais. La principale difficulté qui se pose relativement à l’Auftragstaktik a trait à sa définition. Elle ne vient pas uniquement du fait que le terme est difficile à rendre dans une autre langue. Même en allemand, il suscite la controverse. Contrairement à la croyance populaire, ce n’est pas Helmuth von Moltke l’aîné, chef du grand état-major général allemand (Chef des Großengeneralstabes) pendant de longues années, qui a inventé le concept, même si on peut bien lui attribuer le mérite d’avoir introduit le terme dans le jargon tactique des Allemands. De fait, le terme lui-même a été adopté bien après le concept. En effet, l’idée a été enseignée et mise en pratique dès la fin du dix-neuvième siècle, tandis que le terme n’a commencé à être utilisé qu’au cours du siècle en cours. Dans sa forme la plus simple et la plus fondamentale, l’Auftragstaktik fait appel au respect mutuel qui existe entre supérieurs et subalternes lorsque le supérieur fixe un but et laisse le subalterne libre de l’atteindre à sa façon. Dans ses applications les plus complètes et les plus sophistiquées, elle appelle la participation de tous les membres de la chaîne de commandement militaire à la réalisation de la mission. La confiance tacite règne aussi bien vers le haut que vers le bas de la chaîne de commandement et les subalternes ont le droit de recourir à la mesure extrême qu’est la désobéissance s’ils peuvent ainsi atteindre le but ultime de leur commandant supérieur. Ce concept repose sur les piliers que constituent la subordination de soi au but d’un supérieur, l’action autonome et la liberté d’action à tous les niveaux. Pour en venir à mieux comprendre l’Auftragstaktik, il faut procéder par étapes préalables. Premièrement, il y a lieu de reconnaître pourquoi et comment les Allemands ont développé leurs propres concepts de guerre. En effet, le développement de l’armée prusso-allemande était unique en son genre en Europe de l’Ouest, tout comme son cheminement différait de celui de tous ses voisins. Deuxièmement, il y a lieu d’apprécier l’histoire qui a mené à la création et au développement du système d’état-major général prussien. Troisièmement, il y a lieu de remonter le cours du développement intellectuel qui a poussé au changement tactique pendant près d’un siècle. Dès l’époque des guerres de Napoléon, la Prusse redéfinissait sa façon de faire la guerre tandis que l’armée créait simultanément un nouveau paradigme de la guerre. Enfin, il y a lieu de comprendre la synthèse qui a émané de cette période de près d’un siècle consacrée à l’élaboration de la tactique du champ de bataille reposant sur le système unique de l’état-major général. Nous en revenons donc à l’OTAN et à la nouvelle doctrine de guerre. Même si le commandement de mission a été adopté comme nouvel élément constitutif de cette doctrine, est-il réaliste de s’attendre à ce que l’OTAN réussisse à importer l’Auftragstaktik? Il n’y uploads/Histoire/ caj-vol1-1-05-f.pdf

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  • Publié le Sep 01, 2021
  • Catégorie History / Histoire
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