ThEv vol. 2 , n° 2, 2003 99 Émile Nicole La Bible dévoilée ? Paru en français l

ThEv vol. 2 , n° 2, 2003 99 Émile Nicole La Bible dévoilée ? Paru en français l’année dernière, un an à peine après l’original anglais, un livre au titre provocateur : La Bible dévoilée. Les nouvelles révélations de l’archéo- logie1, révèle au public des débats engagés depuis une vingtaine d’années2. On notera la parution presque simultanée de la traduction allemande avec titre et sous titre plus agressifs : Keine Posaune vor Jericho. Die archäologische Wahrheit über die Bibel3, « Pas de trompettes devant Jéricho. La vérité archéologique sur la Bible ». 1. La thèse Même par rapport au titre le plus radical, le contenu n’est pas en reste. En reprenant dans l’ordre les principales étapes de l’histoire biblique, les auteurs s’emploient à démontrer que depuis les patriarches jusqu’à l’époque de David et Salomon comprise, l’histoire biblique n’a guère de rapport avec la réalité historique telle que l’archéologie permettrait maintenant de la reconstituer. Les patriarches. On ne trouve pas trace de leur passage dans l’histoire, ce n’est guère surprenant pour une famille de nomades, mais les diverses hypothè- ses avancées pour situer les récits dans l’histoire du Proche-Orient ancien : - au Bronze moyen I (fin du IIIe millénaire, début du IIe, jusque vers l’époque de Hamourapi), - au Bronze moyen II (XVIIIe, XVIIe siècles), 1. Israël FINKELSTEIN et Neil Asher SILBERMAN, La Bible dévoilée. Les nouvelles révélations de l’archéologie, Paris, Bayard, 2002, 432 p. En anglais : The Bible Unearthed. Archaeology’s New Vision of Ancient Israel and its Sacred Texts, New York, The Free Press, 2001. 2. Déjà signalé aux lecteurs de « l’ancêtre » de Théologie Évangélique, cf. Luc OLEKHNOVITCH, recension de From the Ancient Sites of Israel in Fac Réflexion 46-47, 1999, p. 65-66. 3. Édité à Munich chez C.H. Beck. p. 99-110 ANCIEN TESTAMENT théologie évangélique vol. 2, n° 2, 2003 100 - ou plus récemment au début de l’âge de Fer (XIIe – XIe siècles, qui corres- pondent à la période des Juges), se sont révélées infructueuses. Conclusion, c’est au VIIe siècle avant J.-C., à l’époque du roi Josias, que les récits, reposant en partie sur d’anciennes légendes, ont dû être mis en forme. L’exode. L’histoire offre des exemples indubitables de migrations de Sémites en Égypte et d’expulsion de Sémites hors d’Égypte, notamment le phénomène des Hyksos, dominateurs étrangers présents dans le delta du Nil du XVIIIe au XVIe siècle avant Jésus-Christ (on estime qu’ils ont dû être expulsés d’Égypte vers 1570). Mais on n’arrive pas à situer, dans l’histoire égyptienne, une époque qui pourrait concorder avec ce que rapporte le récit biblique. Si l’on cherche à situer l’exode au XIIIe siècle, l’Égypte, sous le règne de Ramsès II était alors au faîte de sa puissance, il paraît impossible qu’une population telle que celle décrite dans les récits bibliques ait pu échapper au contrôle des frontières, traverser le Sinaï et s’établir dans le pays de Canaan étroitement quadrillé par l’Égypte. La conquête de Canaan. La fin du Bronze récent (XIIIe siècle) marque bien l’effondrement d’un monde (économie, structures sociales, destruction des cités). La chute de ces cités-États correspondrait-elle à la conquête israélite ? Les fouilles entreprises sur plusieurs sites de Canaan au début du XXe siècle parais- saient en apporter la confirmation : - Albright à Tell Beit-Mirsim = Debir (1926-1932), - une expédition britannique à Tell ed-Duweir = Lakish (1932-1938), - Yigal Yadin à Hatsor (1956), ont révélé une destruction brutale de ces villes au XIIIe siècle. Mais l’absence de vestiges du Bronze récent à Jéricho et dans plusieurs autres villes mentionnées dans le récit biblique de la conquête, a considérablement affaibli l’hypothèse. Finkelstein voit plutôt dans cet effondre- ment du monde du Bronze récent la marque de ceux que l’on appelle « les peuples de la mer ». L’apparition des Israélites en Canaan. Les explorations régionales de surface dans la région montagneuse centrale (Juda, Benjamin, Ephraïm et Manassé) ont permis de repérer l’implantation de nombreux sites nouveaux au Fer I (1200- 1000). Le plan caractéristique de ces sites dont la forme ovale rappelle celui des campements de nomades, le mode de subsistance, partagé entre la culture et l’élevage de petit bétail, témoignent de l’origine nomade de cette population. Finkelstein penche cependant pour une origine plutôt interne de cette popula- tion émergente. Il pense pouvoir donner une explication économique à leur La Bible dévoilée ? 101 apparition : l’effondrement de l’économie du Bronze récent, privant les nomades, vivant à la frange de Canaan, des ressources de l’agriculture dont ils bénéficiaient grâce à leurs échanges avec les sédentaires, les aurait contraint à produire eux-mêmes les céréales indispensables à leur subsistance et donc à se sédentariser : « La plupart des Israélites ne venaient pas de l’extérieur de Canaan ; ils étaient indigènes. Il n’y a pas eu d’exode de masse en provenance de l’Égypte. Le pays de Canaan n’a pas été conquis par la violence. La plupart de ceux qui ont constitué le premier noyau d’Israël étaient des gens du cru […] Les premiers Israélites étaient – comble de l’ironie – d’origine cananéenne ! » (p. 143). La seule spécificité qu’il leur reconnaisse par rapport à leur entourage est qu’ils ne consommaient pas de porc (p. 144-145). David et Salomon. On n’a pas trouvé trace à Jérusalem des grands ouvrages attribués par le récit biblique à Salomon (palais, temple, murailles). La région était, selon Finkelstein, peu peuplée : « Jérusalem n’était tout au plus qu’un village typique des hautes terres. » (p. 171). Contrairement à d’autres auteurs plus radicaux, Finkelstein se garde de contester l’existence historique de David et Salomon. Une stèle découverte en 1993 au nord d’Israël parle du roi « de la maison de David ». Mais Finkelstein considère que les récits bibliques ont considérablement amplifié et embelli le portrait de ces rois emblématiques pour servir la propagande du roi Josias au VIIe siècle. 2. Les auteurs Qui sont les auteurs de cet ouvrage ? Israël Finkelstein est actuellement l’un des principaux archéologues israéliens. Professeur d’archéologie, directeur de l’institut d’archéologie de l’Université de Tel Aviv, il a dirigé plusieurs impor- tantes campagnes archéologiques en Israël : explorations de surface du pays d’Ephraïm (1980-1987), fouilles de Silo (1981-1984), de Meguiddo (depuis 1992). Il est l’auteur d’un ouvrage fondamental sur l’installation des Israélites en Canaan : The Archaeology of the Israelite Settlement, Jérusalem, Israel Explo- ration Society, 1988. Il a dirigé la publication de nombreux rapports archéologiques : exploration de surface de la région de Benjamin (1993), fouilles de Silo (1993), exploration de surface du sud de la Samarie (1993), Neguev et Sinaï (1995), Meguiddo III 1992-1996 (2000). Ses compétences sont donc incontestables. théologie évangélique vol. 2, n° 2, 2003 102 Le second co-auteur, Neil Asher Silberman, n’est pas archéologue de terrain. Il fait partie de l’équipe dirigeante d’un centre basé sur un site archéo- logique médiéval en Belgique. Il s’est signalé par la publication de plusieurs ouvrages ayant trait à l’archéologie en Israël, souvent en collaboration avec un autre auteur. On lui doit ainsi un ouvrage sur la vie de l’archéologue israélien Yigal Yadin et un autre sur l’archéologie d’Israël4. En 1982, il publiait seul un livre au titre évocateur : Digging for God and Country, New York, Alfred A. Knopf, 1982, où il relève l’influence des convictions religieuses et politiques sur l’archéologie. On peut raisonnablement supposer que dans l’équipe Finkelstein apporte les compétences archéologiques et Silberman, qui n’est pas sans compé- tence, vu ses précédentes publications, la verve journalistique d’un ouvrage destiné à un vaste public. La publication très rapide des traductions française et allemande, un an seulement après la parution de l’original en anglais, suggère une opération commerciale intéressante. Mais c’est sur le fond que l’ouvrage doit être évalué. Le temps est-il venu aujourd’hui de faire un nouveau point sur les rapports entre la Bible et l’archéologie ? et cet ouvrage fait-il honnêtement le point sur la question ? Il y a cinquante ans paraissait La Bible arrachée aux sables, une synthèse grand public, traduction de l’ouvrage allemand de Werner Keller au titre plus évoca- teur, Die Bibel hat doch recht (la Bible avait donc raison)5. Cinquante ans plus tard il semble bien que ce soit la conclusion inverse qui nous est proposée : en fait la Bible avait tort. Un véritable cadeau empoisonné pour cette année de la Bible 2003 ! Les limites de cet article obligent à concentrer notre attention sur l’essentiel6. 4. A Prophet from Amongst you. The Life of Yigael Yadin, Reading, Mass., Addison-Wesley, 1993. Avec David A. SMALL, The Archeology of Israel, Sheffield, 1995. 5. Werner KELLER, La Bible arrachée aux sables, trad. de l’allemand par M. MULLER-STRAUSS, Paris, Amiot-Dumont, 1956. « Tandis que je réunissais une documentation que je n’ai pas la prétention de considérer comme complète, j’ai pensé qu’il serait temps de communiquer les merveilleux résultats des recherches de nombreux savants de diverses dis- ciplines aux lecteurs de la Bible comme à ses adversaires, aux croyants comme aux sceptiques. Devant la multiplicité des preuves que nous a fournies la science, je ne puis m’empêcher de uploads/Histoire/ bible-devoilee-resume.pdf

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  • Publié le Jan 23, 2021
  • Catégorie History / Histoire
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