Walter Benjamin, sentinelle messianique - 0 - Sentinelles Extrait du Europe Sol
Walter Benjamin, sentinelle messianique - 0 - Sentinelles Extrait du Europe Solidaire Sans Frontières http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article20568 Walter Benjamin, sentinelle messianique - 0 - Sentinelles - Français - Théorie - Marxisme & co. - Walter Benjamin - Date de mise en ligne : mardi 8 mars 2011 Date de parution : 1990 Europe Solidaire Sans Frontières Europe Solidaire Sans Frontières Page 1/8 Walter Benjamin, sentinelle messianique - 0 - Sentinelles La revue Contretemps a mis en ligne deux extrait de Daniel Bensaïd, Walter Benjamin sentinelle messianique. Á la gauche du possible (1e éd. : 1990), éditions Les Prairies Ordinaires, 2010. Ci-dessous, le premier extrait. Pour le second, voir : Walter Benjamin, sentinelle messianique - 3 - Messie en armes. « Sentinelles » constitue un chapitre introductif à l'ouvrage, placé entre l'introduction proprement dite et la première partie. « La politique prime désormais l'histoire. » [1] « Fiat ars, pereat mundus, tel est le mot d'ordre du fascisme, qui, Marinetti le reconnaît, attend de la guerre la satisfaction artistique d'une perception sensible modifiée par la technique. C'est là évidemment la parfaite réalisation de l'art pour l'art. au temps d'Homère, l'humanité s'offrait en spectacle aux dieux de l'olympe ; elle s'est faite maintenant son propre spectacle. elle est devenue assez étrangère à elle-même pour réussir à vivre sa propre destruction comme une jouissance esthétique de premier ordre. Voilà quelle esthétisation de la politique pratique le fascisme. La réponse du communisme est de politiser l'art. » [2] Le 26 septembre 1940 à Port-Bou, Walter Benjamin est mort comme un chien, suicidé dans sa quarante-neuvième année, au bout d'un chemin qui ne menait plus nulle part, vaincu absolu, en des temps où les vainqueurs n'étaient pas beaux à voir. Au moment, proprement catastrophique, du pacte de la honte entre Hitler et Staline, au seuil du désastre, au fond du désespoir, il opposait à la lourde mécanique du progrès la faible étincelle de la rédemption messianique, au martèlement linéaire des légions en marche le « saut du tigre dans le passé », saut de l'ange et saut de la mort. Tard venu au communisme, sa fidélité à la mystique juive le tenait à l'écart des raisons d'État, triomphantes dans le stalinisme, embryonnaires dans le sionisme. Son judaïsme non religieux entrait en dissidence contre la pétrification bureaucratique de la pensée. G. Scholem s'exaspérait de l'attraction réciproque entre ses deux pôles magnétiques, marxisme et mystique juive. Juxtaposition arbitraire de démarches incompatibles ? Pourtant, Benjamin s'obstinait. Peut-être l'ambiguïté et la double pensée étaient-elles le signe d'une époque où le communisme se fendait en deux, sans qu'il soit encore possible d'en démêler tout à fait les fragments opposés. Aux inquiétudes de son ami pour sa schizophrénie théorique, il répondait : « Le lien philosophique entre les deux parties de mon étude, que tu ne saisis pas, sera apporté par la révolution beaucoup plus que par moi-même. » À condition de concevoir la révolution non comme une simple accélération sur la pente de la facilité historique, mais comme « un combat pour le passé opprimé », au nom des « générations vaincues ». Benjamin devinait, de connaissance profonde, d'expérience vive, que l'autre barbarie, la barbarie nazie, dont on ignorait encore toute la portée, n'était pas le dernier mot du capitalisme, ni son dernier spasme, avant les lendemains radieux ; pas un accroc à sa normalité, mais une tendance récurrente de sa nature. Face à cet ennemi de toujours, impossible de déserter, de désarmer, sans condamner du même coup les vaincus de jadis et de naguère à la répétition infernale de la défaite. La vie de Benjamin n'a cessé de battre à contre-temps. En pleine révolution allemande, quand se joue le sort de la Europe Solidaire Sans Frontières Page 2/8 Walter Benjamin, sentinelle messianique - 0 - Sentinelles bataille, dont Hitler ne sera que l'épilogue, il est ailleurs. Lorsqu'il se tourne vers le bolchevisme, c'est pour se heurter de plein fouet au Thermidor stalinien et à la bureaucratie arrogante. Quand il franchit les Pyrénées, la route de l'Amérique est déjà fermée. On ne passe plus. Ce décentrement, ce décalement, cette marginalité aiguisent la perception de l'histoire qui se fait. Sa Correspondance [3] et son Journal de Moscou [4] en portent témoignage. Rongé par la maladie d'Asja Lacis, par la solitude, par les menus soucis de la vie quotidienne moscovite, il est d'autant plus sensible au malaise morbide de ce qui est en train de se jouer à travers la défaite de l'opposition. « Moscou telle qu'elle se présente maintenant, pour le moment, révèle, réduites à un schéma, toutes les possibilités : surtout celles de l'échec et du succès de la révolution. Mais dans les deux cas, il y aura quelque chose d'imprévisible et le tableau sera considérablement différent de toute peinture programmatique de l'avenir et cela se dessine aujourd'hui brutalement et nettement chez les hommes et dans leur environnement. » [5] Dans Moscou, où se jouent non seulement le sort de la révolution russe mais le tableau du siècle, il se promène, attend beaucoup, se perd dans des banlieues incertaines, choisit des poupées, fait des parties de dominos, assiste à des pièces de théâtre dont il ne comprend pas un mot, espère un geste, un frôlement d'Asja, un moment d'intimité. Chemin faisant, il observe, note. Il croise des nepmans faisant étalage de leur précaire et rapide fortune, « mercantis héroïques », « nouvelle bourgeoisie » en sursis. Il s'irrite de la nouvelle religiosité d'État et de son esthétique monumentale, du déploiement de faucilles et de marteaux, de la sanctification de la technique au détriment de l'érotisme. À l'extérieur, le gouvernement du « socialisme dans un seul pays » cherche la paix. À l'intérieur, il cherche à « suspendre le communisme militant ». Radek reproche à son manuscrit sur Goethe pour l'Encyclopédie soviétique de mentionner la lutte de classe dix fois par page... La censure rôde. On discute de l'Opposition de gauche et de son sort. « La génération qui était active au temps de la révolution vieillit. C'est comme si la stabilisation de la situation de l'État avait fait s'introduire dans leur vie un calme, voire une indifférence comme on n'en acquiert d'ordinaire qu'avec l'âge. » L'État bureaucratique vampirise la classe et confisque la politique. Le lien est rompu entre l'« expérience » et les « mots d'ordre » qui tournent à vide. Par un étrange tour de passe-passe, le pouvoir s'emploie à « dépolitiser toute la vie civique » en organisant une « insinuante politisation de la vie » tout court. Il échange de la politique authentique, de la politique civique d'en bas, contre de la mauvaise politique frelatée, de la politique étatique d'en haut. « Avec la grande valise sur mes genoux, je suis allé en pleurant, par les rues crépusculaires, à la gare. » [6] Le 1er février 1927, Benjamin quittait Moscou. En pleurant. Sur son amour malheureux avec Asja, sans doute. Il y avait dans ces larmes toute l'amertume d'une lucidité historique en éveil. Tout au long de ses textes, Benjamin fait front contre le nazisme dont il comprend très tôt le sens et la menace. Il met à nu la responsabilité théorique et pratique de la social-démocratie. Il ne cite pratiquement pas Staline. Dès 1926, il lit Le Capital et Où va l'Angleterre [7]. En 192-, il discute passionnément avec Brecht du conflit entre Staline et Trotski, de l'antisémitisme en URSS. Son voyage à Moscou l'éclaire sur les enjeux du combat qui se livre entre le « socialisme dans un seul pays » et la révolution « ininterrompue ». En 1931, il découvre « avec un grand enthousiasme » l'Histoire de la Révolution russe puis Ma vie [8]. Exercé aux prémices de la catastrophe, il contemple de haut, le regard clair, le terrain dévasté par les grandes défaites du siècle, l'oeuvre conjuguée du nazisme et du stalinisme. Ainsi assiste-t-il sans illusions à l'avortement des fronts populaires, où « tous sont accrochés au fétiche de la majorité de gauche et ne se trouvent pas gênés que celle-ci mène la politique avec laquelle la droite provoquerait des insurrections ». Ce qui lui « semble terrible dans le cas de l'Autriche comme dans le cas de l'Espagne, c'est que le martyre n'est pas subi au nom de la propre cause, mais au nom d'une proposition de compromis : que ce soit le compromis de la précieuse culture autrichienne avec une économie et un État infâmes, ou le compromis de la pensée révolutionnaire espagnole avec le machiavélisme des dirigeants russes ou le mammonisme des dirigeants locaux ». [9] Alors qu'il combat philosophiquement le stalinisme, politiquement, il ne l'aborde que de façon oblique, comme s'il s'imposait une réserve. Dans ses Écrits autobiographiques, sans livrer à fond sa propre pensée [10], il s'efface Europe Solidaire Sans Frontières Page 3/8 Walter Benjamin, sentinelle messianique - 0 - Sentinelles devant les propos de Brecht qui n'est pas tendre avec la dictature du Kremlin, une dictature sur le prolétariat, une « monarchie ouvrière », qui exprime son « angoisse devant l'État fourmilière », et découvre dans Le uploads/Histoire/ bensaid-w-benjamin-sentinelle-messianiques-sentinelles.pdf
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- Publié le Nov 14, 2022
- Catégorie History / Histoire
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