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HAL Id: hal-01065610 https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-01065610 Submitted on 18 Sep 2014 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Turquie : un nationalisme est-européen et postimpérial Jean-François Leguil-Bayart To cite this version: Jean-François Leguil-Bayart. Turquie : un nationalisme est-européen et postimpérial. 2005. <hal- 01065610> Jean-François Bayart Turquie : un nationalisme est-européen et postimpérial La problématique nationaliste s’est imposée en Turquie, comme dans le reste de la Méditerranée orientale, sur les ruines de deux empires successifs : l’Empire byzantin et l’Empire ottoman qui tous deux se sont vus en successeurs de l’Empire romain d’Orient. A partir du XIII° siècle la principauté ottomane de Bithynie – dont le héros éponyme, Osman, est contemporain des fondateurs des dynasties des Habsbourg et des Safavides – s’est progressivement imposée aux autres formations politiques de cette « frontière » (frontier) aux marges de l’Empire byzantin et du monde musulman. Il n’est pas certain qu’Osman ait été lui- même turc, ou entièrement turc, et ce point factuel est vite devenu un élément essentiel de polémique nationaliste entre auteurs occidentaux et historiens turcs : en 1916, H. A. Gibbons soutint qu’un Empire aussi fastueux que l’Empire ottoman ne pouvait avoir été fondé par des « Asiatiques » et qu’il était l’œuvre de chrétiens fraîchement convertis à l’islam par la tribu d’Osman, d’origine païenne et originaire d’Asie centrale ; chantre de l’historiographie nationaliste turque dans les années 1930, M. F. Köprülü fit au contraire valoir que les Ottomans étaient bien, ethniquement parlant, des Turcs et que leur Etat ne devait pas grand- chose à l’emprunt byzantin. 140 Quoi qu’il en fût, les appartenances ethniques et confessionnelles n’étaient que des lignes d’identification parmi d’autres dans ces régions de « frontière », et la principauté ottomane était d’abord une formation politique qui acquit progressivement son statut d’empire au fil de ses conquêtes en Europe balkanique (Thrace, Serbie) dès le XIV° siècle, grâce à la prise ultérieure de Constantinople en 1453, et par le truchement d’un processus de centralisation et d’autonomisation du pouvoir par rapport aux forces guerrières qui l’avaient dans un premier temps portée. Vue sous cet angle, l’histoire de la péninsule de l’Asie mineure n’est pas fondamentalement différente de celle de la péninsule ibérique à la même époque. A ceci près que l’expansion et la centralisation ottomanes n’ont pas reposé sur la purification ethnoreligieuse1. Là où les monarchies ibériques ont expulsé ou massacré juifs et musulmans, les Ottomans ont organisé les minorités religieuses, juive et chrétiennes, en communautés (bientôt dénommées millet) dotées d’une large autonomie cultuelle, économique et juridique ; ont coopté, en partie par le biais de la captivité ou de la coercition, des non musulmans dans les rouages du pouvoir, quitte à les convertir ; ont accueilli les Sépharades et même des Protestants fuyant l’Inquisition et les persécutions. L’un des ressorts de la conquête ottomane était d’ailleurs le soutien qu’elle recevait des populations orthodoxes grecques et serbes, dans les Balkans, à Chios, à Chypre, en Crète, ou protestantes, en Hongrie et en Transylvanie - populations toutes désireuses de s’émanciper du joug latin, c’est-à-dire catholique. En tant qu’Etat, le jeune Empire ottoman était très comparable à ses homologues de l’Europe moderne des XV° et XVI° siècle, dont il reprenait une bonne part des symboles de légitimité : Mehmed le Conquérant se posait en vengeur des Troyens, à l’instar des Romains de l’Antiquité, et faisait peindre son portrait par Bellini, tandis que Süleyman adoptera les regalia romains et catholiques du trône, du sceptre et de la couronne. Progressivement l’empire perdra également de sa nature « despotique » et se rapprochera du modèle oligarchique dont la puissante famille des Köprülü était une pièce centrale. A la fin du XVII° siècle il était pour ainsi dire un Etat européen parmi d’autres, n’incarnant plus vraiment une menace religieuse aux yeux de ses contemporains chrétiens, n’étant pas encore l’ « homme malade » du continent, commerçant d’abondance avec celui-ci par le truchement de Venise, et 1 S. Vryonis, Jr., The Decline of Medieval Hellenism in Asia Minor and the Process of Islamization from the Eleventh through the Fifteenth Century, Berkeley, University of California Press, 1971. 141 entretenant avec les royaumes occidentaux plus de relations humaines et économiques que ceux-ci n’en avaient avec les Amériques. L’émergence du nationalisme turc De nombreux historiens, et les Ottomans eux-mêmes, ont perçu cette trajectoire pluriséculaire comme l’histoire d’un lent déclin, quasi immédiat après le règne de Süleyman le Magnifique (1520-1566) qui incarnerait l’apogée et l’âge d’or de l’Empire. En fait ce dernier a toujours été une construction complexe, hétérogène d’une province à l’autre, et irréductible aux quelques institutions emblématiques auxquelles on l’associe habituellement. Les historiens sont désormais plutôt enclins à penser que l’Empire a été confronté, aux XVI° et XVII° siècle, à diverses crises de nature différente et qu’il a su largement y répondre de façon inventive, notamment par le biais d’une décentralisation progressive du pouvoir et par la montée en puissance de fermiers généraux, d’élites provinciales, de cités rivales d’Istanbul – autant de processus qui pèseront sur la configuration ultérieure du nationalisme et des régimes qui lui succéderont2. Comme dans le reste de l’Europe la question nationaliste s’est posée au sein de l’Empire – encore que très inégalement d’une province à l’autre, et souvent fort tardivement – dans le contexte créé par la Révolution française et l’expansionnisme napoléonien. Les indépendances latino-américaines, le réveil allemand, les conspirations romantiques, le « Printemps des peuples » en 1848 se sont inévitablement répercutés dans les provinces ottomanes balkaniques, en premier lieu sous la forme de la revendication nationale hellène, puis par enchaînements successifs, et ce jusqu’en Arménie. Encore faut-il préciser que toutes les provinces n’ont pas été concernées par ce mouvement : à la veille de la Première Guerre mondiale, et parfois jusqu’au lendemain de celle-ci, l’ « albanisme » et l’ « arabisme » (ou plus précisément le « syrianisme ») se présentaient moins sous la forme de nationalismes à proprement parler que comme des mouvements régionalistes de décentralisation, cherchant à 2 Pour de bonnes synthèses des nouvelles approches historiographiques de l’Empire ottoman, cf C. Kafadar, Between Two Worlds. The Construction of the Ottoman State, Berkeley, The University of California Press, 1995 et D. Goffman, The Ottoman Empire and Early Modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2002. 142 préempter les conséquences du retrait ottoman au fur et à mesure que celui-ci paraissait inéluctable3. (voir également infra l’étude de Béatrice Hibou sur la Tunisie) La Révolution de 1908 elle-même n’a pas été à proprement parler une mobilisation nationaliste. Ceux que l’on a malencontreusement appelés « Jeunes Turcs » en Occident étaient en réalité des libéraux constitutionnalistes, s’inscrivant dans la continuité des Jeunes Ottomans de 1876 et comprenant dans leurs rangs de nombreux Arabes, Albanais, Juifs et même, les premières années, des Arméniens et des Grecs. Le Comité Union et Progrès, loin de mettre en œuvre une politique de « turquification » de l’Empire, comme on l’en a rétrospectivement accusé, est resté fidèle à une conception supranationale de l’ottomanisme, y compris lorsque ses principaux leaders ont instauré une dictature en 1913. Simplement la perte des provinces balkaniques et la dissidence de plus en plus patente des élites arméniennes l’ont amené à voir dans l’islam un pilier essentiel de l’unité de l’empire, certains évoquant le modèle austro-hongrois pour envisager un ensemble arabo-turc dont la capitale aurait pu être Alep, à l’abri de la menace militaire étrangère. L’un des nombreux paradoxes de l’histoire du nationalisme en Turquie est que le rêve d’une citoyenneté ottomane universelle s’est heurté à l’opposition des minorités chrétiennes, hostiles à la remise en cause de l’autonomie et des privilèges du régime des millet. Quant à la caractérisation nationaliste des rébellions bédouines de 1910-1911 dans le Hedjaz, des cercles réformistes en Syrie ou de la dissidence dynastique des Hachémites en Arabie, elle constitue un grossier anachronisme. Il s’agissait plutôt de mouvements de résistance à la centralisation, notamment ferroviaire, de l’Empire, de revendications décentralisatrices, et d’une stratégie de survie de la part d’une famille oligarchique désireuse de sauvegarder sa prééminence locale à un moment où la Porte semblait incapable de défendre ses possessions en mer Rouge d’une probable attaque du Royaume uni. Les excès de la répression du Comité Union et Progrès en Syrie, en 1915-1916, et notamment ses mesures de déportation de quelque 5000 familles soupçonnées d’intelligence avec la France - symétriques à celles dont il frappait les Arméniens, mais d’une moindre ampleur et cruauté - précipitèrent le divorce entre Arabes et Ottomanistes, dans la situation dramatique de la défaite militaire. Mais jusqu’en 1921 celui-ci ne fut pas consommé, de nombreux Arabes 3 N. Clayer, Aux origines du nationalisme albanais, Paris, Karthala, uploads/Histoire/ bayart-turquie-un-nationalisme-est-europe-en-et-postimpe-rial.pdf
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- Publié le Dec 31, 2021
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