LES FUNÉRAILLES IMPÉRIALES DES HABSBOURG D'AuTRICHE, XVe- XVllle SIÈCLE Beatrix

LES FUNÉRAILLES IMPÉRIALES DES HABSBOURG D'AuTRICHE, XVe- XVllle SIÈCLE Beatrix Bast/ et Mark Hengerer L:histoire des funérailles des monarques de la maison de Habsbourg est fascinante, car elle met en exergue les solutions qu'il a fallu apporter aux problèmes posés par la tension dutable entre traditions anciennes et situa- tions singulières. À la fin du rr siècle et au xVI", les cérémonies funèbres sont l'occasion pour l'empereur de manifester, dans une conjoncture diffi- cile de conflits confessionnels, son ascendant sur la nébuleuse territoriale reconnaissant sa souveraineté. Ce modèle entre en crise au XVIr< siècle, et les funérailles impériales du siècle suivant sont le reflet d'un contexte religieux, politique et culturel différent, soulignant l'affirmation de la monarchie. Cette articulation avec les facteurs conjoncturels n'est pas la seule en jeu. Les funérailles évoluent aussi constamment au gré des nécessités de la représentation. Il faut en chercher en partie la cause dans les changements qui affectent l'ensemble du dispositif médiatique par lequel le pouvoir se donne à voir 1 • 1. Sur la dimension médiatique de la socialité à l'époque moderne: Schlogl, 2008. Sur la communication symbolique: Stollberg-Rilinger, 2004. 91 Ersch. in: Les funérailles princières en Europe, XVIe - XVIIIe siècle / Juliusz A. Chrościcki, Mark Hengerer, Gérard Sabatier ; 1. Le grand théâtre de la mort. - Versailles : Centre de Recherche du Château de Versailles [u.a.] 2012. - S. 91-116.- (Collection Aulica). - ISBN 978-2-7351-1426-9 Konstanzer Online-Publikations-System (KOPS) URL: http://nbn-resolving.de/urn:nbn:de:bsz:352-207480 92 BEATRIX BASTL ET MARK H ENGERER Les funérailles impériales au XVIe siècle: un rituel d'allégeance (1493-1612) Dans le cadre des exsequiae2, le cérémonial temporel mettait particu- lièrement en évidence, au sein du processus liturgique, un élément de la mise en scène du pouvoir: le défilé des princes et des représentants de la noblesse des états lors de l'offertoire, durant lequel ils apportaient en offrande à la chapelle ardente les symboles de leur pouvoir (bannières, armes, écu et cheval). L'exemple des funérailles de Frédéric III est une illustration de ce modèle. Les funérailles de Frédéric II/ À la mort de l'empereur à Linz, le 19 août 1493, on préleva ses entrailles et son cœur pour les ensevelir dans l'église paroissiale de la ville. Après son exposition au château, la dépouille fut portée dans l'église, où se succédèrent les offices funèbres. Afin de célébrer les obsèques, le corps fut ensuite transporté par le Danube jusqu'à Vienne, où, avec l'important concours de la Iltlblesse, du clergé et de la population, il fut conduit, à la lumière des flambeaux, jusqu'à la cathédrale Saint-Étienne. Après des messes des morts, des vigiles et des prêches, il fut inhumé le 28 août 1493 de manière provisoire; car l'on dut en effet attendre le retour de son fils alors parti repousser une offensive des Turcs en Hongrie 3. Maximilien le, revint à Vienne en novembre pour la cérémonie d'enterrement. De nombreux états (Reichsstande) de l'Empire envoyèrent des ambassades, ainsi Worms et Ratisbonne, villes libres d'Empire. Beaucoup de princes et de prélats firent le voyage; le roi de Bohême et de Hongrie, de même que la France, députèrent des représentants. Les funé- railles purent finalement se dérouler en décembre 1493. Maximilien le" soucieux de minimiser d'inévitables querelles de préséance, déclara 2. Les exsequiae au sens large comprennent l'ensemble des rites liturgiques accomplis entre la mort et l'enterrement, incluant la veillée funèbre, le cortège funéraire depuis le lieu du décès jusqu'au lieu de sépulture, les messes et la liturgie d'enterrement, Stangl, 2010 : 295-318. 3. Zelfel, 1974 : 81-90. LES FUNËRAILLES IMPÉRIALES DES H ABSBOURG D'AuTRICHE, XV'-XVllle SIÈCLE que l'ordre protocolaire des états d'Empire observé lors des cérémonies ne serait pas préjudiciable. L'inhumation n'était donc pas seulement un rassemblement de facto de plusieurs états, mais elle reprenait aussi certains éléments propres aux assemblées d'Empire. La pompe funèbre commença le 6 décembre 1493 par des vigiles; mais tous les états n'y participèrent pas, pour des raisons d'ordre protocolaire. P~~r la cérémonie d'inhumation, on avait fait confectionner et placer au mIlIeu de la nef centrale un ensemble de sièges tendus de noir et parés de cierges blancs. Au centre de l'église se dressait une chapelle ardente de plusieurs centaines de cierges, sous laquelle était placée la bière recouverte de deux poêles (l'un noir, l'autre blanc), sur lesquels avaient été déposés les insignes impériaux (la couronne, le globe, le sceptre et l'épée) ainsi que, d'après plusieurs sources, la Toison d'Or. Au second jour des célébrations, les participants se rendirent en cortège à cheval à la cathédrale Saint-Étienne, par rangs de trois et par dignité croissante. Les princes laïcs et ecclésiastiques ainsi que les envoyés prirent place sur les sièges de la nef; quarante-huit religieux en habit de deuil et portant des lanternes entouraient la chapelle ardente, tandis que, près de la bière, se tenait le héraut d'Empire. La liturgie consistait en un office funèbre (messe de requiem) et un office de la Vierge. Entre les offices, on ôta le poêle noir, on déposa les insignes sur le poêle blanc qui se trou- vait en dessous et l'on entendit l'oraison funèbre. Après l'office des morts, on remit en place le poêle noir et les insignes. Suivirent l'absolution (Libera) ainsi qu'une série de prières dont le détail n'est pas attesté avec certitude. Les dignitaires laïcs et ecclésiastiques (jusqu'aux prieurs) s'avancèrent lors de la première offrande (celle du requiem); pour la seconde (celle de l'office funèbre) , ce fut au tour des envoyés, par rang décroissant. . La seconde offrande (ad subsidium sanctae terrae) consistait en ce cérémonial, devenu célèbre, où chacun des territoires de l'Empire offrait bannière, heaume, écu et cheval en guise d'hommage. Des princes, ou du moins des chevaliers, portaient les emblèmes de leur pays; le cheval était conduit par deux d'entre eux, précédés de deux nobles portant des lanternes. Pour Frédéric III s''avancèrent - vraisemblablement dans cet ordre - les légations de la Basse-Autriche, de la Marche Windique\ 4. Territoire situé entre la Carniole et la Carinthie. 93 94 BEATRIX BASTL ET M ARK H ENGERER de Ferrette" de Pordenoné, de Kybourg7, de Burgau8, d'Alsace, du Tyrol, de Habsbourg 9, de Carniole, de Carinthie, de la Marche de Styrie, de l'Ancienne et de la Nouvelle Autriche, de Hongrie et de l'Empire. Enfin, après l'office funèbre, le héraut d'Empire ôta son tabard et le déposa sur la bière, en signe de transfert du pouvoir de l'ancien au nouvel empereur. Les objets de la liturgie funéraire demeurèrent dans l'église et furent exposés à la vue de tous. Les participants raccompagnèrent ensuite Maximilien 1 er au château \o. Les funérailles impériales au xvf siècle et leur médiatisation Il n'y eut pas, pour les obsèques de l'empereur Maximilien 1 er Ct 1519), de cérémonie où la cour pût se donner en représentation, notamment parce qu'il ne fut jamais transporté à l'endroit où il avait demandé à être inhumé 11 . Bien que Charles Quint C t 1558) fût mort en Espagne après son abdi- cation et y fût enterré, deux cérémonies de deuil, célébrées en l'absence de sa dépouille, fondèrent la tradition des funérailles des trois généra- tions suivantes. Il ne s'agissait ni plus ni moins que d'une innovation médiatique, qui, au moyen de publications somptueusement ornées de gravures, fit connaître en Europe les funérailles organisées par le fils et le frère du.défunt, Philippe II en 1558 à Bruxelles CFig. 1) et Ferdinand le, en 1559 à Augsbourg, ville libre d'Empire 12. [appareil documentaire de ces exsequiae séduisit tout particulièrement par le défilé des symboles de pouvoir: bannières, armoiries et leurs porteurs. La place centrale que tenait le cortège dans les funérailles est attestée par le fait que, dans le manuscrit des exsequiae d'Augsbourg, dessins et informa- tions se rapportent exclusivement au défilé 13 CPI. 7 et 8). 5. Pfirt, en Alsace. 6. Entre la Vénétie et le Frioul. 7. Près de Soleure, en Suisse. 8. En Souabe. 9. Canton d'Argovie en Suisse. 1.0. Zelfel, 1974 : 97· 11 5. 11. Mayr, 195.0. 12. Aurnhammer, Dauble, 198.0-1981. 13. Codex 7566, conservé à la Bibliothèque nationale d'Autriche. J ~ " § ~ ~% % 7 ~ ~~~ '" 9 fi :~~ ~~~~ .~~ I<l . ., tIj;.:j0rJj ai ü .Q) ëil ~ 05 l{) ~ aï '" ~ ;§ cl:i ·ro .§ 0 '" ~ ro cS ~ .~ ~ 'Q) c: -2 (1) 0, '(1) t: 0 () ~ Q) .D C Q) Q) 0 I N C ~ LL dl Li: 96 B EATRIX BASTL ET M ARK H ENGERER Lors de la pompe funèbre de Bruxelles, ce fut l'apparat conduit devant les marches de la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule qui fit forte impression. Il représentait, devant les colonnes d'Hercule couronnées, un vaisseau triomphal, arborant entre autres les pavillons des provinces des Pays-Bas, les armes impériales avec l'écusson autrichien, d'autres bannières encore avec des symboles chrétiens, les statues allégoriques de l'Espérance, de la Foi et de la Charité; des tableaux sur les flancs du vaisseau illustraient des scènes de victoire (Pl. 1). La chapelle ardente de Bruxelles en revanche reprenait la sobriété traditionnelle. Ce ne fut pas uploads/Histoire/ bastl-les-funeraires-imperiales.pdf

  • 35
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Nov 18, 2021
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
  • Taille du fichier 1.8732MB