QUE SAIS-JE ? L'antiquité orientale PIERRE AMIET Introduction ’Europe a toujour
QUE SAIS-JE ? L'antiquité orientale PIERRE AMIET Introduction ’Europe a toujours gardé mémoire, à travers la tradition biblique, de ses racines orientales et de ce que l’histoire humaine, avec Adam, avait dû commencer en Asie antérieure. C’est donc très logiquement que ses voyageurs érudits, puis au xixe siècle, ses archéologues, prirent la suite des pèlerins pour y chercher les témoins des lointaines origines de sa propre civilisation. Mais simultanément, elle découvrait chez elle ce qu’elle appela la Préhistoire, perçue comme la longue évolution de l’humanité archaïque, jalonnée par son outillage de pierre taillée, puis polie, puis de bronze et enfin de fer. Or la distinction entre temps préhistoriques et historiques tendit à s’estomper quand la Préhistoire apparut comme une forme en somme plus vraie de l’Histoire considérée globalement, dans la mesure où elle s’attachait à ce qui pouvait apparaître comme l’essentiel : l’environnement naturel, la nourriture et sa production, les étapes du progrès technique, par opposition à l’accessoire : l’événement individuel. Plus précisément, le grand initiateur que fut Gordon Childe montra à partir de 1925 que la classification fondée sur l’outillage correspondait en réalité au développement social lié à la maîtrise de la subsistance. Le moment décisif, « révolutionnaire » même, de toute l’histoire humaine, était selon lui celui de la naissance de l’agriculture, observable pour commencer au Proche-Orient. Elle avait dû susciter la sédentarisation dans des villages, puis la découverte des métaux, et enfin l’urbanisation présentée comme une seconde « révolution ». Dans son Orient préhistorique (1935, puis 1951), Childe montrait que cette dernière avait conditionné l’essor ultérieur des grandes civilisations historiques d’Égypte, de Sumer et (en marge de l’histoire), de l’Indus. Ce processus conçu forcément alors de façon en partie théorique, selon des vues influencées par le marxisme, était solidaire de l’hypothèse d’une diffusion depuis l’Orient vers l’Europe des acquis de ces deux « révolutions » dont la première, néolithique, n’était comparable en somme par son importance décisive, qu’à la « révolution industrielle » de qui elle recevait son appellation, considérée d’ailleurs comme conventionnelle. Bien que schématiques, ces vues se sont largement imposées comme un modèle universel, tout en suscitant une vive controverse au sujet de la diffusion depuis le L foyer initial et supposé unique du Proche et Moyen-Orient. Une compétition assez vaine naquit même, pour montrer que l’Europe préhistorique avait non seulement élaboré sa propre révolution néolithique, mais en outre avait réalisé des prouesses techniques telles que la construction des dolmens bien avant l’érection des pyramides d’Égypte (C. Renfrew). C’était tenir pour négligeable le développement spécifique des premières civilisations historiques, et ce qu’il faut bien appeler leur supériorité. D’autre part, le comparatisme anthropologique d’un Marshall Sahlins répandit l’idée séduisante selon laquelle les temps paléolithiques, époque des chasseurs-cueilleurs et « âge de la pierre » par excellence, avaient correspondu à un « âge d’abondance » dont la mémoire aurait été gardée dans le thème supposé universel de l’Eden ou Paradis biblique, qu’ignorent cependant toutes les littératures orientales prébibliques. Selon cette hypothèse, tout se serait joué en somme pour l’essentiel, dans l’histoire humaine, depuis l’apparition de l’Homo sapiens sapiens identifié à l’Adam biblique, jusqu’à la « Révolution néolithique ». Le récit biblique de la Création aurait condensé le souvenir des étapes de cette histoire décisive. Du coup, la plus ancienne histoire événementielle, telle qu’elle a pu être reconstituée en Égypte et en Mésopotamie, risquait de perdre beaucoup de son intérêt, avec sa suite en somme dérisoire de règnes plus ou moins conformes au modèle du « despotisme asiatique » de Marx. On pouvait se demander si les faits vraiment importants ne seraient pas survenus auparavant ou en marge de cette histoire traditionnelle : lors de la Révolution néolithique prolongée à l’époque chalcolithique. Gordon Childe apparaît aussi comme le prophète de cette attitude, lui qui dans un de ses derniers écrits voulait « tirer des vestiges archéologiques quelque chose qui fût, pour les temps précédant l’écriture, le substitut de l’histoire traditionnelle politico-militaire, les cultures y tenant la place des hommes d’État » (Antiquity, 1958). Il n’est pas contestable que cette démarche ait été féconde ; cependant, ses acquis ne sauraient dissimuler le fait d’importance majeure que dans toute l’histoire humaine, l’Antiquité orientale revêt une importance unique et décisive, autant que l’Antiquité classique qu’elle a précédée et largement préparée. Il en est ainsi du fait du développement et donc du progrès global : technique certes, mais aussi et surtout intellectuel, donc notamment religieux et moral, dont cette Antiquité illustre les étapes. Des mutations, des ruptures ou « crises » rythment ce développement dans une continuité dont l’enchaînement constitue le propre de l’Histoire. Cela est vrai non seulement des plus anciennes expériences relatives à la « Révolution néolithique », conçue plutôt comme un processus évolutif, mais encore et surtout des développements ultérieurs des plus anciennes civilisations historiques, dans leur riche diversité. L’Égypte en fait partie, bien que par convention, nous ne puissions en tenir compte ici que par allusion. Sa civilisation a interféré avec celles de l’Orient unifié finalement par les Perses, après avoir été longuement une mosaïque riche de sa complexité et théâtre de multiples expériences parallèles ou convergentes. Cette diversité même rend aléatoires les modèles trop uniformes que suggère le comparatisme anthropologique rapprochant des cas sociologiques abusivement considérés souvent comme similaires. Car précisément, l’Antiquité orientale nous a transmis le plus ancien corpus littéraire connu, doublé d’un corpus iconographique exprimant l’un et l’autre le développement des traditions culturelles les plus proches qui soient effectivement des « origines » préhistoriques que prétend atteindre le comparatisme. En particulier, l’absence en Orient et en Egypte du thème du Paradis, en dehors de la tradition biblique, confirme à la fois l’originalité de cette dernière et la prudence avec laquelle il importe de considérer le comparatisme, tout en sachant s’y référer à bon escient. Il révèle en effet des types d’interprétation que l’on ne saurait négliger, l’essentiel étant de vérifier si une transposition est recevable. En Orient, littérature et iconographie ne sont que des aspects de civilisations dont l’histoire illustre le développement complexe, comprenant aussi le progrès technique, tout en le dépassant largement, de sorte qu’il ne saurait servir de référence majeure. Dans ces conditions, la classification des périodes historiques alignée sur la préhistoire européenne, en référence aux étapes du progrès métallurgique est fâcheuse et inadéquate, même à propos de régions du Proche-Orient dont l’histoire nous échappe plus ou moins largement. Elle ne peut être considérée que comme une pure convention. Le développement des sociétés qui ont pris leur personnalité historique à l’époque des premières cités proprement dites a interféré par la suite avec celui des sociétés nomades, de statut d’ailleurs fort divers, et qui en se sédentarisant en ont élaboré les acquis selon leur génie propre. Ce sont les étapes de ce développement social, technique, intellectuel, que l’on peut suivre pour la première fois en Orient seulement, et que nous voudrions esquisser ici. Elles diffèrent d’un secteur géographique à l’autre, nonobstant des interférences constantes, au sein de la vaste communauté que constitue le monde oriental antique, de la Méditerranée à l’Inde. La définition de ces étapes en termes simples est difficile, du fait même de la complexité des faits et des incertitudes qui subsistent. C’est donc à une histoire en cours d’élaboration que nous voudrions présenter une introduction. Note sur la transcription des mots antiques : En dehors de noms tels que Babylone ou Darius, dont la transcription est traditionnelle, nous avons adopté la transcription conventionnelle qui a cours dans les langues utilisant l’alphabet latin, afin d’éviter une diversité fâcheuse d’une publication à l’autre. La lettre u transcrit donc toujours le français ou, et sh correspond au français ch. Chapitre I La découverte archéologique de l’antiquité orientale ’Europe chrétienne et humaniste de la Renaissance, puis du classicisme, a été la première, et longtemps la seule à s’intéresser aux racines orientales de sa civilisation, en même temps qu’à l’Antiquité grecque et romaine. Sa démarche fut d’abord le fait d’érudits, essentiellement linguistes, et à cet égard, la création en 1530 des chaires d’hébreu et d’arabe confiées à Guillaume Postel au Collège royal de François Ier, l’actuel Collège de France, constitue un repère majeur. La connaissance approfondie des langues que nous appelons sémitiques, directement accessibles, allait être décisive dans la découverte des langues oubliées et de leurs écritures, révélées par les inscriptions rapportées ou copiées par les voyageurs. C’est ainsi que le phénicien fut déchiffré grâce à la traduction grecque portée sur le cippe bilingue rapporté de l’île de Malte, dès le milieu du xviiie siècle, à la fois par Swinton à Oxford et Bathélemy à Paris. Les inscriptions portées par les briques de Babylone et qui furent appelées cunéiformes, avec leurs signes « en forme de clous » bien plus nombreux que ceux de l’alphabet, ne purent être maîtrisées que bien plus tard, grâce aux textes trilingues copiés en Perse, sur les imposants monuments de Persépolis notamment, que des dessins avaient commencé à faire connaître depuis le xviie siècle. Il fallut au préalable qu’Anquetil Duperon allât en Inde auprès des Zoroastriens émigrés de Perse, pour traduire uploads/Histoire/ amiet-l-x27-antiquite-orientale-amiet-pierre.pdf
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- Publié le Apv 03, 2021
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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