NOTE SUR LE TITRE SEIGNEURIAL, EN FRANCE, AU XIe SIÈCLE Courants dans le haut M

NOTE SUR LE TITRE SEIGNEURIAL, EN FRANCE, AU XIe SIÈCLE Courants dans le haut Moyen Âge où ils désignaient divers types de pouvoirs, les mots de dominus et senior n'étaient pas employés dans les titulatures. Ils le furent en revanche, en France, aux abords de l'an mil. On connaît par exemple un « Gelduinus senior de Salvo Muro» (Saumur) entre 982 et 1011 ', un «Humbaldus Virsionis dominus » en 10072, un « Petrus Dei dementia dominus » du châ- teau de Didonne, entre 1040 et 1047 au pays charentais. De ce der- nier, le fils fut dit princeps de Didonne vers 1075, le petit fils senior, en 1098 ' — ce qui suggère une véritable permutabilité entre ces trois termes. Dans le dernier quart du XI e siècle, le titre seigneurial était ainsi devenu fréquent dans les actes. Le titre ou, du moins la mention de seigneurs châtelains en tant que tels... Car était-ce davantage qu'une simple constatation ? Quelle valeur consécratrice avait-elle exactement ? C'est toujours à raison d'un château que dominus suivait le nom de quelqu'un, de sorte que l'histoire de ces mentions se confond avec celle de la seigneurie châtelaine4, aux yeux de beaucoup d'histo- riens récents. Leur récit-modèle de la « mutation féodale » de l'an mil est axé autour de celle-ci, qui passe en outre pour la seule forme de seigneurie digne de ce nom, ou plutôt de l'opprobre qu'ils lui infligent ! Ceux-ci assimilent en outre, à la diffère font le cœur d'une 1. BN, N.A.F. 1930, fol. 128 R° (donation d'un serf). 2. GUY DEVAILLY, éd. Le cartulaire de Vierzon, Paris, 1963, n° 30 (1007). 3. ANDRÉ DEBORD, La société laïque dans les pays de la Charente, x'-xir s., Paris, 1984, p. 529-530. Sur « Dei dementia », cf. infra, note 76. 4. Le mot semble préférable à celui de «seigneurie banale», acclimaté par la thèse de Georges Duby (cf. infra , note 6). En effet, son modèle a trop désossé la villa , le « petit domaine », en les privant de leur ban. 132 D. BARTHELEMY argumentation sur la « mutation féodale » de l'an mil....N'y a-t-il pas cependant toute une critique à faire de leurs commentaires sur domi- nus, senior ou princeps ? Rappelons ici, tout comme en une note pré- cédente \ que les concepts historiques (de chevalerie, de seigneurie, etc..) ne devraient pas être confondus avec le lexique des sources : il y eut des domini que les historiens n'appellent pas nécessairement des seigneurs , et ceux de la vieille école (1830-1960 environ) n'hé- sitaient pas à qualifier de seigneurs les comtes à partir de 877. Le lecteur trouvera ici, à tout le moins, quelques références et sug- gestions sur des questions plus ponctuelles : la relation entre les trois termes clefs {dominus, senior et princeps), les usages de castellanus et de miles castri, la connotation de possessor castri... Autant d'en- quêtes à poursuivre dans l'avenir, car on s'est ici concentré sur les pays de France moyenne, et notamment du Centre-Ouest, dans les- quels les rédacteurs d'actes étaient assez inventifs et avaient le goût de la variante. Du Cange marque parfaitement la diversité des dénotations de castellanus : habitant d'un château, seigneur de celui-ci, ou officier du seigneur, chargé de la garde (custos castri). Cela faisait une gamme d'emplois plus large que celle du « châtelain » (seigneur châtelain) des historiens du Maçonnais, du Poitou ou de la Catalogne6. Il dresse aussi une liste d'usages de l'expression prin- ceps castri, qui se rencontrait en toutes régions, mais pas partout avec la même densité. Arthur Giry, en son Manuel de Diplomatique (1894), indique d'autres pistes. Il veut faire servir l'étude des « titres et qualités des personnes » à la datation et à l'authentification des actes. Il croit à l'équivalence entre miles castri et dominus castri1, il note que même des seigneurs de second ordre se dirent Dei gratia \ et il signale que 5. DOMINIQUE BARTHÉLÉMY, « Note sur le " titre chevaleresque ", en France au xf siècle », dans Journal des Savants, 1994, p. 101-134. Appuyé sur MARC BLOCH, Apologie pour l'histoire ou Métier d'historien, 2e éd., Paris, 1974, p. 132-140. 6. GEORGES DUBY, La société aux XF et xii" siècles dans la région mâconnaise, 2e éd., Paris, 1971 ; MARCEL GARAUD, Les Châtelains de Poitou et Γ avènement du régime féodal, Poitiers, 1967 (Mémoires de la Soc. des Antiquaires de l'Ouest, 4" série, t. VIII, 1964) ; PIERRE BONNASSIE, La Catalogne du milieu du r à la fin du xr siècle, 2 vol., Toulouse, 1974 et 1975 (Publications de l'Université de Toulouse-Le Mirail. 23 et 29). 7. ARTHUR GIRY, Manuel de diplomatique, Paris, 1894, p. 330. 8. Ib., p. 325 (mais il ne cite que des ducs et comtes). NOTE SUR LE TITRE SEIGNEURIAL, EN FRANCE, AU XIe SIÈCLE 133 9 princeps castri, fréquent au xf siècle, se raréfia ensuite . Les com- tores occitans le retiennent un instant. Aujourd'hui, les historiens savent et veulent un peu davantage. Ils savent sans doute mieux identifier les personnes, et ne prennent pas tout miles castri pour le seigneur du château, pour un membre de sa famille... ou pour un des nombreux bâtards que la vieille école se plaisait à lui prêter ! Mais ne courent-ils pas le risque de surinterpré- ter, lorsqu'ils tirent des conclusions importantes de certaines nuances et de certains délais d'apparition du seigneur châtelain en tant que tel ? Ainsi Olivier Guillot dans l'Anjou d'avant 1060l0. D'autres, à l'instar de Pierre Bonnassie, voient l'indice d'une dérive soudaine de l'exercice du pouvoir" dans l'apparition des mots de dominus ou senior, puisque ceux-ci n'avaient pas appartenu à la liste des « titres publics » carolingiens, à la différence de cornes, de vicecomes, ou de vassus dominicas. De ce fait, ils donnent à dominus une connotation négative (privée, tyrannique) dont on peut se demander si les hommes du xf siècle la ressentaient vraiment. Conservent-ils, enfin, la prudence qu'imposerait une documentation discontinue, partiale et aléatoire ? Le travail historique est fait d'une série de va-et-vient : ainsi entre l'étude des contextes et celle des mots ou, dans l'une comme dans l'autre, entre l'établissement des faits et le commentaire plus théo- rique qui les lie entre eux et qui, seul, leur confère de l'intérêt et de la résonnance. Notre présentation ici donne une idée de cette démarche en spirale : elle part des faits de contexte, tels qu'on les établit aujourd'hui (premier point), et enchaîne sur des questions de dénotation (deuxième point : de fait, qui désignaient les termes de castellanus ou de miles castri ?) ; ensuite, une fois les seigneurs de châteaux bien identifiés, on s'attaque aux connotations décelables dans leurs titres, ou plutôt dans les diverses expressions qui servaient à les désigner (troisième point). Mais il en découle des remarques 9. Ib., p. 325-326 (cf. note 8, p. 325 : le seigneur de Mirebeau, 1079-1107). 10. OLIVIER GUILLOT, Le Comte d'Anjou et son entourage au xr siècle, 2 vol., Paris, 1972, tome I, p. 291-352 et p. 456-468 ; bonne critique dans ANDRÉ DEBORD, La Société laïque... p. 155-157. 11. PIERRE BONNASSIE, La Catalogne..., II, p. 581 : le passage de vicarius à senior correspondrait à un changement de climat social ; dans le principe, Pierre Bonnassie a le droit d'argumenter ainsi, puisqu'il ne s'en tient pas aux seuls mots ; reste que la dégradation des rapports sociaux ne nous semble par ailleurs pas si évidente. 134 D. BARTHELEMY importantes pour l'histoire de la seigneurie châtelaine évoquée en commençant : en épurant la théorie, on rectifie ou plutôt on diversi- fie les liaisons des faits... I. — La seigneurie châtelaine Commençons donc par l'approche d'un phénomène historique : le dominium castri, c'est-à-dire le pouvoir et la pression sociale de « ceux du château » sur le pays d'alentour12, en France dans les Xe, XIe et XIIe siècles. En parlant d'emblée de « seigneurie », nous n'introdui- sons pas nécessairement une présupposition ; nous utilisons un concept historique (un assemblage de traits pertinents, par généralisa- tion empirique). L'existence et l'attestation du titre seigneurial n'est pas le seul de ces traits que nous réunissons dans celui de seigneurie châtelaine. S'il y a une différence nette entre le temps des grands Carolingiens et l'époque dite « féodale », c'est bien la place que tin- rent dans la seconde les fortifications. Dès les années 860, elles se multipliaient : les remparts des cités, les fertés et les haies s'élevè- rent dans le temps des raids normands et des guerres civiles. Les principautés qui se dessinèrent entre 880 et 900 étaient des réseaux de cités et de châteaux ; autant de hauts lieux de la vie chevaleresque des X e et XIe siècles13, dont les comtes, vicomtes ou domini étaient les gouvernants. Il y eut plusieurs générations de châteaux ; on en construisit tout au long de ces deux siècles, et au-delà. La documen- tation ne nous en fournit pas une chronologie ultra-précise : avant 1050, nous ne suivons guère uploads/Histoire/ alma-1996-54-131.pdf

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  • Publié le Fev 20, 2021
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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