« L’ARME DE LA LIBERTÉ » : USAGE ET ENJEUX DE LA PIQUE RÉVOLUTIONNAIRE Renaud F
« L’ARME DE LA LIBERTÉ » : USAGE ET ENJEUX DE LA PIQUE RÉVOLUTIONNAIRE Renaud Faget Armand Colin | « Annales historiques de la Révolution française » 2018/3 n° 393 | pages 11 à 33 ISSN 0003-4436 ISBN 9782200931575 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-annales-historiques-de-la-revolution- francaise-2018-3-page-11.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin. © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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La valo- risation de cette arme est certes une réponse aux difficultés maté- rielles de l’armée de la Révolution, mais, plus encore, elle conforte le « système populaire » qui se forge alors. La décision de 1792 est également la consécration d’un symbole fort de la sans-culotterie. Ainsi la pique devient le support d’un combat politique pour l’égalité entre citoyens actifs et passifs. Cependant l’épreuve du feu est fatale à cette expérience qui s’achève en Vendée. Mots-clés : pique, doctrine tactique, symboles révolutionnaires, citoyenneté L’histoire de la pique révolutionnaire est l’histoire d’une renaissance. Cette arme d’hast n’équipe plus les fantassins français depuis une ordon- nance de 1703, mais elle ressurgit pendant la Révolution française, dans la sphère civile dès 1789 et dans l’armée en 1792. Son retour en grâce est la manifestation matérielle d’une révolution militaire, d’un retour cyclique aux sources de la guerre moderne. Pour autant, cette renaissance fut de courte durée : l’usage militaire de la pique n’a pas survécu à la Révolution. En 1792, la pique est officiellement réintroduite dans l’armée dans un contexte de difficultés militaires aiguës. Les levées massives doivent permettre de repousser l’ennemi extérieur et de tenir en respect l’ennemi intérieur. Mais le problème de l’armement subsiste : il grève véritablement les efforts de l’armée en 1792 et surtout en 1793. Pour résoudre le problème de l’équipement militaire, des voix s’élèvent pour proposer une solution ANNALES HISTORIQUES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE - 2018 - N° 3 [11-33] © Armand Colin | Téléchargé le 13/10/2020 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116) © Armand Colin | Téléchargé le 13/10/2020 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116) 12 RENAUD FAGET apparemment originale : pourquoi ne pas armer le soldat d’une pique, dont le coût de revient est faible1, et qui, de surcroît, est facile à maîtriser ? Cet épisode militaire des années 1792-1793 n’a pas particulièrement retenu l’attention de l’historiographie2 pour qui la réintroduction de la pique est un pis-aller, une réponse aux difficultés matérielles que vit l’armée française. L’importance de la baïonnette dans l’armée révolutionnaire, démontrée par John Lynn3, semble occulter le rôle de la pique. Pourtant cette arme – son utilisation et sa signification doctrinale et politique – ouvre un riche champ problématique. Quelle valeur les révolutionnaires ont-ils donnée à cette arme archaïque? La question de la valeur de l’armement n’est pas un simple problème tactique ou « technique », car les doctrines tactiques procèdent d’un choix dont la signification profonde est politique. Nous nous interrogeronsdonc sur le rôle de l’arme dans le débat sur l’organisation de la force armée et sa fonction dans la symbolique révolutionnaire. Par ailleurs, la pique révolutionnaire pose un certain nombre de problèmes factuels. En quoi se distingue-t-elle de ses devancières ? Quelles sont les unités armées de piques et à quels combats ont-elles participé ? L’ultime question est d’ordre chronologique. On peut dater avec certitude la renaissance de la pique au décret du 1er août 1792, qui a force de loi le 3 août4, et à la décision ministérielle du 27 août 1792 – qui s’appuie sur les recommandations de la Commission militaire. En revanche, sa seconde mort reste encore (1) La pique coûterait entre trois et quatre livres. (2) Sur les aspects proprement matériels et militaires, François Bonnefoy arrête son étude à la Révolution (François BONNEFOY, Les armes portatives en France, du début du règne de Louis XIV à la veille de la Révolution, 1660-1789, Paris, Librairie de l’Inde éditeur, 2 tomes, 1991) et l’ouvrage collectif publié par le CTHS en 2004 comporte une communication sur le fusil, mais n’aborde pas la question de la pique (Jean-Paul ROTHIOT (dir.), L’effort de guerre – Approvisionnement, mobilisation matérielle et armement, Paris, Éditions du CTHS, 2004). Il faut donc s’appuyer sur Étienne BARDIN, Dictionnaire de l’armée de terre, Corréard, 1841-1850, vol. 14, p. 4422 et sq. Concernant le rôle de Carnot : Jean-Pierre CHARNAY, « Terreur et romantisme stratégique » dans Jean-Pierre CHARNAY (dir.), Lazare Carnot ou le savant-citoyen, actes du colloque tenu en Sorbonne les 25, 26, 27, 28 et 29 janvier 1988, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1990, p. 341 et sq. Voir également : Marcel REINHARD, Le Grand Carnot, Paris, Hachette, 1952, qui est amené à examiner la pique de 1792. Les dimensions symboliques et politiques de la pique ont davantage retenu l’attention des historiens (cf infra.) (3) John LYNN, The Bayonets of the Republic : Motivation and Tactics in the Army of the Revolutionary France, Chicago, University of Illinois Press, 1984. (4) Jean-Baptiste DUVERGIER, La collection complète des lois, décrets, ordonnances, règle- ments et avis du Conseil d’État, publiée sur les éditions officielles du Louvre ; de l’Imprimerie nationale, par Baudoin ; et du Bulletin des lois – De 1788 à 1824 inclusivement, Paris, Guyot et Scribe, 1824, t. 4, p. 330. Voir également : Archives parlementaires de 1787 à 1860, recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres françaises imprimé par l’ordre du Sénat et de la chambre des députés (AP), t. 47, séance du 1er août 1792, p. 366. Le procès-verbal de la séance du 1er est adopté le 3 par l’Assemblée. C’est pourquoi on trouve également l’expression « loi du 3 août » pour désigner cette décision. © Armand Colin | Téléchargé le 13/10/2020 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116) © Armand Colin | Téléchargé le 13/10/2020 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116) « L’ARME DE LA LIBERTÉ » : USAGE ET ENJEUX DE LA PIQUE RÉVOLUTIONNAIRE 13 indéterminée, dans la mesure où elle n’a pas été formellement décrétée. Nous proposerons donc une datation, en nous appuyant sur l’histoire des bataillons de piquiers que nous nous sommes attachés à retrouver. Une doctrine tactique : l’usage théorique de la pique Le discours tactique est à la croisée des chemins : c’est un guide technique, mais également une pétition d’intention qui manifeste une représentation, parmi d’autres, de la guerre. Ainsi, la valorisation particu- lière d’une arme procède d’une réflexion sur l’efficacité militaire que les révolutionnaires mènent dès 1792. La doctrine révolutionnaire de la pique La doctrine de la pique s’appuie sur des textes élaborés pendant l’été 1792. Il s’agit, d’une part, de la circulaire du ministre de la Guerre Servan datée du 27 août 1792. Il faut joindre à ce texte administratif les interventions à l’Assemblée de Carnot – dont le célèbre discours du 25 juillet, dit « discours des trois cent mille piques »5. Ces harangues parlementaires ont motivé, formellement, l’équipement de fantassins en piques. Elles ont, de plus, été « décrétées comme instruction » servant aux troupes. Leur portée théorique est donc décisive. Les textes prescrivent un usage offensif et défensif de la pique. En offensive, les bataillons forment une colonne, et progressent vers l’ennemi la pique à l’horizontale. Le « choc », terme militaire désignant la rencontre brutale entre deux unités, doit provoquer la dispersion de l’adversaire. Le ministre Servan admet qu’à l’issue de la rencontre l’ennemi n’éprouvera pas beaucoup de pertes. Mais Bélair, l’un des inspirateurs révolutionnaires de la doctrine, rappelle à juste titre que l’objectif d’un combat n’est pas la destruction de l’adversaire, mais sa déroute6. En défensive, le bataillon doit se former en carré et se « fraiser » – c’est-à-dire se hérisser de ses piques. Cette formation interdit en principe toute approche de la cavalerie. Le cas de la défense contre une autre unité d’infanterie n’est pas même traité puisqu’en 1792 la préoccupation majeure des politiques et des militaires est la redoutable cavalerie coalisée. De plus (5) AP, uploads/Histoire/ ahrf-393-0011.pdf
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- Publié le Fev 23, 2022
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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