Mélanges offerts à Joudia Hassar Benslimane Académie du Royaume du Maroc Coordi
Mélanges offerts à Joudia Hassar Benslimane Académie du Royaume du Maroc Coordination Elarbi Erbati et François-Xavier Fauvelle SIJILMÂSA, Porte de l’Afrique Patrimoine en partage, site en péril Introduction Muraille de Sijilmâsa, telle qu’elle se présente aujourd’hui vue depuis le nord. Cette muraille a été datée du 13e siècle [6e siècle de l’Hégire]. Cliché : Mission maroco-française, 2014. 5 Sijilmâsa, Porte de l’Afrique Patrimoine en partage, site en péril I I Pendant sept siècles, du 8e au 15e siècle de l’ère commune (du 2e au 8e siècle de l’hégire), les grands marchands du monde musulman, venus de tout le Maghreb, voire d’Égypte, d’Irak ou de Perse, avaient l’habitude de se retrouver à Sijilmâsa, dans le sud-est du Maroc actuel, en bordure du désert. Ils apportaient les marchandises destinées à la traversée du Sahara : les barres de cuivre ou d’argent, les sacs de cauris (des coquillages récoltés dans l’océan Indien), de la vaisselle luxueuse en céramique ou en cuivre, des bijoux, des tissus fabriquées dans les pays chrétiens ou musulmans, des livres, de l’équipement domestique tel que des couvertures, des lampes à huile. À Sijilmâsa, chacun de ces marchands s’installait pour plusieurs mois. Il faisait engraisser les dromadaires, achetait des provisions de dattes et d’autres nourritures pour la route, prenait toutes les dispositions financières nécessaires auprès des maisons de change musulmanes et juives de la ville. Il se munissait de lettres de recommandation pour son séjour de plusieurs mois au Bilâd al-Sûdân, le « Pays des Noirs ». Il embauchait des accompagnateurs et des gardes armés. Le jour venu, la caravane, formée de centaines, peut-être de milliers de dromadaires, se mettait en chemin en direction du sud, pour un voyage de soixante jours. Aux 11e et 12 siècles (aux 4e et 5e siècles de l’hégire), la destination était le royaume du Ghâna, dans le sud-est de la Mauritanie actuelle. Au 14e siècle (7e siècle de l’hégire), elle était le royaume Introduction Elarbi Erbati et François-Xavier Fauvelle du Mâli, au Mali actuel. Leur séjour dans la capitale de ces royaumes durait plusieurs mois. Et puis la caravane se mettait à nouveau en route, cette fois en direction du nord, emportant avec elle des esclaves, de l’or, de la noix de kola. Souvent des marchands où des pèlerins musulmans ouest-africains profitaient de la caravane annuelle pour faire la route jusqu’au Maroc. Pendant plusieurs siècles, Sijilmâsa fut ainsi un carrefour entre la région du Sahel et celle du Maghreb. Son déclin survient vers le 15e siècle (8e siècle de l’hégire), causé par le déplacement du grand axe transsaharien, qui relie désormais Vue de Rissani depuis la « zone archéologique » de Sijilmâsa. Cliché : Romain Mensan, mission maroco-française à Sijilmâsa, 2012. 7 Sijilmâsa, Porte de l’Afrique Patrimoine en partage, site en péril I I le Touat et Tombouctou. Mais si la ville médiévale de Sijilmâsa tombe alors en ruines, l’oasis du Tafilalet connaît un renouveau politique au 17e siècle (au 11e siècle de l’hégire) sous l’impulsion des princes de la dynastie alaouites. Ceux-ci ravivent la mémoire du site, réhabilitent une partie des murailles, reconstruisent des ksours et établissent des mausolées. D’origine diverse (arabe, berbère, ouest-africaine), la population elle-même conserve des souvenirs fragmentés du passé glorieux de la ville. Vestiges matériels et fragments de mémoire : voilà bien dans quel état se présente aujourd’hui Sijilmâsa, dans les faubourgs de Rissani, chef-lieu de la région du Tafilalet. Des fouilles archéologiques et des enquêtes y prennent place depuis plusieurs décennies. Mais retrouver ces passés enfouis se heurte à plusieurs défis, en particulier ceux de la destruction des vestiges et de l’indifférence. Ce livre voudrait rappeler que la connaissance et la préservation des vestiges est nécessaire à la construction d’un patrimoine commun pour aujourd’hui et pour demain. Il vise à faire revivre non pas seulement le passé, mais les passés de Sijilmâsa. Ces passés qui appartiennent aux Filali (les habitants du Tafilalet), aux Marocains, et plus largement aux citoyens du monde qui se reconnaissent dans cette histoire cosmopolite où se croisent les routes, les marchandises, les religions, les langues, les origines ethniques. Vue générale du site de Sijilmâsa. Le site est un promontoire archéologique où se mêlent des murs encore en élévation et des sortes de grands cratères, qui sont des vestiges d’habitation. Cliché : Elarbi Erbati, mission archéologique maroco-française, 2012. 9 Sijilmâsa, Porte de l’Afrique Patrimoine en partage, site en péril I I Fragments de plusieurs flacons en verre de Sijilmâsa. Le site livre d’abondants fragments de verre et de céramique, très rarement des objets intacts. Il faut donc un patient travail de restauration pour les reconstituer. 11 Sijilmâsa, Porte de l’Afrique Patrimoine en partage, site en péril I I Sijilmâsa et le commerce avec le Bilâd al-Sûdân Une palmeraie contre le désert. La palmeraie du Tafilalet, moins densément habitée et bien entretenue qu’au cours des siècles passés, est aujourd’hui grignotée par le désert. Cliché : Romain Mensan, mission maroco-française. 13 Sijilmâsa, Porte de l’Afrique Patrimoine en partage, site en péril I I Ô voyageur pourfendant les déserts et les solitudes Mets-toi en route à pas forcés de jour comme de nuit Emporte, que Dieu te garde, de ma part vers cet asile Dirige-toi vers les demeures de la tribu de Sijilmâsa Salue ces tentes et leurs résidents L’affection que j’ai pour eux transit tous mes membres C’est là la patrie de la religion, du bien, de l’orthodoxie Ils forment un peuple dont la compagnie prévient de la misère ∴ tu es bien guidé et embrassera un salut qui jamais ne lèse ∴ car tu y trouveras les astres brillants qui se lèvent ∴ la bénédiction de celui dont sa renommée a agité la concupiscence ∴ ces foyers agrègent à la fois la gloire et la puissance ∴ comme un ami qui ne saurait être éloigné d’eux ∴ imprégnant mes os, mon sang et mes cheveux ∴ combien de ceux qui sont montés dans son ciel sont des astres pleins ∴ parmi eux les massifs de fleurs s’ouvrent et diffusent leurs parfums Sijilmâsa et le commerce avec le Bilâd al-Sûdân d’après les textes arabes (8e-14e siècle) (2e-7e siècle de l’Hégire) Hadrien Collet De nombreux mausolées de soufis ou de shérifs se dressent aux alentours des ruines de Sijilmâsa. Ils ont été érigés au cours des siècles postérieurs à la ruine de la cité médiévale. Aquarelle : Christian Darles, mission maroco-française. Cette pièce de poésie, composée en l’honneur de la venue à Sijilmâsa du premier prince du Tafilalet Moulay Alî al-Shârif (1588-1659) (997-1069 de l’Hégire), est rapportée par le chroniqueur marocain al-Ifrânî (1670-1747) (1080-1156 de l’Hégire). Elle illustre les deux spécificités de la ville à l’époque moderne. Elle est d’une part, depuis le Moyen Âge, une base arrière à partir de laquelle sont lancées les tentatives de conquête du royaume marocain ; elle s’impose, d’autre part, comme un centre de sainteté grâce aux grands mystiques soufis qui la prennent pour demeure. Sijilmâsa a su conserver une renommée qui lui vient de la période médiévale où elle compta assez tôt parmi les villes les plus importantes de l’Afrique du Nord, entre les rives de la mer Méditerranée et les premières immensités du désert, en tant que centre économique de premier plan. 15 Sijilmâsa, Porte de l’Afrique Patrimoine en partage, site en péril I I Coincé entre le désert du Sahara et les montagnes du Haut Atlas, situé sur une terre déjà aride mais irriguée par des oueds généreux permettant le miracle oasien, le site offre l’isolement géographique et l’autonomie parfaits aux Banû Midrâr, des Berbères musulmans d’obédience kharidjite sufrite, qui établissent la ville de Sijilmâsa et en font la capitale d’un émirat en 757-58 (140 de l’Hégire). C’est sous le règne d’al-Yasa’ (790-823) (174-208 de l’Hégire) que la ville se dote de remparts, d’un palais, d’une grande mosquée et de bains publics. Dès cette époque, Sijilmâsa devient l’un des principaux ports caravaniers à partir duquel s’organise la traversée du Sahara vers le Bilâd al-Sûdân ou « Pays des Noirs », très tôt connu dans la science géographique arabo-musulmane comme le pays de l’or. L ’itinéraire saharien relie alors Sijilmâsa à la ville d’Awdaghust, cité-État elle-même oasienne qui attend les voyageurs au Sahel occidental à leur sortie du désert. Le voyageur Ibn Hawqal, qui visite la ville en 951 (340 de l’Hégire) et voyage le long de la route de Sijilmâsa à Awdaghust, décrit l’incroyable prospérité de la ville et les grandes richesses accumulées grâce au commerce transsaharien. Il précise notamment avoir vu à Awdaghust un acte signé (șakk) ayant valeur de lettre de change d’un montant de 42 000 dinars payable à Sijilmâsa. Ce qui montre à la fois la richesse de la ville, dont les maisons de commerce possédaient une trésorerie importante, et le haut degré de sophistication de ce négoce. De sa fondation à 1053-1054 (445 de l’Hégire), la ville connaît différents maîtres politiques, mais s’impose comme le centre économique où l’on peut se procurer l’or rapporté du Bilâd al-Sûdân par les marchands. C’est dans ses ateliers notamment que sont frappés les dinars d’or du Maghreb. L uploads/Histoire/ academie-royale-du-maroc-sijilmasa.pdf
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- Publié le Apv 02, 2021
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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