À l’origine de l’histoire de la langue française : 1802-1841 Jacques-Philippe S
À l’origine de l’histoire de la langue française : 1802-1841 Jacques-Philippe Saint-Gerand1 Ex-UCA, Maison Mazeron, Le Bourg, 63380 Miremont Résumé : Les débuts de l’histoire de la langue française, à la fin du XVIIIe et dans la première moitié du XIXe siècle, se confondent avec la naissance d’une philologie qui se démarque du modèle allemand en cours d’élaboration. Tandis que celui-ci promeut une recherche fondée sur les acquis de la grammaire historique et comparée, la philologie française se veut une quête des origines de la littérature française. Ses chercheurs mettront presque un demi-siècle à s’affranchir du primat du français dont témoignent les textes littéraires du passé, notamment du moyen-âge, et à fonder leurs travaux sur la connaissance de la grammaire historique de la langue française. D’où cet antagonisme permanent jusqu’à nos jours entre histoire externe et histoire interne de la langue qui recouvre la distinction de l’histoire de la langue (majoritairement externe) et de la linguistique historique (fondamentalement interne). Abstract : At the origin of the history of the French language : 1802-1841. The beginnings of the history of the French language, at the end of the XVIIIth and in the first half of the XIXth century, merge with the birth of a philology that differs from the German model being developed at the same time. While the latter promotes researches based on the achievements of historical and comparative grammar, French philology is a quest for the origins of French literature. Its researchers will take almost half a century to free themselves from the primacy of French as evidenced by the literary texts of the past, especially of the Middle Ages, and to establish their work on the knowledge of the historical grammar of the French language. Hence this antagonism permanent until today between external history and internal history of the language which covers the distinction between the history of the french language (mostly external) and the french historical linguistics (fundamentally internal). Depuis la seconde moitié et surtout le dernier tiers du XVIIIe siècle, la France a connu un extraordinaire essor des recherches sur le langage, sur les langues de manière générale et la langue française en particulier. Cet essor est le résultat d’un important effort de documentation et de réflexion dont la naissance de disciplines variées porte la trace. C’est ainsi qu’après la découverte des langues et cultures exotiques, l’approfondissement des recherches portant sur l’origine de la langue française, les rapports de celle-ci avec d’autres langues indo-européennes, singulièrement les langues romanes, les amateurs et les érudits ont artisanalement élaboré les bases de la philologie donnant accès à la reconstitution et à la compréhension des premières sources écrites accessibles, préférentiellement littéraires. 1 Position du problème Sans doute faut-il ici expliciter brièvement ce qu’est initialement l’amour des textes, la philologie, dans sa conception française. Comme on le verra plus loin, le XIXe siècle se caractérise entre autres, en France, par un développement extraordinaire de l’imprimerie et de la bibliophilie. Les Firmin-Didot, Charles Nodier, le Bibliophile Jacob — alias Paul Lacroix (1806-1884) — en sont certainement les exemples les plus connus. Cet essor vient 1. Corresponding author : jacques-philippe.saint-gerand@unilim.fr SHS Web of Conferences 13 https://doi.org/10.1051/shsconf/202213803001 8, 03001 (2022) Congrès Mondial de Linguistique Française - CMLF 2022 © The Authors, published by EDP Sciences. This is an open access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License 4.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/). à l’appui d’un mouvement secondaire qui cherche à retrouver les racines de l’identité culturelle française à travers les textes exhumés du passé ; notamment de cette longue période du moyen-âge (476-1492) pour laquelle la plupart des documents écrits relativement fiables ne sont accessibles qu’à partir des Serments de Strasbourg en 842. Outre le plaisir de retrouver les premiers textes dignes d’appartenir à l’histoire d’une France que les différents régimes politiques — Empire, Restauration, Monarchie de Juillet, 2nde République, 2nd Empire, 3e République — veulent écrire à leur manière, le souci de donner de ces monuments des éditions esthétiquement achevées et de plus en plus « scientifiquement » fondées pousse à s’assurer de l’exactitude des transcriptions proposées au public. L’amour des textes, la première philologie française, exprime cette double motivation contre laquelle les états de langue anciens, profondément distincts de ceux de la langue du XIXe siècle, font obstacle. Nous y reviendrons, mais la création maladroite de l’École des Chartes en 1821 est bien le signe qu’il faut donner aux nouveaux chercheurs les instruments méthodologiques et scientifiques qui leur permettront d’assurer leurs recherches : paléographie, grammaire, etc. La découverte et la formalisation par Raynouard de l’opposition constitutive de la flexion nominale, cas sujet /vs/ cas régime marquent une étape décisive dans le processus de reconstitution des états anciens de la langue française. Mais, si elle est reconnue par les grammairiens pour donner à la philologie une part de son assise scientifique, elle ne mobilise fondamentalement pas les éditeurs de textes, amoureux du beau témoignage historique capable de flatter le goût des happy fews nostalgiques des temps anciens. Ainsi, faut-il, dès l’origine, distinguer philologie et linguistique. Lorsqu’en 1834, chez Renduel, Charles Nodier fait paraître ses Notions élémentaires de linguistique, il prend la précaution d’ajouter immédiatement : ou histoire abrégée de la parole et de l’écriture pour servir d’introduction à l’alphabet, à la grammaire, au dictionnaire. Même si Nodier — héritier des principes de l’idéologie et adepte des principes de la grammaire générale — ne confère pas à linguistique la portée et le contenu de ce que nous nommons aujourd’hui sous ce mot, l’orientation du projet et du propos de son ouvrage sonne entièrement différemment. Nous verrons plus loin qu’au même moment les Guérard, Fallot, Génin, Paris (Paulin), Michel proposent tout autre chose. D’où une question : en quoi et pourquoi cette philologie, antérieurement à la prise de conscience du besoin d’une linguistique générale, s’est-elle constituée en carrefour incontournable des recherches linguistiques, avant de faire figure de repoussoir anachronique des avancées de ces dernières ? L’enquête présentée ici se limitera aux seuls textes identifiés du XIXe siècle traitant de ce rapport et laissera volontairement de côté les ouvrages qui ont pu esquisser un mouvement en ce sens aux XVIIe et XVIIIe siècles1 et contribuer à l’édification de l’histoire de la langue française. Ursula Bähler rappelle que Brachet, dans sa Grammaire historique de la langue française, utilise l’expression de « nouveaux philologues » pour désigner Émile Littré, Michel Bréal, Gaston Paris, Paul Meyer et François Guessard, qu’il oppose aux « dilettantes » de l’époque antérieure2. Des amateurs de la première moitié du XIXe siècle, l’on passe progressivement à des savants, généralement chartistes, instruits des méthodes historiques et comparatives, formés pour la plupart d’entre eux outre-Rhin, et qui ont besoin d’une reconnaissance institutionnelle nationale voire internationale que l’Académie française et l’Université impériale3 sont seules, alors, en mesure de leur octroyer. C’est donc qu’il existe une première puis une seconde philologie française. Brigitte Nerlich, commentant l’œuvre d’Albin Abel de Chevallet (1812-1858), note qu’elle est « enracinée dans la tradition "romaniste" française exemplifiée par les ouvrages de Raynouard, Ampère, Orelli, Fallot, du Méril […] » or « ces linguistes ne suivent pas encore totalement les préceptes de la linguistique historico-comparative allemande »4. Ils lui substituent une préoccupation en quelque sorte nationaliste : Tout un peuple peut s’analyser par sa langue, dit avec raison un écrivain de nos jours [Alfred Nettement]. Dans une étude approfondie des divers idiomes, on retrouverait toutes les histoires. Si SHS Web of Conferences 13 https://doi.org/10.1051/shsconf/202213803001 8, 03001 (2022) Congrès Mondial de Linguistique Française - CMLF 2022 2 Buffon a pu dire, le style, c’est l’homme, il est vrai d’ajouter : la langue, c’est la nation. […] [p. XIV] La notice parue à la mort de Chevallet dans les Chroniques de la Bibliothèque de l’École des Chartes5 est explicite à cet égard : M. le baron Albin d’Abel de Chevallet est mort à Paris le 18 juillet 1858. M. de Chevallet, qui avait suivi les cours de l’École des Chartes, fut attaché pendant près de vingt ans aux Travaux historiques, de 1837 environ à 1857, date de la suppression de cet emploi. […]. Depuis cette époque, il s’était particulièrement consacré à la philologie et à l’étude historique de notre idiome national. En 1850 il présenta au concours de linguistique fondé par Volney un mémoire du plus grand mérite qui obtint le prix. Ce mémoire est devenu un ouvrage désormais célèbre : Histoire de l’origine et de la formation de la langue française. Il y a quelques mois à peine, dans ce volume même nous rendions à cet ouvrage une justice que n’ont point démentie les juges les plus autorisés. [p. 134] Les recherches linguistiques, avec les moyens scientifiques et techniques qui sont les leurs à cette époque, influencent-elles les rapports de la langue à la littérature au point de distinguer définitivement à terme philologie et histoire de la langue [française] ? 2 Intérêt historique ou passion bibliophilique Dès 1802, le mouvement historique trouve son impulsion grâce à la réédition de la Grammaire générale et raisonnée contenant les fondemens de l’art de parler, expliqués d’une manière uploads/Histoire/ a-lorigine-de-lhistoire-de-la-langue-francaise-1.pdf
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- Publié le Jan 15, 2021
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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