À la découverte des amhariques Langues et histoires éthiopiennes en regard Éloi
À la découverte des amhariques Langues et histoires éthiopiennes en regard Éloi Ficquet p. 497-516 Résumé | Index | Plan | Texte | Bibliographie | Notes | Citation | Auteur Résumés Français English En Éthiopie, l’amharique peut être qualifié de « langue des langues » tant son expansion fut liée au destin de l’ancien empire chrétien et tant son usage reste prépondérant dans l’État fédéral contemporain. Cette langue présente une forte apparence d’uniformité qui a été peu mise en question. Un déni d’hétérogénéité dialectale semble en effet soutenir ce pilier de l’identité nationale éthiopienne. Les idéologies providentialistes et unitaristes qui ont imprégné l’histoire politique ont aussi déteint sur les travaux de la linguistique comparée chamito-sémitique. Pour échapper à ce cercle de représentations, l’examen de la langue argobba, parlée aujourd’hui par de rares communautés musulmanes, offre des ouvertures intéressantes. La reconnaissance de cette langue comme dialecte d’un état ancien de l’amharique permet en effet de concevoir une pluralité ancienne des réseaux d’identités et de pouvoirs auxquels participent les locuteurs d’amharique et donne un éclairage alternatif à la vision sacralisée et unifiante de la langue nationale éthiopienne. Haut de page Indexation Mots clés : Christian Solomonid dynasty, islamization, Amhara, Argobba, amharique, chamito-sémitique, dynastie salomonide chrétienne, islamisation, linguistique comparée, Amharic, Hamitic, Semitic linguistics Haut de page Plan Un déni d’hétérogénéité Un creuset linguistique originel Problèmes de terminologie Autres résurgences bibliques L’amharique dans tous ses états La tangente argobba Haut de page Texte intégral PDF 225k Signaler ce document 1Mettre en évidence l’hétérogénéité des pratiques linguistiques des locuteurs d’amharique et la diversité des espaces sociaux dans lesquels ils opèrent des contacts avec d’autres langues, implique de déstabiliser, sans chercher à l’abattre, l’un des piliers de la construction nationale éthiopienne. Que ce soit dans la version centralisatrice de cet État, ou dans la version fédérale contemporaine, l’amharique a été au XXe siècle la « langue des langues » en Éthiopie. 2Dans cette démarche, il faut aussi tenir compte du poids des traditions savantes occidentales, qui ont créé dans les études éthiopisantes une forte démarcation entre les domaines d’étude des orientalistes et des africanistes. Les premiers se sont en effet intéressés aux sociétés à dominante chrétienne des hautes terres du Nord pour leur histoire politique et religieuse, conservée par de rares manuscrits, et pour leurs langues apparentées au groupe dit sémitique (dont l’amharique). Ils laissaient aux seconds le champ libre pour étudier les sociétés périphériques à tradition orale, sur lesquelles ont longtemps pesé de forts préjugés d’inculture et de barbarie. L’existence d’un tel clivage a sans doute limité, de part et d’autre, la profondeur et la pertinence des enquêtes et des analyses, cependant la prise de conscience de cette dualité a aussi suscité des recherches transversales souvent novatrices et de plus en plus nombreuses. 3Cet article propose de pénétrer dans le « bastion » orientaliste des travaux sur l’amharique, afin de rendre compte d’abord des représentations qu’ils ont produites ou répercutées, pour tenter ensuite d’élargir le champ d’observation de cette langue et des gens qui la parlent. Notre contribution n’est pas fondée sur une étude systématique des activités langagières en amharique, mais sur des enquêtes anthropologiques parmi des Éthiopiens qui ont un usage exclusif, courant ou occasionnel de cette langue. Nous n’établirons ici que peu de faits linguistiques, mais en nous écartant des normes minutieuses de description grammaticale ou lexicale, nous inciterons à y revenir avec des hypothèses renouvelées. 4 Le présupposé qu’une langue ne peut être étudiée que comme un système clos ayant sa cohérence interne, a été contrebalancé par la prise en compte de la pluralité des interactions entre les langues et, depuis plus récemment, par l’observation des rapports du sujet communiquant aux réalités plurilingues dans lesquelles il évolue. Cependant, l’unicité d’une langue n’est pas une pure illusion produite par la description scientifique. Quand bien même cette unicité serait construite par d’autres représentations, discours ou pratiques, il faut pouvoir en rendre compte, avec les mêmes outils d’analyse que ceux mis en œuvre dans l’étude de la diversité des agencements linguistiques. Une langue est en contact avec elle-même autant qu’avec d’autres. L’amharique présente ainsi une forte apparence d’uniformité, prise comme un fait acquis par ses descripteurs, mais qui a été aussi peu mise en question que les problèmes d’hétérogénéité à différents niveaux, dialectal, interlinguistique et historique. 5En commençant par examiner ces dernières questions, nous montrerons que les conceptions génétiques et diffusionnistes de l’amharique sont liées à des représentations identitaires et idéologiques qui ont usé d’arguments linguistiques et les ont nourris en retour. Il est néanmoins possible d’échapper à ce cercle en prenant des tangentes en divers points. Nous avons choisi de présenter ici quelques considérations sur une langue parente de l’amharique parlée par des communautés musulmanes établies sur le rebord des hauts plateaux centraux d’Éthiopie. Cette perspective nous permettra de mettre au jour une zone d’interface culturelle et linguistique très active, dont l’ancienneté nous amènera à reconsidérer les liens admis entre l’extension de la langue amharique et l’histoire politique éthiopienne. Un déni d’hétérogénéité 6Il est peu de langues qui semblent présenter aussi peu de variations dialectales que l’amharique. Un seul article, collectif, est paru sur la question en 1973 (Habte Mariam Marcos 1973), repris trois ans plus tard par d’autres auteurs dans un ouvrage consacré aux langues éthiopiennes (Bender et al. 1976 : 90-98). Après des enquêtes de très courte durée, menées en 1969, quatre équipes de linguistes de l’Université d’Addis Abeba avaient établi des comparaisons entre des dialectes régionaux (gojjam, wällo, mänz et gondär) et celui, mal identifié, de la capitale éthiopienne. Les trois comptes rendus finalement publiés suggéraient une certaine diversité de formes à différents niveaux d’analyse, mais restaient sur une approche assez superficielle, en proposant d’entreprendre des recherches plus extensives, qui sont restées sans suite. Le désintérêt, voire le déni des linguistes de l’amharique à l’encontre de la question dialectale, correspond à une représentation largement diffusée d’une uniformité de cette langue. Nous reviendrons plus bas sur les implications politiques et historiques de cette question. 7Les emprunts lexicaux de l’amharique, identifiés dans les dictionnaires ou dans les néologismes, ont suscité quelques notes lexicographiques érudites, fournissant des analyses plus ou moins profondes des dynamiques interlinguistiques révélées par ces items (Tubiana 1984, 1985, 1986 ; Leslau 1990 ; Bender 1972). En outre, quelques contributions ont approché la question des contacts entre langues en Éthiopie d’un point de vue sociolinguistique (Drewes 1970 ; Ferguson 1971 ; Amsalu Aklilu 1991), mais en proposant de très maigres observations et en effleurant les problèmes sociologiques et historiques qui apparaissaient. À notre connaissance, aucune enquête n’a été conduite ni même projetée sur des mixtes linguistiques possibles impliquant l’amharique, même sur des terrains favorables à cette entreprise. Malgré l’abondance des travaux sur les Falasha et leur intégration à la société israélienne, il ne semble pas y avoir eu d’études sur leur amharique au contact de l’hébreu talmudique et moderne. De même pour l’amharique parlé par d’autres diasporas éthiopiennes en contact avec des langues et des cultures occidentales. L’amharique pratiqué à Addis Abeba, depuis plus d’un siècle d’existence de cette capitale au carrefour des identités éthiopiennes, n’a pas non plus encore fait l’objet de descriptions. Un creuset linguistique originel 8C’est surtout en des termes génétiques que le problème de l’hétérogénéité linguistique a été posé sur l’amharique, et sur les langues éthiopiennes en général, par la reconstruction de relations entre des proto-langues dont la synthèse aurait produit les langues actuellement observables. L’amharique et les autres langues éthiopiennes apparentées au groupe sémitique dériveraient de langues homologues sudarabiques ou arabiques, transformées au contact de langues classifiées comme couchitiques, qu’auraient parlées les peuples indigènes, pré- sémitiques, de la Corne de l’Afrique. La reconstruction de ces « relations de parenté » entre langues éthiopiennes a fait l’objet de recherches et de débats entre philologues et linguistes depuis près d’un siècle et demi, contribuant particulièrement au comparatisme chamitosémitique. 9Le guèze (ge’ez) est la plus ancienne des langues « éthio-sémitiques » connues. Parlée par les sujets du royaume antique d’Aksum (formé au Ier siècle, converti au christianisme au IVe), elle semble s’être éteinte avec cet État vers le Xe siècle. Elle fut cependant conservée comme langue littéraire du royaume dit salomonide1 jusqu’au XIXe siècle, et comme langue liturgique du clergé monophysite2 éthiopien jusqu’à aujourd’hui. 10La connaissance du guèze est à la base du comparatisme des langues sémitiques éthiopiennes, dans deux directions. En amont, ont été recherchées les filiations à d’autres langues sémitiques anciennes, en particulier aux langues sudarabiques. Les traces épigraphiques du guèze permettent en effet de remonter à des états anciens de cette langue et d’affiner les comparaisons avec les langues écrites des royaumes antiques d’Arabie du Sud. En aval, les langues éthiopiennes contemporaines, identifiées comme sémitiques, ont d’abord été comparées au guèze, puis entre elles. Les travaux entrepris dans cette dernière direction ont été inaugurés par le grand savant Hiob Ludolf, auteur de la première grammaire de l’amharique (1698). Parmi ses nombreux successeurs, auteurs d’une masse considérable de travaux d’érudition, Franz Praetorius a établi le premier l’histoire et l’étymologie de l’amharique par une analyse uploads/Histoire/ a-la-decouverte-des-amhariques.pdf
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- Publié le Mar 05, 2021
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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