Trisection du carré Christian Blanvillain - blanvillain@gmail.com Lausanne, sep

Trisection du carré Christian Blanvillain - blanvillain@gmail.com Lausanne, septembre 2011 La question que nous abordons aujourd’hui fait partie des problèmes pouvant être compris par les plus jeunes enfants, tout en ayant le pouvoir de priver les mathématiciens les plus têtus de quelques nuits de sommeil ! C'est ce qui la rend si intrigante... Papier, crayon, règle, compas, ciseaux, vous voilà parfaitement équipé pour découper un carré en plusieurs carrés identiques ! 1. Introduction Comment découperiez-vous un carré en quatre carrés identiques ? Une idée ? Oui, c'est simple : il suffit de tracer une croix dont chaque segment passe par les milieux de deux côtés opposés (fig. 1). Fig. 1 - Découper un carré en quatre. Comment découperiez-vous un carré en deux carrés identiques ? Impossible ? Pas si vous vous autorisez à le découper le carré en plusieurs petits morceaux de tailles et de formes non forcément identiques qui, correctement ré-assemblés, constitueront deux carrés. Vous n'avez pas encore trouvé ? Cherchez bien... Bon, je vais vous donner un indice : il existe deux solutions triviales qui découpent le carré soit en quatre, soit en cinq morceaux. Dans la solution à quatre morceaux, chacun des petits carrés finaux utilise deux pièces. Dans la solution à cinq morceaux, un petit carré final est entier, et l'autre utilise quatre pièces. Vous n'avez toujours pas trouvé ? Alors voici les deux solutions. Pour la première tracez les deux diagonales du carré. En assemblant deux à deux les triangles isocèles obtenus, le long de leur grand côté, nous obtenons bel et bien deux carrés identiques (fig. 2). Fig. 2 - Découper un carré en deux avec quatre pièces. Pour la seconde, il suffit d'extraire un petit carré dont les sommets sont les milieux des côtés du carré de départ. Il ne reste plus qu'à assembler les quatre triangles des quatre coins du grand carré, le long de leur petit côté pour obtenir le deuxième petit carré (fig. 3). De ces deux solutions on préférera la première, car elle utilise un nombre minimal de morceaux. Fig. 3 - Découper un carré en deux avec cinq pièces. Passons maintenant au problème qui nous préoccupe aujourd’hui. Comment découperiez-vous un carré en trois carrés de mêmes surfaces et en un nombre minimal de morceaux ? Nous vous recommandons très fortement de réfléchir à ce problème avant de vous précipiter sur les solutions qui suivent. Arrêtez de lire cet article et prenez le temps qu'il vous faut pour chercher. Si d'aventure vos nuits s'en trouvaient écourtées, alors vous n'aurez qu'à reprendre votre lecture ici....Vous l'avez compris, la dissection d'un carré en trois carrés identiques est un problème difficile. 2. Origine du problème Ce problème de géométrie remonte à l'époque où la civilisation islamique et le monde arabo- musulman étaient dans leur âge d'or. Il a été posé par les artisans qui maîtrisaient l'art du zellige, un composant caractéristique de l'architecture islamique. C'est un carreau d'argile émaillée dont l'assemblage produit de somptueuses mosaïques aux motifs géométriques complexes (fig. 4). Fig. 4 - L’art du zellige. Pavages de Girih. Plafond du mausolée du poète perse Hafiz de Shiraz en Iran. CC:by Pentocelo Wikimedia. Les artisans utilisaient la dissection de la figure 5 qui semble minimale en nombre de pièces, mais qui, hélas, n'est pas correcte. Saurez vous démontrer pourquoi ? Indice : Fig. 5 - Dissection incorrecte. Ces artisans n'avaient pas tous une culture mathématique très poussée. Certains ne connaissaient pas le théorème de Pythagore. Or ici l’erreur peut être réduite à l'épaisseur d'une lame de scie ou d'un trait de crayon seulement, c’est à dire que pour la pire des coupes (la partie hachurée du carré a1 a2 a3) l’erreur est 1/20ème de la taille attendue, soit 5mm pour un carré de départ de 10cm comportant deux joints ! Même si certains réalisaient que cette dissection était fausse, quelle autre dissection utiliser à la place ? C’est pour discuter de ce genre de problèmes que les artisans se réunissaient régulièrement avec les savants géomètres. Hélas les géomètres ne purent leur proposer qu’une construction de racine carrée de trois à la règle et au compas ce qui ne leur était pas très utile... La figure 6 présente également la spirale de Théodore de Cyrène qui permet de construire la racine carrée de petits nombres entiers. Fig. 6 - Racine carrée de deux, de trois et des quatorze entiers suivants dans la spirale. Le mathématicien Perse Muhammad ibn Muhammad ibn Yahya ibn Isma'il ibn al-'Abbas Abu'l- Wafa' al-Buzajani (940–998), père de la trigonométrie, proposa une superbe dissection en neuf pièces (fig. 7). Fig. 7 - La trisection d’Abu’l-Wafa’ (Xème). Abu’l-Wafa’ consigna cette trisection dans un ouvrage "Kitâb fîmâ yahtâju ilayhi al-sâni` min a`mâl al-handasa" qui signifie "Constructions géométriques à l'usage des artisans" (chapitre sur comment diviser et assembler un carré). On peut y lire son témoignage : “J'étais présent à une réunion à laquelle un grand nombre de géomètres et d'artisans participaient. On leur avait demandé de construire un carré à partir de trois carrés égaux. Les géomètres pouvaient aisément construire une ligne telle que son carré était égale à la surface des trois carrés, mais aucun des artisans n'était satisfait. Ils souhaitaient diviser ces carrés en morceaux pouvant être réassemblés en un grand carré. [...] Certains artisans positionnaient un des carrés au milieu, divisaient le second par la diagonale et divisaient le troisième carré en un triangle rectangle isocèle et deux trapézoïdes congruents qu'ils assemblaient ensemble.” Vous savez maintenant comment découper un carré en trois carrés identiques, mais il vous faut actuellement neuf pièces. Saurez vous trouvez une solution utilisant moins de pièces ? 3. Les trisections du carré au fil de l’histoire. Pendant 400 ans environs, la trisection d'Abu'l-Wafa' est restée l'unique trisection du carré connue. Il a fallut attendre le XIVème siècle pour que le mathématicien Abu Bakr al-Khalil, propose deux nouvelles solutions : l’une utilisant neuf pièces (fig. 8) et l’autre utilisant huit pièces (fig. 9). Fig. 8 - Trisection en neuf pièces d’Abu Bakr al-Khalil (XIVème). Fig. 9 - Trisection en huit pièces d’Abu Bakr al-Khalil (XIVème). Vers la fin du XVIIème siècle, les mathématiciens français Jacques Ozanam (1640–1717) et Jean- Étienne Montucla (1725–1799) se penchèrent à nouveau sur ce problème. On trouve dans l'édition de 1778 de leur ouvrage "Récréations mathématiques et physiques" une méthode générale de transformation d'un rectangle quelconque en un carré de même surface. Appliquée à trois petits carrés identiques collés les uns aux autres, cette méthode donne des solutions utilisant huit morceaux. Cent ans plus tard, en 1873, le Chevalier Paul-Jean Busschop (1799–1877) propose une nouvelle solution en huit pièces. En 1877, M. de Coatpont, Colonel du Génie à Rennes, propose une solution en sept pièces (fig. 10), très similaire à la solution en neuf pièces d’Abu Bakr al-Khalil (fig. 8). Fig. 10 - Trisection en sept pièces du Colonel M. de Coatpont (1877). En 1883 le mathématicien français Édouard Lucas (1842–1891) propose une autre solution en sept pièces (fig. 11). Fig. 11 - Trisection en sept pièces d’Edouard Lucas (1883). Il a fallut attendre 1891 pour que Henry Perigal (1801–1898) publie une solution supposée minimale, utilisant six morceaux seulement (fig. 12) et très similaire à la solution en huit pièces d’Abu Bakr al-Khalil (fig. 9). Henry Perigal a fait l'ensemble de ses principales découvertes entre les années 1835 et 1840, mais ne les a publiées que très tard. Voir la biographie d’Henry Perigal en appendice de la publication1 de Leonard James Rogers (1897). Fig. 12 - Trisection en six pièces d’Henry Perigal (1891). 1L. J. Rogers (1897) On certain Regular Polygons in Modular Network. Voir la biographie d’Henry Perigal en appendice. Proceedings London Mathematical Society. Volume s1-29, p. 732-735. De nos jours de nouvelles trisections continuent d’être découvertes. Greg N. Frederickson propose en 2002 une solution qui pave le plan (fig. 13 et 14), semblable à celle d’Édouard Lucas (fig. 11) mais symétrique : si l’on regarde bien la figure 14, on voit qu’en déplaçant un des deux maillages (sans le tourner) on retrouve la solution d’Édouard Lucas ainsi qu’une infinité d’autres ! Fig. 13 - Trisection en sept pièces de Greg N. Frederickson (2002). Fig. 14 - Pavage du plan à l’aide de la trisection de Greg N. Frederickson (2002). Nobuyuki Yoshigahara (1936–2004) publie en 2004 une solution extraordinaire en sept ou neuf pièces, ayant pour caractéristique1 que chacun des trois carrés finaux a la même coupe (fig. 15) ! Fig. 15 - Trisection en sept ou trois fois trois pièces identiques de Nobuyuki Yoshigahara (2004). 1Quentin Donner fait remarquer que la dissection de Greg N. Frederickson (fig. 13) a également cette caractéristique : il suffit en effet de diviser le carré c1 de la même manière que les carrés a et b. En 2010, Christian Blanvillain et János Pach publient1 une nouvelle famille de solutions symétriques en six morceaux. Cette solution permet d’en obtenir une infinité d’autres par glissement de la frontière entre a1 et a2 ou de la frontière entre b1 et b2. La position présentée dans la uploads/Geographie/ trisection-du-carre.pdf

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