ABRÉVIATIüNS M. : Mémoires d'oulre-Iombe (Bibliotheque de la Pléiade). R. : Ren

ABRÉVIATIüNS M. : Mémoires d'oulre-Iombe (Bibliotheque de la Pléiade). R. : René (Garnier). A. : Alala (Garnier). Ra. : Vie de Rancé (Didier). G. : Génie du chrif1ianisme (Flammarion). Na. : Les Nalchez (CEuvres de Chaleaubriand, Legrand, Troussel et Pomey, t. 11). Ma. : Les Martyrs (ibid., t. III et IV). JI. : Jtinéraire de Paris a ]értlsalem (ibid., t. VIII et IX). C. : Le Congres de Vérone (ibid., t. XIX). Am.: Vqyage en Amérique (ibid., t. X). E. : Essai sur les Révo/ulions (Ch. Hingray, 1838). © Éditions dtl SeNil, I~67' í1. y.~ 't l' .'tS.'G'f W ). /'\ ( ..,t.') \ f . \.l,; c- '\,,'-' ".,'!tI ( ...( e.( l t} , .~'\,;.! ,.,-1­ 1 LA MORT ET SES FIGURES " Donc la seule créature qui cherche au dehors, et qui n'es!: pas a soi-meme son tout, c'eS!: l'homme 1. " Derriere cette défini-­ tion de caraétere théologique, posée au début du livre VI du Génie dtl chri¡¡ianisme, c'eS!: de lui-meme, n'en doutons pas, que Chateau­ briand veut ici nous parlero Car toujours il a senti vivre en lui ce don, ce besoin du dehors : pour s'atteindre il lui faut se quitter, se jeter en un lointain d'objets, d'hommes, de paysages a travers lesquels seuls il peut, du moins le pense-t-il, réaliser son lout, sa suffisance. Au début de l'aventure humaine se déc1are donc en nous une force qui nous arrache a nous : c'eS!: l'enivrante, mais aussi l'aliénante puissance du désir. Chateaubriand a souvent célé­ bré son rapto Dans Ata/a, René, dans les Mémoires surtout, il a évoqué ce moment magique de l'adolescence OU l'espace de la vie semble soudain se creuser en tout sens devant la conscience <IésTiante et OU le futur se fait appel chantant, tentation, promesse. "Chaque pas dans la vie m'ouvrait une nouvelle perspeétive; j'entendais les voix lointaines et séduisantes des passions qui venaient a moi; je me précipitais au-devant de ces sirenes, attiré par une harmonie inconnue 2. " A l'ouverture du monde correspond ainsi la projeéti~~, l'avide-] " précipitation " du moi. Celui-ci s~élance physiquement vers un. lointain. L'image de l'é/an eS!: souvent élargie par celle de laflamme, qui possede l'avantage ae mieux encore nous situer en un creur brúlant de l'essor. Le désir eS!: alors revé comme un incendie qui, " se propageant sur tous les objets ", les parcourt successivement l. G., 1, p. 130. - 2. M., 1, p. 71. 7 PAYSAGE DE CHA'I'EAUBRIAND de son feu, et qui, " ne trouvant nulle part assez de nourriture ", voudrait dévorer " la terre et le cíel 8 ". Ce mouvement de propa­ gation ardente définit assez bien l'un des rythmes fondamentaux de Chateaubriand. Dans le champ de la culture, de l'expérience sociale, de la connaissance sensible, de l'écriture, il eSt bien cet homme d'ardeur et d'impatience : intelligence qui saisit l'idée d'une seule prise, regard qui traverse d'un coup scenes ou personnages, sensibilité qui s'empare aussitot du détail le plus aigu, langage qui atteint de fas;on foudroyante, et pourtant infiniment légere, sa cible, son objeto Chateaubriand eSt un ariStocrate du désir, Sainte­ Beuve l'avait bien VU; " créature qui cherche au dehors ", il Y trouve bien vite ce qu'il cherche, ill'y trauve trop vite, - voila le début de ses malheurs. A l'élan du désir fait suite en effet tres bientot une déception. Non point que la projeétion du moi se heurte, comme dans le roman réaliSte du XIXe siecle par exemple, a aucune mauvaise volonté du monde, a un refus de l'autre ou de la société. Ce serait plutot l'inverse : trap ouvertement complaisant a mon ardeur, trap poreux ou plastique a mon attaque, l'objet n'eSt pas capable d'en freiner, puis d'en arreter en lui le mouvement. La convoitise le traverse sans avoir le temps de s'y combler. Au moment meme ou Maine de Biran découvre en lui la conscience comme un effort intime lié a une résiStance du dehors, Chateaubriand expérimente l'amertume inverse d'une projeéHon personnelle que décevrait sans cesse l'insuffisante opposition des choses. Entre le moi et le réel, le déséquilibre énergétique eSt tel que le premier a tot fait de parcourir - aétuellement ou imaginairement, cela revient au meme - toute la texture offerte du second. Pour m'attacher, il eut fallu d'abord que l'objet me fit obStacle. Mais non: i1 cede trop facilement a l'homme de désir, que sa précipitation porte aussitot " au bout de ses désirs 4 ", " au fond de (ses) plaisirs 6 ". C'eSt alors la conStatation désenchantée de la limite: borne située non pas devant l'objet, pour en interdire (et signaler) l'acces, mais bien derriere lui, pour en marquer la ligne de sortie, le terme. Ou bien, prolongeant le theme du désir-incendie, se reve un feu qui a. tot fait de bn1ler la maigre pature offerte a son ardeur. Traversé ,. Ibid., p. 85. - 4. Ma., p. 69. - 5. R., p. 2.08. 8 LA MORT ET SES FIGURES ou consumé, l'objet de toute maniere disparait daos l'aéte de sao possession. Et avec lui, apres lui, tous les autres objets du monde. Que faire alors? Poursuivre jusqu'a l'épuisement un élan par définition interminable,. désespérément adhérer a ce " feu sans cause et sans aliment 8 ", mais que cette privation meme pousserait a la folie, ala fureur. " I1 sort de ce ca:ur des flammes qui manquent d'aliment, écrit René a Céluta, qui dévoreraient la nature sans etre rassasiées, qui te dévoreraient toi-meme. Prends garde, femme de vertu! recule devant cet abime, laisse-le dans mon sein 7... " Fatigue ou frénésie, ce sont les deux issues possibles du désir; les deux figures aussi, passive et aéHve, de l'atltZU~J ce célebre ennui dont René déclare qu'ill'a "toujours dévoré 8". Mais qu'eSt-ce que s'ennuyer pour Chateaubriand sinon apercevoir, avec une lucidité sans défaut, tout l'espace, " l'abime ", qui s'étend entre ce qu'il se sent, ou ce qu'il voudrait etre, et ce que l'univers entier pourrait lui donner pour l'assouvir? D'un terme a l'autre du rap':' port la disproportion eSt telle qu'elle ne peut engendrer vis-a-vis du réel qu'un sentiment de dérision, bientót d'indifférence. De Ia ce désintéret si souvent décrit, ce détachement, issus d'un intéret trop viL. Joubert, qui aimait Chateaubriand, et pour qui la viduité ne posséda jamais aucun secret, évoque quelque part a son propos, avec une juStesse toud fait admirable, ce" fonds d'ennui qui semble avoir pour réservoir l'espace immense qui eSt vacant entre lui­ meme et ses pensées 9 ". Entendons que Chateaubriand était toujours au-dela de ses pensées, au-dela aussi de ses désirs. ce Vacance " d'une inadéquation fondamentale au monde et a soi-meme : ce que Chateaubriand découvre dans l'ennui, c'eSt tout simplement sa transcendance. Mais il peut arriver aussi, nouveau malheur, que la situation ici décrite se retoume. Du monde se dégagera encore une sen­ sacion de vacuité, mais pour une raison tres exaétement inverse. Car cet objet, au-deIa duquel m'emportait si souvent ma convoitise, il peut se mettre aussi a reculer, a fuir devant la main qui voudrait 6. M.,I1,p. 582..-7. Na., p. 2.6;. - 8. R., p. 2.65. - 9. Cité dans P. MorealJ, Cbateaubriand, p. 38. Plus haut dans la meme lettre (du 2.I otlobre 1803) Joubert définit aussi, de maniere non moins admirable, le caratlere essen- . tiellement pro}eé1if de l'intériorité chateaubrianesque: " 11 a, pour ainsi dire, toutes ses facultés en dehors, et ne les tourne point en dedans. " 9 PAYSAGE DE CHATEAUBRIAND le saisir. Triátement bomé tout a l'heure au regard de la conscience ,. désirante, le voici maintenant mobile, évasif. " Je cherchais ce i ~. ~..Y~t.i je pressais le tronc des chénes, mes bras avaient , besoUl de serrer quelque chose l0... " Mais les bras de René ne \ serrent que du vide, aucune fernme ne se matérialise pour lui dans les landes de Combourg, le désir a perdu d'avance sa pour­ suite. Sous l'assaut du moi les choses désormais se dérobent, et avec elles l'étre dont elles étaient le signe, le support. Ce sentiment d'un retrait de l'étre soutient id de son vertige et de son amertume mainte scene familiere : ainsi tous ces départs si mélancoliquement "f- détaillés, l'écartement de " la terre qui s'éloigne et qui va bientót t ,L disparaitre u " avec les lumieres du rivage qui " diminu(ent) peu a peu et ,.di~.i!:r{~~~ent)12 "; ou bien ces morts révées cornme autant d'engloutissements dans la diStance, Alexandre " disparu( ) dans les lointains superbes de Babylone 13 ", Napoléon perdu ¡ dans les faS'l:ueux horizons des zones torrides 14 "; ou bien encore "0 " ! ces aStres si souvent contemplés dans leur départ, soleil couc:hant, ou lune " se dérobant elle-méme en silence 15 " dans les profon­ deurs d'une forét ou d'une mer. L:,hg!,!zon n'eSt plus le lieu ou j'arrive trop vite, apres une vaine traversée des choses; il eSt l'es­ pace ou l'objet se recule, me laissant aux prises avec mon propre . vide. Car le corrélat:if p~chique de uploads/Geographie/ paysages-chateaubriend.pdf

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