Jacmel, entre rêve et réalité Jacmel, between dream and reality Jean Davoigneau

Jacmel, entre rêve et réalité Jacmel, between dream and reality Jean Davoigneau et Isabelle Duhau https://doi.org/10.4000/insitu.13721 Résumé | Index | Plan | Texte | Notes | Illustrations | Citation | Cité par | Auteurs RÉSUMÉS FRANÇAIS ENGLISH Cet article présente le résultat de l’opération d’Inventaire général du patrimoine culturel conduite à Jacmel en Haïti, opération qui a révélé un bâti original et particulier. Le travail fut mené en 2013-2014 par une équipe locale sous la responsabilité de l’Institut de sauvegarde du patrimoine national (ministère de la Culture haïtien) avec les outils méthodologiques de l’Inventaire général (ministère de la Culture français) dans le cadre d’une coopération. Cet inventaire devait permettre la réévaluation du dossier de candidature à l’inscription sur la liste du patrimoine mondial, Jacmel figurant depuis 2004 sur la liste indicative et, dans un cadre plus large, le transfert de la méthodologie française à l’ISPAN. La ville, petit port de cabotage sur la côte sud de l’île de Saint-Domingue, a pour caractéristique essentielle d’avoir connu un développement urbain très important au XIXe siècle lié à l’explosion du commerce caféier. Cependant, un gigantesque incendie détruit le centre-ville en 1896. La bourgeoisie locale commerçante reconstruit ses maisons et ses entrepôts selon des procédés et des matériaux importés. La brique et les éléments métalliques en fonte moulée, en acier riveté ou en fer forgé donnent un nouveau visage au quartier du Bord de Mer. La lente et irrémédiable chute des exportations du café fige le centre ancien qui se vide ; les Haïtiens se réfugient alors dans une image nostalgique de leur ville, entretenue par une littérature flamboyante. En 2010 le séisme met à terre les vestiges désertés du quartier commercial. Outre les études monographiques sur les équipements publics (marché en fer préfabriqué en Belgique, églises et temples, écoles, mairie, hôpital, etc.), le travail d’inventaire a essentiellement porté sur les deux genres architecturaux prédominants : les maisons et les entrepôts commerciaux. L’observation des 593 maisons sélectionnées et le traitement statistique de leurs caractéristiques a permis d’élaborer une typologie qui se décompose en six grandes catégories : les maisons entièrement construites en bois, les maisons à éléments importés, les maisons à étage en maçonnerie traditionnelle, les maisons à rez-de-chaussée en maçonnerie traditionnelle surmonté, soit d’un étage en bois soit de combles aménagés. Les simples maisons en rez-de-chaussée, déclinaison de la case créole, – plus de 63 % du corpus – se répartissent en deux ensembles à peu près équivalents, les maisons à mur pignon sur rue et celles avec mur gouttereau sur rue. Enfin le dernier type, les maisons construites en béton, reflètent l’évolution inéluctable de la ville dont la physionomie change : le ciment remplaçant peu à peu le bois, le torchis, la brique ou la maçonnerie traditionnelle. 95 % de ces maisons disposent d’une galerie ouverte sur la rue, privatisation de l’espace public et abri pour une déambulation ombragée aux heures chaudes. Cet élément de la composition architecturale a également donné lieu à une étude précise de ses formes, matériaux et mises en œuvre de ses supports. Les 52 entrepôts identifiés ont pareillement suscité une étude collective complète. La typologie, assez simple, est construite sur le nombre de niveaux et celui des travées des façades principales. Elle montre une variété relative et souligne surtout des caractères généraux : édifices maçonnés en brique et en moellon (assurant solidité et sécurité contre l’incendie notamment), couverture en toit terrasse utilisé comme aire de séchage, présence d’une galerie sur rue ou d’un auvent, détails décoratifs soignés (reflet, comme pour sa résidence d’habitation, du standing de son propriétaire). Haut de page ENTRÉES D’INDEX Mots-clés : Inventaire général du patrimoine culturel (IGPC), Institut de sauvegarde du patrimoine national (ISPAN), UNESCO, Haïti, Jacmel, port, commerce du café, entrepôt, galerie, fonte d’art, architecture métallique, architecture caribéenne, architecture domestique, case créole, style gingerbread Keywords: Inventaire général du patrimoine culturel (IGPC), general inventory of the cultural heritage, Institute de sauvegarde du patrimoine national (ISPAN), institute for the safeguard of the national heritage, UNESCO, Haiti, port, coffee trade, warehouse, gallery, veranda, decorative cast iron, metallic architecture, Caribbean architecture, domestic architecture, creole house, gingerbread style Haut de page PLAN La coopération entre l’Institut du patrimoine national haïtien et l’Inventaire général du patrimoine culturel français Jacmel, de l’héritage de la ville coloniale à la ville d’aujourd’hui La ville française Jacmel après l’indépendance Activités économiques au XIX e siècle Évolutions urbaines au XIX e siècle L’activité économique au XX e siècle L’architecture du centre-ville Caractéristiques générales Éléments de datation Composition d’ensemble Spécificité des matériaux L’indispensable galerie Les équipements publics Les maisons Principales caractéristiques Construction d’une typologie Les entrepôts Conclusion Haut de page TEXTE INTÉGRAL PDFSignaler ce document Ma mère fit l’acquisition d’une machine à coudre Singer chez un importateur blanc du Bord- de-Mer. À la sortie du magasin […], elle coltinait le carton encombrant qui contenait son précieux achat. Au même moment l’homme qui plus tard serait pour nous papa Loulou vint à passer en cabriolet à deux places. Il s’offrit, tout guilleret, de l’emmener à la maison […] Il évita le raidillon qui grimpe du littoral tout droit au plateau de Bel-Air […] Il fit plutôt prendre au cheval un petit trot de flânerie dans la partie basse de Jacmel. Il longea les rues du Commerce et de Sainte-Anne jusqu’au lacis de venelles du Bas-des- Orangers. Après un détour par le quartier des Raquettes, il remonta dare-dare par la Grand’Rue et l’avenue des Cayes-Jacmel. René Depestre. Popa Singer. Paris : Zulma 2016, p. 17-18. 1Au bord de la mer des Caraïbes, Jacmel reste l’une des plus importantes villes haïtiennes, au sud du pays. L’ancienne petite cité coloniale connut quelques décennies de véritable prospérité, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, lorsque son port devint la plaque tournante de l’exportation, principalement vers la France, du café produit sur les pentes de l’arrière-pays. Les riches négociants transformèrent le centre-ville en y construisant leurs entrepôts commerciaux mais également leurs résidences, pour lesquelles ils importèrent de nombreux éléments architecturaux d’Europe ou des États-Unis. C’est ainsi que le cœur de la ville se trouva doté d’un patrimoine bâti exceptionnel, qui justifia que l’État haïtien fasse figurer ce centre historique sur la liste indicative destinée à l’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco. 1 - Bulletin de l’ISPAN, no 10, 1er mars 2010. 2Malheureusement, Jacmel a été sévèrement touchée par le séisme du 12 janvier 2010. Pour l’agglomération de 148 000 habitants, on comptabilisa 384 morts, 5 disparus, 448 blessés, 11 632 familles sinistrées, 15 090 sans-abri, 2 913 maisons détruites et 7 484 endommagées1. C’est pourquoi Haïti a demandé au ministère de la Culture français d’accompagner la réalisation d’un inventaire du patrimoine de la ville afin d’en diagnostiquer l’état et de réfléchir au devenir de cette inscription sur la liste indicative, après que l’institution seule ait dénombré, dans un premier repérage, 103 immeubles anciens endommagés à des degrés divers. Un travail de repérage systématique, encore unique dans ce pays, a permis de réunir une impressionnante documentation. Celle-ci apporte un éclairage nouveau sur la ville. Contrairement à ce que tendait à faire croire une certaine nostalgie ambiante – fruit d’une littérature brillante et de vestiges patrimoniaux d’une indéniable qualité –, la Jacmel d’aujourd’hui n’est plus la Jacmel de 1900. Cet inventaire apporte les preuves que la ville n’a jamais cessé d’évoluer, de se transformer et de se reconstruire sur elle-même, dans une surprenante dynamique. De la mise en œuvre de matériaux traditionnels à l’usage du béton, d’un mode de vie à l’extérieur – à l’abri de la galerie ouverte sur la rue – à la privatisation de tous les espaces de la maison, de l’installation de boutiques en lieu et place de logements ou des entrepôts de café d’antan…, cette première opération d’inventaire du patrimoine apporte, au-delà de Jacmel, un éclairage nouveau sur l’histoire haïtienne et sur l’architecture caribéenne. La coopération entre l’Institut du patrimoine national haïtien et l’Inventaire général du patrimoine culturel français 3Le tremblement de terre de janvier 2010 a fait plus de 230 000 morts et laissé 1, 2 million de sans- abri en Haïti. Port-au-Prince, la capitale, située à 25 km de l’épicentre, a été en grande partie détruite, tandis que la secousse causait d’importants dégâts jusqu’à la côte sud du pays (fig. 1). Figure 1 Agrandir Original (jpeg, 308k) Carte d’Haïti localisant Jacmel (cadre rouge) et indiquant les zones d’intensité du tremblement de terre de janvier 2010. © Par USAID (USAID Haiti earthquake page (direct PDF URL [1])) [Public domain], via Wikimedia Commons. 2 - Un bref compte rendu des missions a été publié, voir : MAHEUX, Hubert, PABOIS, Marc. « Haïti ». I (...) 4À la suite d’une mission organisée sur place par le ministère de la Culture et de la Communication (MCC) en avril 2010, les ministres de la Culture français et haïtien ont signé un arrangement administratif relatif au programme de coopération culturelle pour les années 2010-2015 dont l’un des volets traitait du patrimoine monumental, répondant ainsi à la demande de l’ISPAN (Institut de sauvegarde du patrimoine national haïtien). Il s’agissait de uploads/Geographie/ mangrove-2.pdf

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