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2 Sommaire Editorial Bolloré l’Africain Carlos Sielenou&Olivier A. Ndenkop Dossier Vincent Bolloré, la Françafrique et le capitalisme attrape-tout Par Olivier Atemsing Ndenkop Togo - Guinée : quand Vincent Bolloré mène l’Afrique en bateau ! Par Olivier DOSSOU Ruée sur le cobalt : le sous-sol congolais continue à aiguiser les appétits des multinationales Par Jérôme Duval L’éternel retour de l’idée panafricaine Par: John Wight 3 Editorial Bolloré l’Africain Vu de Paris, Bolloré est un modèle de réussite économique. L’un des rares groupes tricolores qui, malgré la crise, ne cesse de conquérir des parts de marché à travers le monde. Même en Afrique où l’arrivée des pays émergents conduits par la Chine ont obligé plusieurs multinationales à plier bagages, le groupe de Vincent Bolloré continue de remporter les appels d’offres. En trois décennies de présence africaine, il a franchi les limites du pré-carrée français, constitué des anciennes colonies de la France pour s’implanter dans les pays anglophones. Une performance qui permet à M. Bolloré de faire régulièrement la une des grands journaux économiques. Seulement, depuis quelques mois, le milliardaire breton défraie la chronique des faits-divers. Le 24 avril 2018, il a par exemple été placé en garde à vue à l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales de Nanterre avant d’être mis en examen pour « corruption d’agent public étranger », « complicité d’abus de confiance » et « faux et usage de faux ». En attendant la suite de la procédure, force est de constater que les déboires judiciaires de l’homme d’affaires français le plus connu en Afrique délient les langues sur le continent. D’Abidjan à Yaoundé, en passant par Cotonou, les révélations sur les méthodes peu orthodoxes des dirigeants de Bolloré se multiplient. Que fait vraiment Bolloré en Afrique ? C’est la question à laquelle cette édition du Journal de l’Afrique tente de répondre. 4 Olivier A. Ndenkop & Carlos Sielenou Bolloré, la Françafrique et le capitalisme attrape-tout En temps de paix comme en période de guerre, il poursuit ses activités en Afrique et y fait toujours plus de bénéfices. Présent dans 46 pays sur les 54 que compte le continent, le groupe Bolloré peut, à juste titre, être présenté comme le plus grand ambassadeur de l’économie française en Afrique. Mais, à quoi doit-il cette performance ? Enquête sur une multinationale qui séduit au Nord mais inquiète au Sud. Par Olivier Atemsing Ndenkop 5 Implantation du groupe Bolloré en Afrique. Source : Bolloré De la colonisation au néocolonialisme L’histoire africaine du groupe Bolloré est intiment liée à celle du colonialisme français en Afrique. Elle commence indirectement en 1927 avec la prise du contrôle du port de Dakar par la SCAC/SOCOPAO. Le port sénégalais devient le point de passage privilégié du cacao, café et caoutchouc produits sur le sol africain par les colons occidentaux. En 1986, Bolloré rachète les sociétés coloniales SCAC/SOCOPAO à la Compagnie financière de Suez. C’est le début de sa saga africaine. 6 Au printemps 1991, Bolloré reprend la compagnie maritime Delmas- Vieljeux. L’objectif est clair : tirer d’énormes profits sur le flux des matières premières et des produits finis entre l’Afrique et l’Occident. En ce début de la décennie 90, les économies africaines subissent de plein fouet les contrecoups de la détérioration des termes de l’échange. Pour sortir la tête de l’eau, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international imposent une thérapie de choc : la privatisation des sociétés publiques. Ces institutions financières poussent les Etats africains à céder les pans entiers de leur économie aux acteurs privés. Les multinationales occidentales raflent la mise. C’est le sacre du néocolonialisme. Et Bolloré est à l’avant-garde. En 1995, il prend le contrôle de Sitarail, une société ferroviaire binationale qui exploite la ligne ferrée qui va d’Ouagadougou au Burkina Faso à Abidjan en Côte d'Ivoire. En 1999, la Régie nationale des chemins de fer du Cameroun rejoint le portefeuille du Groupe Bolloré et devient Camrail. Depuis la reprise du rail camerounais, Bolloré a privilégié le transport des marchandises, plus rentable et moins exigeant ; délaissant le transport des passagers. L’un des trains exploités au Cameroun par Bolloré a d’ailleurs déraillé le 21 octobre 2016 à Eséka, faisant 79 morts. Les résultats de l’enquête commise par le président camerounais et conduite par quatre experts a conclu que Bolloré est « totalement et pleinement responsable » de cette catastrophe ferroviaire. Du néocolonialisme à la Françafrique Depuis son arrivée en Afrique jusqu’à nos jours, les plaintes s’amoncèlent contre ce capitaliste visiblement insatiable. Mais, il enchaine aussi les concessions. Pour justifier ses nombreuses prises, le groupe Bolloré met en 7 avant la stabilité de son actionnariat qui lui permet de faire des « investissements à long terme », sa « grande surface financière » (10,582 milliards d’euros de capitalisation au 13 janvier 2017), sa « maîtrise des technologies de pointe » et la solide formation/expérience de sa ressource humaine. Mais il y a un envers du décor. Les fruits de la diplomatie parallèle Selon plusieurs témoignages, Bolloré fait régulièrement recours à des intermédiaires pour remporter ses victoires sur le continent. En l’an 2000, le milliardaire breton a eu l’ingénieuse idée de recruter un vieux routier des réseaux françafricains. Un homme qui peut appeler plusieurs présidents africains sur leur téléphone portable. Michel Roussin puisqu’il s’agit de lui, est un ancien sous-préfet passé par les renseignements. Il a occupé les fonctions de ministre de la Coopération entre mai 1993 et novembre 1994. Le nouveau vice-président du groupe Bolloré peut donc réveiller ses réseaux pour faciliter l’obtention des marchés. Finalement en terrain conquis, Bolloré étend ses domaines d’activités. En 2004-2005, il obtient la gestion des ports d’Abidjan en Côte d’Ivoire et de Douala au Cameroun. En 2018, la multinationale française gère 18 ports en Afrique (cliquez pour voir la liste : https://www.bollore-ports.com/reseau-mondial/afrique.html), trois compagnies ferroviaires (Sitarail, Camrail et Benirail). A travers la société Socfinal, elle exploite les plantations d’hévéa et d’huile de palme sur 187 000 hectares en Côte d’Ivoire, au Libéria, en République démocratique du Congo, au Nigeria, au Kenya et au Cameroun. Entretemps, Bolloré a créé des médias qui lui permettent de relooker l’image de ses partenaires africains. Sur la chaîne Direct8, les présidents des pays où 8 le Groupe opère sont présentés comme des modèles de bonne gouvernance. Les présidents Sassou Nguesso, Paul Biya, Abdoulaye Wade y sont couverts d’interminables éloges. En 2007 par exemple, alors que le chef de l’Etat camerounais est en visite en France, Matin Plus, quotidien gratuit édité par le groupe Bolloré consacre sa grande une à ce dictateur invétéré avec pour titre : « Paul Biya. Le président du Cameroun reçu à l’Elysée ». Ce n’était plus arrivé depuis longtemps qu’un journal français réserve un traitement aussi bienveillant à un président au pouvoir depuis… 25 ans. De la communication à la corruption Le milliardaire Vincent Bolloré a été placé en garde à vue le 24 avril 2018 à l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales de Nanterre avant d’être mis en examen pour « corruption d’agent public étranger », « complicité d’abus de confiance » et « faux et usage de faux ». Il est soupçonné d’avoir obtenu des concessions portuaires en Guinée et au Togo dans des conditions douteuses. Les faits reprochés à Vincent Bolloré remontent à 2010. Au mois de novembre de cette année-là, l’une de ses sociétés dénommée Havas et spécialisée dans la communication conduit la campagne électorale du candidat victorieux Alpha Condé. L’investiture du nouveau président guinéen a lieu le 21 décembre 2010. Le vieil opposant reçoit ses attributs de chef d’Etat. Première surprise : trois mois seulement après sa prise de fonction et contre toute attente, le président Alpha Condé signe un décret portant résiliation du contrat de Necotrans. La décision présidentielle est d’autant plus surprenante que trois ans avant (en 2008), Getma, la filiale locale de Necotrans avait obtenu un contrat de 9 25 ans pour gérer le port de Conakry. Deuxième surprise : le port de Conakry est aussitôt confié au groupe Bolloré. Une bataille judiciaire s’ouvre en France pour contester la nouvelle cession. Necotrans qui vient d’être chassé comme un malpropre saisit le Tribunal de commerce de Nanterre. Le 10 octobre 2013, le groupe Bolloré est condamné à lui verser 2,1 millions d’euros pour des travaux déjà réalisés sur la place portuaire de Conakry. Les difficultés de Bolloré ne s’arrêtent pas là. Il est soupçonné d’avoir sous- facturé ses prestations de communication lors de la campagne électorale pour obtenir la concession du port de Conakry comme cadeau en cas de victoire du candidat Condé. Autre lieu, même grief. En 2010, le port de Lomé est confié à Bolloré dont la société Havas venait d’assurer la campagne du candidat Faure Gnassimbé. Saisis, les courriels de Jean-Philippe Dorent, cadre d’Havas confirmeront les soupçons de la police. D’où la mise en examen de l’industriel breton. Bolloré poursuivi pour avoir fait ce qu’il a toujours fait Si ses démêlés avec la justice sont suivis avec autant d’attention en Afrique comme en témoignent uploads/Geographie/ le-journal-de-l-x27-afrique-bollore-l-x27-africain.pdf

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