Fénelon LA LETTRE A LOUIS XIV (1694) La personne, Sire, qui prend la liberté de
Fénelon LA LETTRE A LOUIS XIV (1694) La personne, Sire, qui prend la liberté de vous écrire cette lettre n'a aucun intérêt en ce monde. Elle n'écrit ni par chagrin, ni par ambition, ni par envie de se mêler des grandes affaires. Elle vous aime sans être connue de vous, elle regarde Dieu en votre personne. Avec toute votre puissance vous ne pouvez lui donner aucun bien qu'elle désire, et il n'y a aucun mal qu'elle ne souffrît de bon cœur pour vous faire connaître les vérités nécessaires à votre salut. Si elle vous parle fortement, n'en soyez pas étonné, c'est que la vérité est libre et forte. Vous n'êtes guère accoutumé à l'entendre. Les gens accoutumés à être flattés prennent aisément pour chagrin1, pour âpreté et pour excès ce qui n'est que la vérité toute pure. C'est la trahir, que de ne vous la montrer pas dans toute son étendue. Dieu est témoin que la personne qui vous parle le fait avec un cœur plein de zèle, de respect, de fidélité, et d'attendrissement sur tout ce qui regarde votre véritable intérêt. Vous êtes né, Sire, avec un cœur droit et équitable, mais ceux qui vous ont élevé ne vous ont donné pour science de gouverner que la défiance, la jalousie, l'éloignement de la vertu la crainte de tout mérite éclatant, goût des hommes souples et rampants, la hauteur, et l'attention à votre seul intérêt. [...] Cependant vos peuples, que vous devriez aimer comme vos enfants et qui ont été jusqu'ici si passionnés pour vous, meurent de faim. La culture des terres est presque abandonnée, les villes et la campagne se dépeuplent; tous les métiers languissent2 et ne nourrissent plus les ouvriers. Tout commerce est anéanti. Par conséquent, vous avez détruit la moitié des forces réelles du dedans de votre État, pour faire et pour défendre de vaines conquêtes au dehors. Au lieu de tirer de l'argent de ce pauvre peuple, il faudrait lui faire l'aumône et le nourrir. La France entière n'est plus qu'un grand hôpital désolé et sans provision. Les magistrats sont avilis et épuisés. La noblesse, dont tout le bien est en décret, ne vit que de lettres d’État. Vous êtes importuné de la foule des gens qui demandent et qui murmurent. C'est vous-même, Sire, qui vous êtes attiré tous ces embarras ; car, tout le royaume ayant été ruiné, vous avez tout entre vos mains, et personne ne peut plus vivre que de vos dons. Voilà ce grand royaume si florissant sous un roi qu'on nous dépeint tous les jours comme les délices du peuple, et qui le serait en effet si les conseils flatteurs ne l'avaient point empoisonné. Le peuple même (il faut tout dire), qui vous a tant aimé qui a eu tant de confiance commence à perdre l'amitié, la confiance et le respect. Vos victoires et vos conquêtes ne le réjouissent plus; il est plein d'aigreur et de désespoir. La sédition3 s'allume peu à peu de toutes parts. Ils croient que vous n'avez aucune pitié de leurs maux, que vous n'aimez que votre autorité votre gloire. Si le roi, dit-on, avait un cœur de père pour son peuple, ne mettrait-il pas plutôt sa gloire à leur donner du pain et à les faire respirer après tant de maux, qu'à garder quelques places de la frontière qui causent la guerre ? Quelle réponse à cela, Sire ? Les émotions populaires, qui étaient inconnues depuis si longtemps, deviennent fréquentes. Paris même, si près de vous, n'en est pas exempt4. Les magistrats sont contraints de tolérer l'insolence des mutins5 et de faire couler sous main quelque monnaie pour les apaiser ; ainsi on paye ceux qu'il faudrait punir. Vous êtes réduit à la honteuse et déplorable extrémité ou de laisser la sédition impunie et de l'accroître par cette impunité, ou de faire massacrer avec inhumanité des peuples que vous mettez au désespoir en leur arrachant, par vos impôts pour cette guerre, le pain qu'ils tâchent de gagner à la sueur de leurs visages. Mais, pendant qu'ils manquent de pain, vous manquez vous-même d'argent et vous ne voulez pas voir l'extrémité où vous êtes réduit. Parce que vous avez toujours été heureux, vous ne pouvez vous imaginer que vous cessiez jamais de l'être. Vous craignez d'ouvrir les yeux ; vous craignez d'être réduit à rabattre quelque chose de votre gloire. Cette gloire, qui endurcit votre cœur, vous est plus chère que la justice, que votre propre repos, que la conservation de vos peuples qui périssent tous les jours de maladies causées par 1a famine, enfin que votre salut éternel incompatible avec cette idole de gloire. […] • argumentation directe : la thèse de F. = il veut alerter le roi sur l'état désastreux du pays, du fait 1 tristesse 2 Ici dépérir 3 révolte 4 Délivré, libéré 5 rebelles des guerres et de son désir de gloire ( l'orgueil du roi). C'est la seconde femme de L XIV, Mme de Maintenon, qui a été la destinataire de la lettre. F. espérait qu'elle pourrait influencer le roi. Les arguments • reproche à Louis XIV ses trop nombreuses guerres qui ruinent la France • Le roi ne s'occupe pas du bien-être du peuple • les terres ne sont plus cultivées, faute de paysans partis à la guerre // aux XVII et XVIII ème siècles une petite ère glaciaire : récoltes moins abondantes + disettes + famine • le peuple perd la confiance qu'il avait pour le roi : l 25, «plein d'aigreur et de désespoir » • gradation • vos peuples, que vous devriez aimer comme vos enfants : ici emploi du mode conditionnel ( mode de l'hypothèse, de ce qui pourrait exister) présent =//= mode indicatif ( mode des faits réels) le roi doit se conduire comme un père • métaphore • synecdoque : désigner une personne/ un objet par une partie de cette personne ou de cet objet • anadiplose : ___________A. A____________ figure d'insistance ici la gloire est un obstacle pour le roi • questions rhétoriques : fausses questions : manière d'interpeller Louis XIV de manière plus directe • autre argument de F. : la misère engendre des révoltes qu'il est difficile d'apaiser pour la justice = soit les magistrats paient les mutins pour les calmer ( mais cela encourage la révolte) soit ils répriment la révolte avec inhumanité. • arrachant, par vos impôts pour cette guerre, le pain qu'ils tâchent de gagner à la sueur de leurs visages. : référence à la Bible à la genèse : punition d'Adam « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » le pain = synecdoque qui désigne la nourriture. Le roi leur vole leur pain, sa punition est plus cruelle que celle de dieu lui-même • qu'ils manquent de pain, vous manquez vous-même d'argent : répétition et parallélisme = l'état du peuple reflète celui de l'état, du royaume • 1er § : « elle regarde Dieu en votre personne »= F. réaffirme son respect pour la monarchie de droit divin ( le roi désigné par dieu et le représentant sur terre) Précautions oratoires : Louis Xiv risque d'être vexé car il est habitué à être flatté chercher une problématique + axes + procédés Introduction : (Présentation de l'auteur) : François de Salignac de La Mothe-Fénelon (1651-1715) dit Fénelon est issu d'une famille noble mais appauvrie. Il reçut une solide formation intellectuelle et étudia la rhétorique et la philosophie. Il devint un homme d’Église ( l' archevêque de Cambrai ) et fut dès 1689, le précepteur du petit fils de Louis XIV, le duc de Bourgogne . En 1699 après la publication de son roman Les aventures de Télémaque, roman d'éducation d'aventures et de voyages considéré comme une critique du régime et destiné à son élève royal, il tomba en disgrâce et fut banni de la cour, séjourna en Belgique puis revint à Cambrai où il mourut. Bien que classique, notamment par son inspiration antique, il est parfois considéré comme un précurseur des Lumières : son héros Télémaque est le fils d'Ulysse. Son personnage principal voyage à travers les pays de l'Antiquité, guidé par Mentor, le porte-parole de Fénelon. (Présentation du texte) Cet extrait de la lettre dite « Lettre à Louis XIV », écrite en décembre 1693 s'apparente à un pamphlet ( court écrit satirique) et développe le registre polémique (de polemos, grec = guerre donc = l'art de combattre avec les mots). Fénelon la fit parvenir anonymement à Mme de Maintenon, seconde épouse de L XIV afin de la sensibiliser et influencer indirectement le roi. C'est une lettre très courageuse qui démontre à quels désastres sociaux et politiques ont mené les actions de Louis XIV, en particulier les nombreuses guerres menées contre ses voisins européens qui ont laissé la France exsangue. (Problématique :) Comment F cherche-t-il à convaincre Louis XIV ? (Annonce du plan) Nous verrons donc que Fénelon essaie d'une part de convaincre le roi par une argumentation objective qui constitue une critique de son règne et qu'il utilise d'autre part les procédés uploads/Geographie/ la-lettre-a-louis-xiv-1ere-stmg2.pdf
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- Publié le Mar 06, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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