JOSEPH LE GRAS L'EXTRAVAGANTE PERSONNALITE DE JACQUES CASANOVA CHEVALIER D'INDU

JOSEPH LE GRAS L'EXTRAVAGANTE PERSONNALITE DE JACQUES CASANOVA CHEVALIER D'INDUSTRIE 1725-1798 « Le temps donne au plaisir n'esl jamais un temps perdu. » Casanova. PARIS BERNARD GRASSET EDITEUR 64, RUE DES SAINTS-l'^RE.^, 01 £ IL A KTE TIRK DE GET OUVRAGE I dix exemplaives stir v^lin pur fil des papeterics Lafuma, numirotes de i a iO. Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation reserves pour tous pays. Copyright by Bernard Grasset, i92S. D INTRODUCTION LE CASANOVA DES « MEMOIRES » Emporte dans ime berline confor table, dont les coffres sont abondamment pourvus de viandes, de pates et de vins; una femme sur les genoux, une autre parfois a ses cutes qui se frotte amou- reusement a lui; vetu de riches v^tements, le jabot et les manchettes enjolives de fines den- telles, les goussets garnis de montres precieuses, le ventre chatouille de breloques, les doigts etin- celants de bagues, les poches tintant d'or et le mollet caresse dans la soie; reclamant a grand bruit les meilleurs chevaux aux relais, la plus belle chambre dans les auberges, jetant sa bourse a I'hotelier et repartant au milieu des reverences et des courbettes ; tel nous apparait, en une atti- JACOUES CASANOVA tude un peu conventionnelle, raventurier Casa- nova au temps de sa splendeur. II arrive dans la ville oil le conduit son caprice ou son interet. Le soir meme, il en connait les intrigues et les racontars. Deux jours apres, il y joue son propre rOle. Huit jours plus tard, il occupe i'opinion publique. II se presente, il sait plaire, il plait. II a la tournure elegante, le regard assure, le geste aise, de la prestance, du prestige et de I'entre- gent. Comme tous les mondains, il pratique a merveille I'art de dissimuler ses imperfections pour ne reveler que des dehors avantageux. Phy- sionomisle et perspicace, il assene un compliment ou flatte avec finesse, selon qu'il s'adresse a un sot ou a un homme d'esprit. II parle avec aplomb, et non sans justesse, des sujets les plus divers, litterature, philosophie, histoire sacree et pro- fane, theologie, theosophie, peinture, finances, sciences, sociologie, art militaire, navigation, religion... et femmes. Mieux que personne, il sait se rendre indispensable, organiser une partie de plaisir, donner un repas magnifique, tourner un sonnet, perdre avec desinvolture une forte somme au jeu, et mieux encore la gagner. Admis dans une famille, il deviant I'ami et le bienfaiteur de tous, enjule le mari, courtise la femme, marie la fiUe, caresse la servante et baise la main de I'aieule : bien entendu, il ne va pas sans en tirer quelque profit. II est munificent, obligeant, volontiers genereux, mais a condition INTRODUCTION qu'on le sache. II frequente les grands seigneurs, se recommande des ministres, seglisse a la Cour. Ce n'est plus Casanova, c'estle Chevalier de Sein- galt, en somme un gros personnage, ou du moins son apparence, ce qui pour lui prime tout. Mais suivons-le. Nous le verrons bientot sous un autre equipage, vetements elimes, linge dou- teux, gousset vide et ventre creux. Le teint pali, I'orbite cave, il montre I'echine maigre de ceux qui cherchent la bonne aubaine d'un repas, ou, au contraire, s'empate dans le fade embon- point du prisonnier fraichement libere. II vit d'expedients, de combinaisons louches, rase les murs, ne sort qu'a la nuit, rentre par la porte de derriere, I'oreille dressee, I'oeil oblique, le pas feutre. Tout inconnu lui est suspect; partout il voit des espions, et le monde lui semble peuple de sbires, estaffiers, ajguazils, policiers, huissiers^, greffiers, juges et geoliers. Traque, decrie, cons- pue, il fuit sans cesse, au hasard des grands chemins, des faubourgs ou des bouges, et ronge le pain amer de la misere avec des sursauts soudains d'audace, d'insolence et d'effronterie. Jamais il ne se lasse, jamais il ne cesse d'epier les bonnes occasions. Que son etoile se remette a luire : un coup de reins, et la roue de la For- tune sortant enfm de I'orniere et de la boue, lui permettra de montera nouveau vers une destinee plus heureuse ou plus brillante. Voiia les deux p6les de son existence. Entre 4 TACQUES CASANOVA ces extremes, il parcoiirut tons les degres. Sa vie est un jeu, sa divinite protectrice la Chance. II a toujours compte sur elle et tout fait pour la corri- ger a son avantage. Hardi, courageux, entrepre- nant, confiant en lui-meme, I'esprit prompt et I'imagination fertile, sans frein, iibre de prejuges et surtout de scrupules, il est le type acheve de I'aventurier. A I'aventure il consacre sa vie entiere. Rien ne le detourne de son but : il peut s'echapper de la prison des Plombs et salt eviter les galeres, la pendaison ou I'assassinat. Pendant plus de cinquante ans, par tons les moyens, malgre tout et en vers tons, il ne connait d'aulre dessein que la satisfaction de ses appetits, de ses ambitions, de ses passions. Et Dieu sait si les uns et les autres sont vifs ! Jamais il ne s'assagit. Son ideal personnel du bonheur, sa conception particu- liere de la vie, ses reves et ses folies, il en poursuit la realisation avec une insigne tenacite, II parcourt I'Europe, de Madrid a Saint-Peters- bourg et de Londres a Constantinople, devieiit le familier de quelques hauts personnages, et peut, grace a eux, converser avec Frederic le Grand, Joseph II, Catherine II, etre remarque par M"ie de Pompadour, so disputer avec Vol- taire ou faire rire le Pape. Entre temps sa societe habituelle se compose d'escrocs, cou- peurs de bourse, chevaliers d'industrie, abbes equivoques, poetes fameliques, comediens et INTRODUCTION filous. Tour a tour splendide ou modeste, mais toujours seduisant, il est Tarni, Tamant ou le conseiller de femmes de toutes sortes, grandes dames, bourgeoises, nonnes, paysannes, actrices, danseuses, entremetteuses, pensionnaires de maisons publiques, fruits verts et poires blettes. II remue i'or a pleines mains et il vole pour pouvoir manger. Gette vie intense et mouve- mentee, racontee dans les Memoires, forme un extraordinaire roman d'aventures oii se ren- contrent les peripeties les plus extravagantes, les avatars les plus inattendus, les episodes les plus savoureux, a cote des anecdotes les plus char- mantes et les plus libres. C'est que Casanova vecut a une epoque qui reunit tons les contrastes, dans la deuxieme moitie de ce xviif siecle, a la fois gracieux et frenetique, le plus raffine et le plus debraille de I'histoire moderne, fait de legeretes et de vio- lences, de sensiblerie et de ferocite, de grdce voluptueuse et de secheresse de coeur. Casanova n'ignore rien de ce temps-la. II eut la chance d'etre mele aux affaires les plus differentes, de frequenter les societes les plus opposees, de par- courir les pays les plus dissemblables, en un mot, de penetrer dans tous les milieux. Aussi, est-il pour nous un guide incomparable. II nous con- duit des coulisses italiennes a la Cour de Louis XV, des convents mondains de Venise aux corridas espagnoles, du Vatican au Palais Royal et des 6 JACQUES CA.SANOVA jardinspalsiblesde Constantinople aux eslaminets de llollande. II a tout vu, tout experinaente ; il s'est tout assimile. Et ce qu'il a vu et senti, il nous le represente avec une incroyable intensite. II nous entraine a sa suite, nous oblige a vivre dans une suggestive atmosphere, lei, une maison de jeu : le silence n'est trouble que par I'annonce des encheres et par le bruit discret de Tor ; on per- foit sur les visages la fausse impassibilite des gagnants, le rictus des malchanceux ; tout a coup les voix s'enflent ; I'altercation eclate : les cartes sont maquillees ou les des pipes. Ailleurs, dans un jardin a la fran^aise, c'est une fete galante, quelque embarquement pour Cythere ; des belles pesent, degrafees, au bras des amants avec des soupirs ou des rires. Plus loin c'est, aux DSlices, la Gour de Voltaire, et le choeur des adorateurs qui, sous la haute direction de M^ie Denis, adule et encense le maigre vieillard, ricanant, affaire, important et rageur. — Tournez quelques pages, c'est le cliquetis d'un duel. Quelques autres, c'est le tohu-bohu d'une mascarade, le petit lever d'une jolie femme ou la mise en scene d'une operation cabalistique. Tout fourmille de vie, d'entrain et de couleur. Nous sommes saisis dans les remous d'une cohue bariolee et tumultueuse ou les personnages les plus divers se croisent, se melent, se heurtent, se coudoient, rois, ministres, courtisans, financiers, cardinaux et petits abbes, moines mendiants et gras chanoines, princesses, INTRODUCTION 7 soubrettes et filles de joie, magiciens, spadassins, vauriens, gens de robe, de plume ou d'epee, de sac et de corde, une foule de carnaval ou ron reconnait maint profil historique. Et, au premier plan, Casanova tient tete a tous, se demene, se multiplie, toujours pret a une prouesse amou- reuse, a une vantardise, a une filouterie, et meme a une bonne action. 11 est universel et rien chez lui n'est banal. II nous intrigue, il nous amuse. II nous plait sur- tout par sa nature bouillante et primesautiere, son ardeur au plaisir, sa verve, son assurance, son incontestable originalite. Sa puissance d'attrac- uploads/Geographie/ joseph-le-gras-l-extravagante-personnalite-de-jacques-casanova.pdf

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