« Si vous parlez de démocratie, ils vous tuent. Si je retourne en Éthiopie, peu
« Si vous parlez de démocratie, ils vous tuent. Si je retourne en Éthiopie, peut-être qu’ils vont me tuer, ou me mettre en prison. » Après avoir décroché la médaille d’argent au marathon des Jeux olympiques de Rio, Feyisa Lilesa a braqué les projecteurs sur l’Éthiopie. Il aura fallu que ce coureur franchisse la ligne d’arrivée en croisant les bras au-dessus de la tête pour que les médias s’intéressent un peu aux manifestations sévèrement réprimées qui font trembler le régime depuis plus d’un an. Comment l’Éthiopie a-t-elle sombré dans une nouvelle dictature après s’être délivrée de Sélassié et de Mengistu ? La famine sévit toujours ; la faute aux phénomènes climatiques ou au programme de location des terres qui brade les richesses du pays aux multinationales de l’agrobusiness ? Meles Zenawi était-il vraiment un dirigeant africain admirable qui s’est battu pour « sortir des millions d’Éthiopiens de la pauvreté grâce à son action en faveur de la sécurité alimentaire », comme l’a déclaré Obama ? Pourquoi un milliardaire saoudien, originaire d’Éthiopie, a-t-il versé un chèque de deux millions de dollars à la Fondation Clinton ? Dans cette dernière partie de notre entretien, Mohamed Hassan dévoile les enjeux d’une crise qui pourrait radicalement changer le visage de l’Éthiopie. Il en appelle à l’union des forces progressistes éthiopiennes pour sauver le pays de l’implosion. Partie 1: L’empire de Sélassié Partie 2: La dictature militaire de Mengistu En 1991, le lieutenant-colonel Mengistu est renversé après dix-sept années de pouvoir. Le Front de libération du Peuple du Tigré (TPLF) a largement contribué à la chute du dictateur en combattant l’armée du Derg aux côtés des Érythréens. Ce mouvement d’opposition réclamait alors l’indépendance du Tigré. Mais lorsque Mengistu s’enfuit, Meles Zenawi, le leader du TPLF, s’installe à Addis-Abeba. Pourquoi ? L’historien britannique Eric Hobsbawm a réalisé une étude très intéressante du banditisme[1]. Il distingue tout d’abord les bandits des criminels des bas-fonds, le banditisme social constituant « un défi de principe pour l’ordre établi de la société de classes et pour son fonctionnement politique, quels que soient les arrangements qu’il trouve en pratique avec les deux. » Hobsbawm ajoute que les bandits « partagent les valeurs et les aspirations du monde paysan et, en tant que hors-la-loi et rebelles, sont généralement sensibles à ses poussées révolutionnaires. » En s’appuyant sur de nombreux exemples, l’historien démontre ainsi que les bandits et les révolutionnaires sont semblables à bien des égards. Mais il y a quand même un aspect fondamental qui différencie les deux selon Hobsbawm : contrairement aux révolutionnaires, les bandits n’ont pas vraiment de projet de société. Si je vous explique cela, c’est parce qu’en Éthiopie, Zenawi et le TPLF n’étaient pas des révolutionnaires, mais des bandits. Ils tenaient pourtant un discours très engagé… Mais ce jargon n’a servi qu’à masquer le vide abyssal de leur projet. L’idée de Zenawi était simple : d’abord, prendre la capitale Addis-Abeba et ensuite, organiser un referendum qui aurait accordé l’indépendance au Tigré. Mais qui aurait accepté cela ? Certainement pas la communauté internationale. Et encore moins l’Organisation de l’Unité Africaine qui tenait au strict respect des frontières du continent de peur de voir l’Afrique s’embraser. L’idée de Zenawi était donc simple sur le plan théorique. Mais en pratique, elle était difficilement réalisable. Un autre facteur va le faire changer d’avis : le soutien des Etats- Unis. En effet, le rebelle du Tigré avait l’opportunité de prendre les rênes de l’Éthiopie plutôt que d’arracher l’indépendance de sa région. Et Washington l’a soutenu dans le premier choix. Comment Zenawi était-il entré en relation avec les Etats-Unis ? Mengistu était soutenu par l’Union soviétique. Si bien que Washington s’intéressait aux mouvements qui combattaient le principal allié africain de Moscou. Le TPLF a ainsi noué de nombreux contacts avec les Occidentaux, principalement les Etats-Unis. Les ONG présentes dans la région ont facilité les choses. Sous couvert d’actions humanitaires, elles étaient actives dans le maquis et pouvaient jouer les intermédiaires entre la rébellion du Tigré et les autorités US. C’est d’ailleurs comme ça que Zenawi a rencontré l’une de ses meilleures amies, Gayle Smith. Elle travaillait pour l’une de ces ONG présentes au Tigré durant la guérilla. Récemment, Obama l’a nommée à la tête de l’Agence des États-Unis pour le Développement International (USAID). Officiellement, cet organisme a pour mission d’aider les pauvres, de promouvoir la démocratie et de secourir les victimes de catastrophes naturelles. Dans les faits, l’USAID travaille avec le Département d’État et la CIA pour mener toute une série d’opérations sales. Particulièrement active en Amérique latine, cette agence s’est notamment illustrée lors de la tentative de coup d’État contre Hugo Chavez en 2002. Je ne suis pas étonné que la meilleure amie de Zenawi se soit retrouvée à la tête de cette organisation. Pourquoi les Etats-Unis ont-ils misé sur le TPLF, une organisation maoïste devenue pro- albanaise ? À la fin des années 80, le régime de Mengistu était à l’agonie. Ce régime pseudo- marxiste était l’un des principaux alliés africains de l’Union soviétique. Il avait par ailleurs nationalisé de vastes pans de l’économie éthiopienne alors que l’empereur Sélassié avait ouvert le pays aux multinationales. Avec la chute du Derg, les Etats-Unis pouvaient espérer récupérer l’Éthiopie dans leur cercle d’influence. Encore fallait-il miser sur le bon cheval pour remplacer Mengistu. Pour les Etats-Unis, la situation rappelait furieusement la montée au pouvoir de Sélassié. Souvenez-vous, nous avons vu dans la première partie de cet entretien comment le Département d’État avait trouvé un client idéal en la personne de Sélassié. C’était un jeune régent, imbu de sa personne et qui manquait cruellement d’analyse politique. Avec un tel dirigeant à la tête de l’Éthiopie, les Etats-Unis pouvaient espérer faire fructifier leurs intérêts dans ce grand pays d’Afrique. Ils ne seront pas déçus. La parenthèse du Derg a compromis les relations américano-éthiopiennes. Mais avec Zenawi, la chance souriait à nouveau aux Etats-Unis. En effet, les cadres du TPLF n’avaient pas une bonne connaissance de l’Éthiopie et de ses différentes régions. Leurs discours pseudo- marxistes masquaient un manque cruel de perspectives. Ils étaient vindicatifs, mais n’avaient pas de véritables projets. Leurs saillies contre l’impérialisme résonnaient faussement et leur compréhension du monde était très pauvre. Enfin, les bandits du TPLF étaient des girouettes qui gobaient tout ce qu’on leur donnait. Ils passaient ainsi d’un courant marxiste à l’autre. Et si Ben Laden avait envoyé une délégation auprès de Zenawi, le TPLF serait probablement devenu la branche chrétienne d’Al-Qaida dès le lendemain. La vacuité et la versatilité de ces bandits en faisaient de potentielles marionnettes de l’impérialisme US. Une fois de plus, les Etats-Unis ne seront pas déçus. Zenawi prend donc le pouvoir en Éthiopie, mais sans véritable projet. Y a-t-il malgré tout des changements ? Le changement le plus notable est apporté à la structure de l’État. Avançant sous la couverture de la coalition du Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (EPRDF), le TPLF a introduit le fédéralisme ethnique en Éthiopie. Nous l’avons vu, le centralisme du Derg et son chauvinisme Amhara avaient engendré une multitude de mouvements de résistance basés sur des identités ethniques. Partant de là, le TPLF pensait résoudre tous les problèmes de l’Éthiopie en divisant le pays en neuf États régionaux disposant d’une relative autonomie. Évidemment, la tâche était complexe. L’Éthiopie est composée de nombreuses nationalités qui ne restent pas cantonnées dans des territoires strictement définis. Il y avait des déplacements de population et des mariages interethniques qui n’arrangeaient rien à l’affaire. Malgré tout, partant du travail de l’Institut des nationalités mis sur pied par Mengistu, une Commission spéciale créa neuf régions, appelées kilils. Le critère déterminant était la langue. La délimitation de ces territoires devait nécessairement amener des conflits. Mais dans un premier temps, ces problèmes étaient mis de côté. Comment les différentes nationalités éthiopiennes ont-elles accueilli ce nouvel État fédéral ? Plutôt bien au départ. Sous le Derg, l’égalité des nationalités était restée un vœu pieux. Par ailleurs, l’Éthiopie n’avait connu que des pouvoirs extrêmement centralisés depuis son unification. Mais voilà que la nouvelle Constitution du TPLF proclamait : « Tout pouvoir souverain réside dans les Nations, Nationalités et Peuples d’Éthiopie« . Chaque région était invitée à élire ses propres représentants et à établir ses propres institutions gouvernementales sur son territoire. Cette décentralisation offrit des opportunités aux diplômés des nationalités vivant dans la périphérie. L’administration publique devenait un nouvel eldorado pour ces jeunes relativement éduqués qui n’avaient jamais pu espérer prendre l’ascenseur social lorsque le pouvoir était monopolisé par l’élite Amhara. Toutefois, la réforme buta sur quelques obstacles. D’abord, il suffisait parfois de savoir lire ou écrire pour se démarquer des autres et intégrer la fonction publique. Dans certaines régions, des personnes qui n’en avaient pas vraiment les compétences se sont donc retrouvées à occuper des postes importants. Cela pénalisait le fonctionnement de l’administration évidemment. Des rivalités claniques ont également éclaté par endroits. Quand ce n’était pas la corruption qui se développait. Ensuite, il y avait une marge énorme entre la théorie et la pratique. Comprenez par là que, dans les faits, uploads/Geographie/ histoire-de-l-x27-ethiopie.pdf
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- Publié le Jan 07, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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