391 Villes portuaires et réseaux marchands en Chine, au Japon et en Asie du Sud

391 Villes portuaires et réseaux marchands en Chine, au Japon et en Asie du Sud-Est : Commerce, piraterie et géopolitique François Gipouloux is Emeritus Research Director at the CNRS, France Résumé. Cet espace de l’Asie de l’est comprend trois ensembles articulés, les zones côtières du sud- est de la Chine, la dorsale insulaire du Japon à Java et un chapelet de villes-entrepôts et de ports pour le commerce au loin. Pour la Chine, la mer est source de menace, mais apparaît aussi comme source de richesse. Les routes maritimes forment un réseau transnational dense où les ports et points d’appui sont intégrés et dominés par quelques grands ports comme Macao, Batavia, Taiwan. Mais les Qing se repliant sur une position continentale et les échanges commerciaux avec les étrangers se polarisant sur Canton, le commerce privé des jonques chinoises va décliner dès la fin du XVIIe siècle et davantage encore après 1760. Abstract. Maritime east Asia is comprised of three articulated groups: the coastal zones of southeast China, the island arc from Japan to Java, and a string of distant warehouse-cities and trade ports. For China, the sea was not only predominantly seen as a source of threat, but also as a source of wealth. The maritime routes form a dense transnational network in which the ports and pressure points were integrated and dominated by several large ports such as Macao, Batavia, and Taiwan. But with the Qing falling back on a continental position and commercial exchanges with foreigners focusing on Canton, private trade by Chinese junks declined from the end of the 17th century and even more after 1760. • • • Du XVIe siècle au début du XIXe siècle, la façade maritime de l’Asie de l’est apparaît comme une succession de bassins dont les frontières, flexibles, se recouvrent partiellement : mer d’Okhotsk, mer du Japon, golfe du Bohai, mer Jaune, mer de Chine du Sud. Ce système se prolonge à l’ouest en direction de l’océan Indien via le détroit de Malacca, et à l’est, vers la mer de Java, la mer de Sulu, la mer terms of use, available at https://www.cambridge.org/core/terms. https://doi.org/10.1017/9781782049098.040 Downloaded from https://www.cambridge.org/core. Access paid by the UCSF Library, on 08 Nov 2019 at 10:19:47, subject to the Cambridge Core François Gipouloux 392 des Célèbes, la mer d’Ambon, la mer de Corail et la mer de Tasman1. Trois articulations structurent ce long corridor maritime : les zones côtières du sud-est de la Chine ; une dorsale insulaire, le Japon, l’archipel des Ryûkyû, les Philippines, les Moluques, puis Java et Sumatra ; un chapelet de métropoles ou de villes entrepôts, qui commandent le commerce au loin – Ayutthaya, Malacca, Patani, Hôi-An, Macao, et plus tard, Manille et Batavia – et d’implantations portuaires au Champa, sur les côtes de l’Annam, à Palembang, sur la côte orientale de Java, et au nord de Taiwan2. Le déclin de l’agrarianisme qui avait marqué le début de la dynastie Ming et l’intérêt grandissant pour les activités mercantiles vont contribuer, vers le milieu du XVIe siècle, à la structuration des commerçants chinois en réseaux régionaux. Au XVIe siècle, les activités ultra-marines des marchands chinois s’étendent de la péninsule coréenne au nord, à Sumatra au sud. Alors que la puissance navale est vite devenue en Europe un instrument de la suprématie stratégique, la mer n’est pas perçue dans la tradition confucéenne comme un vecteur de puissance mais plutôt comme un facteur déstabilisant. La mer est source de menace. Si les activités ultra-marines des marchands chinois n’ont pas donné lieu, comme en Méditerranée ou dans le monde Atlantique, à des formalisations juridiques réglant le droit international privé, l’administration chinoise a rapidement compris que la mer pouvait être source de richesses. Quel rôle le commerce maritime a-t-il joué pendant cette période ? Pourquoi une région déshéritée – le sud du Fujian – à la périphérie de l’empire, s’est-elle érigée en point focal des réseaux de marchands impliqués dans le commerce ultra-marin pendant près de trois siècles, de 1500 à 1800, alors que la province n’a ni grand port ni hinterland riche ? Comment ont évolué les institutions économiques concernées par le commerce maritime ? Un continuum terre-mer : l’écoumène du commerce asiatique Le commerce maritime était une source importante de revenus sous les Tang et les Song. Il n’en a pas été de même au début de la dynastie Ming. L’obsession de la politique chinoise tient à l’époque en un sobre constat : « au nord, les barbares de la steppe, au sud les pirates japonais » (bei lu nan wo). Marginal par son volume et ses montants, le commerce extérieur chinois est réglé par un outil diplomatique, qui est également un monopole impérial, le commerce tributaire. Les échanges transocéaniques sont appelés tribut (gong) plutôt que commerce (shang) : « Fonder 1 Hamashita T., ‘Historical Transformation of Coastal Urban City Networks in China Sea Zones: Ryukyu Trade Networks under Tributary Trade System: 14th–17th Centuries’, The 4th International Conference of the World Committee of Maritime Culture Institutes, April 25–26, 2014, Korea Maritime and Ocean University. Voir aussi Ptak R., Some Glosses on the Sea Straits of Asia: Geography, Functions, Typology, http://www.eacrh.net/ojs/index.php/crossroads/ article/view/6/Vol1_Ptak_html 2 Gipouloux F., La Méditerranée asiatique – Villes portuaires et réseaux marchands en Chine, au Japon et en Asie du Sud-Est, XVIe-XXIe siècle, Paris: CNRS-Éditions (2009). terms of use, available at https://www.cambridge.org/core/terms. https://doi.org/10.1017/9781782049098.040 Downloaded from https://www.cambridge.org/core. Access paid by the UCSF Library, on 08 Nov 2019 at 10:19:47, subject to the Cambridge Core Chine, Japon et Asie du Sud-Est : commerce, piraterie et géopolitique 393 les échanges entre la Chine et le reste du monde sur l’égalité entre partenaires est non seulement politiquement inadéquat mais moralement dégradant3 », L’envoyé de la cour des Ming au royaume de Brunei déclare : « Notre empereur possède tout sous le ciel et n’a besoin de rien qui vienne de vous. Ce que nous demandons est votre obéissance, que vous deveniez un état vassal et que vous rejoignez la ‘famille’4 ». Chaque année l’administration indique clairement le montant et la périodicité du tribut pour chaque pays. La Corée doit ainsi offrir tribut une fois l’an ; l’archipel des Ryûkyû deux fois par an ; le Japon une fois tous les dix ans. Après avoir remis leurs tributs, les émissaires étrangers sont autorisés à vendre les marchandises provenant de leur pays. C’est la raison pour laquelle des marchands chinois se déguisent souvent en tributaires et corrompent les douanes afin de pouvoir entrer dans le Huitongguan, leur résidence officielle, et se livrer au commerce. Ces dispositions seront critiquées par de hauts fonctionnaires civils (Zhang Han, 1512-1595) ou des militaires de haut rang (Hu Zongxian, 1511-1565) en poste dans les provinces côtières. Ils observent que le commerce tributaire est inefficace car la demande entre les différents pays d’Asie et la Chine est telle que cette forme d’échange ritualisé ne peut la satisfaire, et donne donc à la contrebande les moyens de s’étendre. Le commerce tributaire consiste également à acheter à soumission des peuples voisins de la Chine en leur offrant des cadeaux et avantages disproportionnés alors qu’un commerce libéralisé bénéficierait à toutes les parties et serait mieux en mesure de garantir la paix. La prohibition des activités maritimes (hai jin) vise par conséquent à renforcer le commerce tributaire, ou plus exactement, elle en est le volet répressif. Elle comporte des dispositions sévères. En 1525, il est ordonné aux garde-côtes de détruire tous les navires à deux mâts construits sans la supervision des autorités, et d’en arrêter l’équipage. En 1569, il est interdit, sous peine de mort et de voir toute sa famille exécutée, de vendre sulfure ou salpêtre (nécessaires à la fabrication de la poudre à canon) aux pirates5. Ces mesures s’avèrent cependant incapable d’enrayer la contrebande. Les autorités administratives sont à la fois acteurs d’un processus de réglementation, voire de répression des activités illégales, et partie prenante d’activités économiques foisonnantes, à la frontière de la légalité, dont l’initiative revient à la société des marchands, du petit peuple, des employés de niveau subalterne, voire de militaires. Contrebande et piraterie Pendant un siècle, de 1522 à 1620 environ, un puissant courant de contrebande domine l’espace maritime asiatique. Zhangzhou en est le centre. La haute période 3 Li K., The Ming Maritime Trade Policy in Transition, 1368 to 1567, Wiesbaden: Harrassowitz Verlag (2010), p. 25. 4 Ibid., p. 25. 5 cf. Ho D., 'Sealords Live in Vain, Sealords Live in Vain: Fujian and the Making of a Maritime Frontier in Seventeenth Century China’, PhD Thesis, University of California San Diego (2011), pp. 64-65. terms of use, available at https://www.cambridge.org/core/terms. https://doi.org/10.1017/9781782049098.040 Downloaded from https://www.cambridge.org/core. Access paid by the UCSF Library, on 08 Nov 2019 at 10:19:47, subject to the Cambridge Core François Gipouloux 394 de l’activité des pirates se situe au milieu du XVIe siècle. De 1552 à 1563, 519 attaques de pirates sont recensées, dont 367 contre le Jiangnan6. Originaires du Fujian, du Guangdong, de l’Anhui et du Zhejiang, les commerçants-pirates établissent leurs bases à Shuangyu au large des côtes du Zhejiang (comme Wang Zhi, uploads/Geographie/ gipouloux-villes-portuaires-reseaux-marchands 1 .pdf

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