Les milieux naturels de la Russie © L’HARMATTAN, 2010 5-7, rue de l’École-Polyt
Les milieux naturels de la Russie © L’HARMATTAN, 2010 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-11992-5 EAN: 9782296119925 Laurent TOUCHART Les milieux naturels de la Russie Une biogéographie de l’immensité Ouvrages du même auteur : Touchart L. (2008) La vie au fil de l’eau. Lacs du monde. Grenoble, Glénat, 160 p. (ISBN 9-782723-464987). Brunaud D. & Touchart L. (2007) L’étang de Landes de sa création au classement en réserve naturelle. Guéret, Société des Sciences Naturelles, Archéologiques et Historiques de la Creuse, collection « Etudes creusoises », 106 p. Préface de M. le Président du Conseil Général de la Creuse Jean-Pierre Lozach. (ISBN 978-2-903661-35-9). Touchart L., Dir. (2007) Géographie de l’étang, des théories globales aux pratiques locales. Paris, L‟Harmattan, 228 p. (ISBN 978-2-296-02936- 1) Touchart L. & Graffouillère M., Dir. (2004) Les étangs limousins en questions. Limoges, Editions de l‟Aigle, 188 p., préfaces de Jean-Paul Bravard et Françoise Ardillier-Carras. (ISBN 2-9521309-0-6). Touchart L. (2003) Hydrologie, mers, fleuves et lacs. Paris, Armand Colin, collection « Campus », 190 p. (ISBN 9-782200-264611). Touchart L. (2002) Limnologie physique et dynamique, une géographie des lacs et des étangs. Paris, L‟Harmattan, 395 p. Ouvrage récompensé par le prix Jules Girard. (ISBN 2-7475-3463-4). Touchart L. (2000) Les lacs, origine et morphologie. Paris, L‟Harmattan, 210 p. (ISBN 2-7384-9800-0). Gautier E. & Touchart L. (1999) Fleuves et lacs. Paris, Armand Colin, collection « Synthèse », 96 p. (ISBN 9-782200-218300). Létolle R. & Touchart L. (1998) Grands lacs d’Asie. Paris, L‟Harmattan, 232 p. Ouvrage récompensé par le prix Francis Garnier. (ISBN 2-7384-7136- 6). Touchart L. (1998) Le lac Baïkal. Paris, L‟Harmattan, 240 p., préface de Martine Tabeaud. (ISBN 2-7384-6411-4). Milieux naturels de Russie 7 Avant-propos Provenant d‟I., chef-lieu de l‟oblast du même nom, une Lada à la carrosserie rayée et sans amortisseur emprunta avec fracas la route du lac. C‟était l‟une de ces Jigouli antédiluviennes que n‟utilisent plus en Russie que les hommes de terrain et les géographes pauvres. La voiture était conduite par deux habitants d‟I. A l‟arrière était assis un jeune homme d‟une vingtaine d‟années, au visage émacié. C‟était Lavrouchka. Avec la permission de son directeur de thèse et la bénédiction de son père, pourtant historien, il se rendait à l‟Académie des Sciences pour faire des recherches en limnologie. Lorsque la Lada franchit la digue du barrage, le jeune homme se rappela qu‟un an plus tôt, le jour de Notre-Dame-de-Kazan, alors qu‟il fêtait son anniversaire, il avait pris une grave décision, l‟une de celles qui engagent pour l‟avenir. Et il s‟abîma dans ses pensées. Le lac sans fond reflétait déjà l‟épaisse et sombre taïga. 1.Une géographie physique de la Russie est-elle nécessaire ? Pourquoi commettre une géographie physique de la Russie ? N‟est-il pas suffisant de dire qu‟elle est le pays des immensités froides et des forêts de conifères ? Nous pensons que non et nous dirions même qu‟une géographie naturelle et environnementale détaillée du plus grand pays du monde nous semble d‟une part utile, d‟autre part ne pas exister en tant que telle en langue française, à l‟heure actuelle. 1.1. Quel est l’intérêt d’une géographie physique de la Russie ? Une étude physique de la Russie peut permettre de mieux saisir l‟évolution des liens entre le territoire et la société russe. Trois périodes, ou plutôt trois échelles de temps, pourraient être arbitrairement distinguées. L‟analyse géographique, et non pas seulement philosophique ou sociale, de la nature en Russie pourrait d‟abord aider à la compréhension de l‟une des permanences de l‟âme russe ; elle pourrait ensuite s‟attacher à l‟héritage particulier de structures politiques et socio-économiques collectives, qui ont profondément marqué les Russes dans leur façon d‟appréhender les milieux naturel ; c‟est enfin une question brûlante d‟actualité, celle des problèmes environnementaux à l‟échelle globale, auxquels contribue forcément d‟une large façon le plus grand pays du monde. 8 1.1.1. L’âme russe chante la nature et le temps long de la géographie Il est désormais de bon ton d‟affirmer que l‟âme russe n‟est autre qu‟un poncif. Ce n‟est a priori pas à la géographie physique d‟en discuter, encore que, si jamais une communauté de pensée, un sentiment d‟appartenance à la Russie avaient le droit de poursuivre leur chemin, celui-ci viendrait sans doute en grande partie de la nature. Aksakov, Tourgueniev, Tolstoï, Gogol, Tchekhov, qui ont chanté la nature russe au dix-neuvième siècle, Valentin Raspoutine, qui tient ce flambeau aujourd‟hui, portent l‟une des permanences de la littérature russe. D‟aucuns affirment, avec dédain, que ce lien n‟existe que dans les livres. Ce ne serait déjà pas si peu ; ce serait dans la pensée d‟une classe d‟écrivains et de générations de lecteurs. Mais il mérite aussi de chercher cette relation au- delà. Quand Mikhaïl Boulgakov quitta Kiev et Moscou pour la Russie profonde de la région de Smolensk, il se rendit compte que la réalité hors de la ville existait : « Autour de moi s‟étendait une nuit de novembre tourbillonnante de neige, la maison était à moitié ensevelie, le vent s‟était mis à hurler dans les cheminées. J‟avais vécu toutes les vingt-quatre années de mon existence dans une ville immense et j‟avais toujours pensé que la tempête de neige ne hurlait que dans les romans. Il se trouvait qu‟elle hurlait également dans la réalité » (Boulgakov1, 1926). Les milieux naturels de la Russie ne sont pas les éléments d‟un théâtre, d‟une représentation figurée du lieu où l‟action, qui serait la société, se produit. « Toute cette nature, chérie de Tourguéniev, de la campagne russe, n‟est jamais un simple décor ; elle infiltre poétiquement, symboliquement les péripéties de l‟action, les caractères, et jusqu‟aux conflits idéologiques qui les oppose » (Flamant2, 1987). La géographie physique n‟est pas un simple préambule à la géographie humaine de la Russie ; elle est ce pays, le pénètre. Il s‟agit souvent d‟amour, parfois de viol. « La terre, on la prend, la charcute, l‟écorche, pour l‟étudier. Et ce n‟est qu‟une mappemonde minuscule. Et moi, C‟est mes côtes qui apprenaient la géographie, Pas pour rien Que par terre Je m‟abattais la nuit » (Maïakovski, 1922, J’aime3). 1 Boulgakov M., 1926, Récits d’un jeune médecin., chap. « Le gosier en acier ». Traduction française de Paul Lequesne, Lausanne, L‟Age d‟homme, éd. 1994, 160 p. 2 Françoise Flamant dans la préface de Pères et fils aux éditions Gallimard. 3 Strophe « Mon université », traduction française d‟Andrée Robel, 1969, in Lettres à Lili Brik. Paris, Gallimard, éd. 2003, 319 p. Milieux naturels de Russie 9 D‟après les critiques littéraires, ce poème de Vladimir Vladimirovitch est sans doute « son œuvre la plus débordante du bonheur d‟aimer » (Frioux, 2003, p. 62) et il s‟agit « du poème exultant, haletant, heureux » (id. p. 63). La géographie y est physique, éprouvée dans sa chair. L‟amour physique de la géographie rejoint l‟amour de la géographie physique et des sorties de terrain dans le roman d‟Alexeï Ivanov, qui n‟élude pas pour autant, loin sans faut, la haine, la violence, l‟ambiguïté des relations. « - Mais tu me plais beaucoup, Mitrofanova. Je veux dire comme fille. […] Ŕ C‟est pour ça que vous avez besoin de la géographie ? observa Starkov, moqueur. Eh bien, mariez-la, Mitrofanova, nous, ça nous sert à quoi, la géo ? » (Ivanov4, 2008, p. 45). A tout, à ne plus pouvoir s‟en passer apprendront les élèves de Perm. La géographie physique permet de comprendre l‟homme russe en profondeur, de ne pas rester dans la superficialité. « Si l‟on veut apprendre à connaître la Sibérie et les Sibériens, il faut apprendre à connaître la taïga, qui occupe une si grande partie de l‟immense étendue du pays et exerce une si grande influence sur la vie et les mœurs des habitants » (Stadling, 1904, p. 320). Une citation centenaire de la Société de géographie, fût-elle suédoise, ravive fort à propos l‟ombre du déterminisme. Aujourd‟hui que la science géographique a beaucoup progressé, faut-il nier que les Russes et les Canadiens luttent contre le froid ? S‟expose-t-on à de terribles critiques, si l‟on écrit que, « sans vouloir tomber dans le déterminisme béat il est cependant clair que les Canadiens ont incorporé l‟hiver dans leur univers mental » (Pelletier5, 1995, p. 17) ? La différence de vie entre Verkhoïansk et Paris est-elle uniquement due à la différence d‟héritage politique et de flux des systèmes bancaires ? Ne saurait- elle avoir le moindre lien avec les moins 70°C de l‟un et les plus 10 °C de l‟autre ? Les Russes ont-ils raison d‟opposer parfois la géographie v kabinété et la géographie v polé ? Cette dernière, la géographie de terrain, est, pour certains, celle des « feux de camp qui vous font la face rouge en pleine nuit sur les rives hautes et noires des rivières, l‟air qui tremble à midi sur les rochers brûlants, les rames qui ploient sous la puissance des bras et les lointains merveilleux qui s‟offrent au regard lorsque vous avez atteint un sommet. C‟était la géographie la plus intéressante qui soit Ŕ non seulement pour les élèves, mais aussi pour Sloujkine » (Ivanov, 2008, p. uploads/Geographie/ gerald-tenenbaum-michel-mendes-france-les-nombres-premiers-entre-l-x27-ordre-et-le-chaos-dunod-2011.pdf
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- Publié le Oct 19, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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