Revue d'histoire des colonies Aux origines de la Du Pont de Nemours Louis Dermi
Revue d'histoire des colonies Aux origines de la Du Pont de Nemours Louis Dermigny Citer ce document / Cite this document : Dermigny Louis. Aux origines de la Du Pont de Nemours. In: Revue d'histoire des colonies, tome 44, n°156-157, troisième et quatrième trimestres 1957. pp. 285-310; doi : https://doi.org/10.3406/outre.1957.1284 https://www.persee.fr/doc/outre_0399-1385_1957_num_44_156_1284 Fichier pdf généré le 25/04/2018 NOTES ET DOCUMENTS AUX ORIGINES DE LA DU PONT DE NEMOURS Des puissances industrielles du monde contemporain rien Bt'est plus intéressant à connaître que les commencements, rien n'est plus difficile aussi parfois. La grande firme Du Pont de Nemours est, sur ce point, assez bien partagée : son histoire a été écrite naguère — d'une manière un peu officielle, il est vrai — par l'un des descendants d'Eleuthère- Irénée Du Pont 1 ; et, tout récemment, un ouvrage consacré au père de son fondateur vient d'évoquer à son tour les de la poudrerie fameuse des bords de la Brandywine 2. Le texte 3 que nous présentons ici fournit un utile à ces études. Il constitue, de la main même de Pierre- Samuel Du Pont de Nemours, un véritable précis de l'histoire de cette fondation et montre bien que, si Eleuthère-Irénée à été le créateur sur le plan technique, moralement, c'est son père, l'infatigable « économiste », qui fut l'animateur de 4. D'autre part, en même temps qu'il apporte sur points d'indispensables précisions, il renouvelle quelque 1. Du Pont, The Autobiography of an American Enterprise. E. I. Du Pànt de Nemours and Company. Wilmington, Delaware, 1952. Ouvrage qu'avait précédé la biographie du fondateur, Éleuthère-Irénée Du Pont (Life of), University of Delaware Press, 1923. 2. P. JotLY, Du Pont de Nemours soldat de la liberté, Paris, P.U.F., 1956. 3. Il provient des archives de la famille Rilliet, au Yengeron près de Genève, qui nous ont été libéralement ouvertes par M. Albert Rilliet, que nous prions de trouver ici l'expression de notre vive gratitude. — Nous remercions également le Professeur P. F. Geisendorf qui a bien voulu nous aider à certaines identifications. 4. P. JoJly a fortement souligné cet aspect, p. 220. — 286 — peu l'éclairage d'ensemble. Loin d'être une création isolée, purement industrielle, la fabrique du Delaware fait partie à l'origine d'un complexe où se mêlent le négoce, la banque et la manufacture : expression caractéristique d'une époque où c'est encore le type du « gênerai merchant » qui prime, où l'armateur l'emporte sur le manufacturier, où, en définitive, la Révolution industrielle est pour une large part fille du grand commerce maritime, et singulièrement du commerce colonial x. Que la poudrerie de Wilmington ait été finalement la seule survivante de ce complexe ne change rien au fait initial : la chimie n'est que servante, et le groupe familial Du Pont père et fils pense d'abord à la réalité fondamentale <le son temps qui reste encore la mer. A cela rien d'étonnant, d'ailleurs, car le père de Pierre-Samuel, Samuel Du Pont, tout horloger qu'il était, se trouvait intéressé dans la maison d'armement Heuttes et fils 2, notamment sur trois vaisseaux dont l'un s'appelait le Turgot, et devait léguer à son fils ces intérêts maritimes qui souffriront beaucoup de la Révolution 3. Quant à Pierre-Samuel, le « laboureur » du bailliage de Nemours n'ayant jamais tué en lui l'inspecteur général du commerce et le réviseur des états de la balance, il était assez prêt à devenir lui-même armateur, ou armateur et munition- naire, lorsque les circonstances l'y pousseraient. En outre, 'vivant dans cette société du xvme siècle finissant dont on ne saurait trop dire à quel point elle était pénétrée d'influences coloniales — jusque dans ses manifestations d' « » 4 — , homme de cette bourgeoisie bientôt triomphante qui, par le maniement des barriques de sucre et des boucauds de café, des caisses de thé ou des balles d'indiennes, se héritière de l'empire des Deux- Indes, il était porté vers les problèmes et les trafics d'outre-mer, ne 1. Cf. P. Mantoux, La Révolution industrielle en Angleterre au XVIIIe siècle, Paris, 1906, dont les vues générales se trouvent confirmées à mesure que l'on étudie en profondeur certains secteurs économiques et leurs liaisons financières. 2. Heuttes ou plutôt, sans doute, Heutte : de Rouen — d'où la famille Du Pont était originaire — ou du Havre, où ce nom est également (cf. E. Le Parquier, Cahiers de doléances du bailliage du Havre, Épinal, 1929, pp. 95 et 112) ? 3. Jolly, pp. 33 et 70. 4. Nous employons à regret cette formule durcissante, dont le simplisme agressif rend bien mal les réalités de l'époque. — 287 — fut-ce d'abord que pour mener la campagne des Ephémérides contre la Compagnie des Indes x. Et une influence plus précise avait renforcé ce goût, celle de son ami Pierre Poivre, le voyar geur d'Extrême-Orient, l'intendant des Mascareignes, dont, après s'être fait le biographe 2, il épouse la veuve 3 en 1795. Second aspect également sensible dans ce texte, la présence du monde protestant et les participations genevoises et suisses dans les entreprises américaines. Là encore, la chose se aisément, Car les Du Pont sont eux-mêmes protestants — d'une famille rouennaise qui, à la Révocation, avait essaimé en Hollande, en Angleterre et jusqu'en Amérique 4, tandis que, de son côté, la parentèle d'Alexandrine de Montchanin, la mère de l'économiste, s'était réfugiée en Prusse, en Suisse et en Angleterre — , et même fort bons hugenots, au point que, tout jeune, Pierre- Samuel s'est cru appelé à devenir ministre du Saint Évangile 5. Et, d'autre part, les Genevois, puis les Suisses dans leur sillage, ont depuis longtemps les yeux tournés vers l'Amérique comme vers toutes les régions de l'univers commercial. Outre l'émigration proprement dite 6 — et sans parler des Antilles et de Surinam, autre chapitre important — , quelques exemples suffisent à en témoigner : plans de de la Caroline que l'on trouve dans les papiers Jalabert 7, maisons de commerce telle la société établie à la Nouvelle- Orléans en 1746 par Gaspard Pictet et François Caminada 8, 1. G. Schelle, Du Pont de Nemours et l'école physiocratique, Paris, 1888, pp. 130-137. 2. Notice sur la vie de M. Poivre, ancien intendant des îles de France et de Bourbon, Philadelphie et Paris, Moutard, 1786. 3. Françoise Robin, originaire de Lyon ; depuis la mort de son mari, en 1786, Mme Poivre avait aidé Du Pont, devenu veuf deux ans à élever ses fils. 4. Abraham Dupont, de Rouen, réside à New-York en 1695, dans la Caroline du Sud en 1730 (C. W. Baird, Histoire des réfugiés huguenots en Amérique, Toulouse, 1886, p. 329). 5. Jolly, pp. 7-10. 6. Sur laquelle on peut voir l'article, assez décevant du reste, de A. B. Faust, Swiss émigration to the American colonies (Americ. Histor. Review, 1916-1917, pp. 20-44.) 7. Bibl. publ. et universit. de Genève, Mss. Jalabert 29 : ff. 140-156, Plan pour former un établissement en Caroline, ff. 158-172, les fondamentales de la Caroline, ff. 220-229. deux autres mémoires sur la Caroline. 8. Arch. de l'État de Genève, minutes J. L. Delorme, vol. 10, p. 361. La scripte de société prévoit un capital de 300.000 L tournois et réunit REVUE D'HISTOIRE DES COLONIES 19 — 288 — ■ ou spéculation foncière et, après 1783, souscriptions des Necker 1 ou des De la Rive, ainsi que de Bâlois et de comme le bailli de Fellenberg aux emprunts de la jeune République a ; ceci, sans oublier le rôle important joué dans le domaine financier par le genevois Albert Gallatin, que Jefferson nomme secrétaire au Trésor 3. Investissement « capitaliste » et mythe de la liberté, goût des affaires et vocation d'expert — voire de pédagogue â l'usage du genre humain — , nul n'était mieux fait que Du Pont de Nemours pour répondre à ce double appel. Autant par son propre tempérament, tout en contrastes, que par son ascendance protestante : ayant des parties de grand commis — « de tous les ministres des finances qui ont existé depuis que je suis sorti du eollège, il n'y a que M. l'abbé Terray et M. Clugny qui ne m'aient pas employé » 4 — mais esprit trop pour s'astreindre à une méthode rigoureuse, patient des écureuils ou des fourmis 5 mais aimant l'aventure — qui déjà a fait de lui, à Karlsruhe, le conseiller aulique du margrave de Bade, puis, à Varsovie, le précepteur du jeune prince Czartoryski — , homme des retraites champêtres mais courageux devant l'adversité et les épreuves physiques, doué de sens pratique et de matoise sagesse mais plein d'ingénuité, débordant d'optimisme, et volontiers voyageur chimérique, tout dans le Nouveau-Monde attirait l'inlassable remueur de projets et d'idées qui, dès 1783, disait à Vergennes : « Si je n'espérais en vous, je me ferais chartreux ou plutôt je ven- comme actionnaires, outre de nombreux Pictet, le Cramer, Fatio, Thel- lusson, Micheli, Bouër, Budé de Boisy, Naville, Boissier, etc. \é Outre ses placements en fonds d'État, Jacques Necker, l'ancien ministre possède au temps du Directoire 25.000 acres de terre au bord du lac Ontorio, il a uploads/Geographie/ du-pont-de-nemours-outre-0399-1385-1957-num-44-156-1284.pdf
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- Publié le Aoû 04, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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