Title Du Merveilleux surréaliste au Merveilleux réaliste : L'évolution de la no

Title Du Merveilleux surréaliste au Merveilleux réaliste : L'évolution de la notion du Merveilleux chez Michel Leiris Author(s) Natsume-Dubé, Sachiko Citation 仏文研究 : Etudes de Langue et Littérature Françaises (1995), 26: 107-126 Issue Date 1995-09-01 URL https://doi.org/10.14989/137828 Right Type Departmental Bulletin Paper Textversion publisher Kyoto University Du Merveilleux surréaliste au Merveilleux réaliste · L'évolution de la notion du Merveilleux chez Michel Leiris Sachiko Natsume-Dubé Introduction Dans Fr~le bruit, le quatrième etdemier volume de La règle du jeu, Michel Leiris consacre 57 pages - soit un septième du livre - aux réfléxions sur le Merveilleux, notion qu'il a essayé de définir en 1926, en réponse à une enquête de Jacques Doucet. Bien qu'il ait consacré plus de temps qu'il n'avait prévu à ce travail, il a fini par y renoncer, insatisfait du résultat. Reste cependant à la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet le manuscrit intitulé Fragments d'un Essai sur le Merveilleux, dernier inédit de l'époque surréaliste après la publication de L'évasion souterraine (Fata Morgana, 1992). Grâce à Monsieur Jean Jamin, exécuteur testamentaire de l'œuvre de Michel Leiris, qui nous a autorisé la consultation de cet inéditl ), nous pouvons entreprendre une étude sur l'évolution de la notion du Merveilleux, évolution qui s'étend en effet sur un demi-siècle. Confronter ces deux textes nous permettra d'observer la «variabilité verticale du merveilleux (ses changements d'âge en âge pour une même personne)) (Fr~le bruit, p. 349): nous essaierons de faire ressortir des caractéristiques propres à constituer ce que nous appelons ici le "Merveilleux surréaliste" et le "Merveilleux réaliste". Ceci nous amènera naturellement à nous demander ce que Leiris entend par le «cartes sur table du réalisme». Le Merveilleux étant surtout envisagé sous sa manifestation littéraire, ces deux textes mettent en cause la position de l'écrivain vis-à-vis du monde extérieur. La référence des citations de l'œuvre de Leiris sera désormais indiquée par le système d'abréviations suivant: B Biffures FB Fr~le bruit J Journal H L'homme sans honneur (Gallimard, 1948) (Gallimard, 1976) (publication posthume, Gallimard, 1992) (publication posthume, Jean-Michel Place, 1994. La pagination renvoie à celle des manuscrits.) 107 Du Merveilleux surréaliste au Merveilleux réaliste: L'évolution de la notion du Merveilleux chez Michel Leiris 1. Le Merveilleux surréaliste Le manuscrit Fragments d'un Essai sur le Merveilleux, constitué de 35 feuilles volantes, contient deux textes principaux; le premier, intitulé précisément «Fragments d'un Essai sur le Merveilleux », est un exposé général qui compte 10 feuillets y compris les notes, tandis que le deuxième, «Le Merveilleux "moderne" », est une étude littéraire de 12 feuillets où l'on voit défiler les auteurs chers aux surréalistes. 1. Impossibilité de défmir le Merveilleux «Le Merveilleux n'est pas définissable, car il est partout. Il est partout parce qu'il est en nous.» Nous pourrions résumer cet essai par cette phrase que nous avons forgée, en remplaçant «la poésie» par «le Merveilleux », à partir d'un aphorisme datant de l'époque pré-surréaliste2). Le schéma qui domine l'essai est un syllogisme: le Merveilleux est à l'opposé de la logique. Ce qui n'est pas logique ne peut pas être défini objectivement. Le Merveilleux, antithèse de la logique, n'est donc pas définissable. Il s'ensuit qu'est Merveilleux tout ce qui perturbe la causalité logique; hasard, imagination, absolu... etc. Nous pourrions cependant essayer d'analyser quelques aspects du Merveilleux surréaliste. Il déclenche dans l'esprit des hommes des phénomènes tels que la curiosité, la surprise, l'obsession. La curiosité, désir d'avoir une connaissance plus grande, soustrait l'homme au marasme intellectuel et l'oriente vers l'inconnu. Dans des tentatives comme l'alchimie ou la recherche de la pierre philosophale, c'est l'imagination qui fait passer du connu à l'inconnu les explorateurs, qui préfèrent se fier à l'absolu - cause ultime -, plutôt que de se baser sur les explications scientifiques. La surprise rapproche le Merveilleux du "surnaturel". A vrai dire, une des raisons pour lesquelles Leiris se défend de définir objectivement le Merveilleux est précisément ce danger de le confondre avec le surnaturel. Son argument se résume en deux points: 1) la distinction entre le naturel et le surnaturel n'est que relative, tout jugement dépendant du point de vue de chacun. (La comparaison entre des peuples dits primitifs et des occidentaux risque d'être un stéréotype, les connaissances de l'auteur - qui n'avait pas encore de formation ethnographique - ne dépassant guère le sens commun.) ; 2) le surnaturel, qu'on trouve encore chez ces peuples (guérison par la magie, etc.), pour pouvoir être réduit à la cause scientifique, n'en touche pas moins notre imagination. L'accent est donc mis sur la capacité d'imagination, qui peut trotl~r le Merveilleux en n'importe quoi: c'est pourquoi le Merveilleux n'est pas extérieur mais intérieur à l'homme. En revanche, Leiris ne se réfère pas du tout à l'imagination, en parlant de l'obsession qui peut faire d'un fait-divers banal un mythe. Or, si à l'inverse, un personnage fictif hante l'esprit au point 108 Du Merveilleux surréaliste au Merveilleux réaliste: L'évolution de la notion du Merveilleux chez Michel Leiris d'y acquérir une certaine réalité, c'est précisément parce qu'il stimule l'imagination. Cet argument ne sera développé que 50 ans plus tard. D'autre part, Leiris fait une distinction nette - et ce n'est peut-être pas sans rapport avec le point que nous venons de relever - entre le monde des faits et le monde de la fiction, celui- ci se prêtant mieux par nature à l'activité d'imagination. Ce Merveilleux en forme écrite occupe en effet une place privilégiée dans l'Essai surréaliste et fera l'objet de notre second paragraphe. Quant au Merveilleux des faits, Leiris mène son argumentation sans citer ses propres expériences, ce qui différencie nettement cet Essai du fragment de Frele bruit où il part des exemples concrets, puisés dans sa vie intime. Ici, il se contente de citer des aspects de la vie où le Merveilleux intervient sous forme de paroxysme; l'aventure, le crime, l'amour, la révolution. Dans ces conditions, l'homme parvient à «l'état de désordre où momentanément les relations viendraient à disparaître, cédant la place au Merveilleux - la grande foudre de l'absolu - jailli comme une étincelle de cette espèce de catastrophe logique3) ». L'absolu est donc l'agent du Merveilleux, qui, venant d'un autre monde, nous arrache à ce que nous sommes d'ordinaire: c'est pour cela que dans les circonstances ci-dessus décrites, l'homme est capable d'un acte où il ne se reconnaît pas. L'aventure, le crime, l'amour, la révolution. Leiris les gardera (à l'exception du crime) dans Frêle bruit et développera ses réflexions à leur sujet, en remplaçant toutefois l'absolu - terme trop idéal - par la mort. Il nous paraît d'ailleurs clair - même si l'auteur ne s'en apercevait pas - que le paroxysme en question ne se produit que lorsque l'homme est effectivement ou virtuellement exposé à la mort. 2. Le « merveilleux en soi» Renonçant à une définition globale du Merveilleux, Leiris l'envisage par ailleurs en sa manifestation littéraire, à savoir, ce qu'il appelle le « merveilleux en soi ». A vrai dire, ce terme est repris 50 ans plus tard (sans tenir compte de la mise en italique, «merveilleux en soi»), après avoir subi un changement considérable de sens: en 1976, il est considéré comme «non humain, transcendant », puisque, s'imposant «de son propre mouvement et par sa seule teneur », il est «inhérent à des faits qui [...] ne peuvent être que des miracles» (FB 344), alors que le «merveilleux en soi» de 1926 appartient au domaine de l'écriture, moyen idéal de bouleverser les relations logiques. Ce n'est qu'à la lecture du second texte «Le Merveilleux "moderne" » que l'on comprend ce que Leiris entendait par le «merveil~eux en soi» : pour le jeune surréaliste, la forme idéale du Merveilleux était indiscutablement celle que prenait le mouvement surréaliste à son apogée,- et l'adjectif "moderne" n'est ici employé que pour souligner l'actualité du mouvement par rapport à ceux du siècle dernier. C'est pour cela que,' quand Leiris relève plusieurs éléments du «merveilleux en soi », on y trouve en vérité ceux de la. littérature surréaliste: 1) lyrisme prophétique chez Nerval et 109 Du Merveilleux surréaliste au Merveilleux réaliste: L'évolution de la notion du Merveilleux chez Michel Leiris Rimbaud; 2) révolte chez Rimbaud et Lautréamont; 3) absurdité chez Jarry et Roussel; 4) comique chez Jarry et Cami; 5) aventure dans des romans d'aventure et des romans policiers ; 6) Erotisme. Il analyse ensuite en détail cet inventaire (sauf les deux derniers éléments) qu'il vient d'établir, puisque cela lui permet, selon lui, de faire un tour d'horizon du Merveilleux moderne. Malgré la profusion des noms cités, il semble que «Le Merveilleux "moderne"» soit pour lui représenté par trois auteurs; Nerval, Rimbaud et Jarry. Le premier s'impose par son lyrisme et les deux autres par le nominalisme qui leur est propre. Ce qui fascine Leiris chez Nerval n'est pas seulement ce lyrisme d'où toute causalité est bannie mais aussi la fusion du rêve et de la vie, dont Aurélia offre le meilleur exemple. Or, selon Leiris, Nerval effectue dans Aurélia une "descente aux enfers" ("enfers" signifiant le tréfonds de soi-même), ce qui nous incite à faire le rapprochement avec celle de notre auteur, évoquée dans Fr~le uploads/Geographie/ du-merveilleux-surrealiste-au-merveilleux-realiste.pdf

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